CHARLIE MALGAT, SOLS

CHARLIE MALGAT, SOLS

Vue de l’exposition SOLṢ, Charlie Malgat, 2023. Production : Centre d’art contemporain Les Capucins, ville d’Embrun. Photo : f.deladerrière

EN DIRECT / Exposition Sols de Charlie Malgat, jusqu’au 04 novembre 2023, Centre d’Art Contemporain Les Capucins, Embrun

SOLṢ sont ces territoires troubles à la lisière du dedans et du dehors, ces peaux qui révèlent en leur surface ce qui s’est patiemment construit et assemblé à l’intérieur, des vies minuscules qui ont germé en profondeur, à l’abri des regards. Le courage pousse à sortir, grandir et vivre une existence à pleine lumière, seulement s’exposer ainsi, c’est possiblement se soumettre aux tumultes des éléments. Pour les moins téméraires et les plus vulnérables, la raison conduit à rester à couvert. Ainsi une des plus anciennes civilisations, précédant de 100 millions d’années les humains, celle des termites, a assuré son avenir dans l’obscurité d’un monde totalement clos sur lui-même. Elle n’a pas pour autant renoncé à rendre manifeste son existence, par ses architectures souvent impressionnantes, ces termitières hautes de plusieurs mètres, mais surtout par ces paysages qu’elle avale et qui la nourrissent. Consommation, digestion, construction sont intimement liées dans le monde des termites. Ils ne connaissent pas le déchet, ce qui est mangé, digéré est de nouveau mangé ou utilisé comme matière première pour construire et conquérir encore.

Ce qui a particulièrement retenu l’attention de Charlie Malgat, c’est leur incroyable capacité d’adaptation, qui leur vaut un développement exceptionnel. L’artiste aime d’ailleurs à rappeler que les termites pèsent littéralement plus lourd que tous les humains réunis. Leur instinct les a conduits à s’associer à d’autres, en l’occurrence des micro-organismes qu’ils ont accueillis afin qu’ils digèrent pour eux la cellulose, une ressource inépuisable tant la planète compte d’arbres, d’herbes et de racines. Les termites seuls n’auraient pas survécu. Ils ont réglé la nécessité première, celle de la nourriture, grâce à des protozoaires intestinaux (dont la mixotricha paradoxa) pour certains, ou des cryptogames, des champignons dont ils sèment des spores pour d’autres. Leur indigestion les a conduits à inventer de nouvelles manières de faire et d’être au monde.

Charlie Malgat traduit ces relations symbiotiques, ces associations opportunes entre espèces, dans des œuvres qui résistent à la qualification. Elles ne sont jamais que peintures, sculptures, films. Elles sont une chose et toujours une autre. L’artiste vient greffer dans ses peintures des volumes, dans ses films des peintures et dans ses sculptures des formes propres au dessin. Ses œuvres sont des sols fertiles qui voient cohabiter, comme dans tout bon jardin, des espèces différentes et solidaires. Les paysages et les récits qu’elle compose – elle aime raconter des histoires et les situer, elle a réalisé des décors pour le cinéma avant d’entrer à l’école des Beaux-Arts de Paris – sont empreints de références multiples : la biologie bien sûr mais aussi la science-fiction, la pop culture et plus généralement une généalogie des formes émancipées des pesanteurs académiques. C’est mou, acidulé, flasque, dégoulinant et pourtant rien de répugnant dans ces formes-là. Charlie Malgat parvient même à créer entre les spectateur.rices et ses œuvres une forme d’intimité. On serait tenté de toucher, de caresser ces corps en caoutchouc, en mousse ou en latex. Ils en appellent aux sens, comme s’ils étaient habités par une vie intérieure qui nous inciterait à vérifier par nos mains, notre langue, notre odorat, ce qui les constitue ou peut-être plutôt ce qui les dépouille.

Dans SOLṢ, ces pièces prennent la forme d’arbres calcinés et en partie évidés (les termites sont passés par là) entourées de peintures aux couleurs acidulées d’intérieurs organiques, sous une lumière tropicale et écrasante. Ce paysage emmêle tout, le petit, le grand, le jour, la nuit, l’extérieur, l’intérieur, la vie et ce qui n’est pas mort. Rien n’est jamais fini dans le monde des termites ; avec les déchets, on construit des cathédrales. Les œuvres de Charlie Malgat ne sont pas des canons célébrant force et courage, mais leur attachement au sol, leur vulnérabilité manifeste réhabilitent au contraire les valeurs de partage et de solidarité.

Solenn Morel

Vue de l'exposition SOLṢ, Charlie Malgat, 2023. Production : Centre d'art contemporain Les Capucins, ville d'Embrun. Photo : f.deladerrière
Vue de l’exposition SOLṢ, Charlie Malgat, 2023. Production : Centre d’art contemporain Les Capucins, ville d’Embrun. Photo : f.deladerrière
Vue de l'exposition SOLṢ, Charlie Malgat, 2023. Production : Centre d'art contemporain Les Capucins, ville d'Embrun. Photo : f.deladerrière
Vue de l’exposition SOLṢ, Charlie Malgat, 2023. Production : Centre d’art contemporain Les Capucins, ville d’Embrun. Photo : f.deladerrière
Vue de l'exposition SOLṢ, Charlie Malgat, 2023. Production : Centre d'art contemporain Les Capucins, ville d'Embrun. Photo : f.deladerrière
Vue de l’exposition SOLṢ, Charlie Malgat, 2023. Production : Centre d’art contemporain Les Capucins, ville d’Embrun. Photo : f.deladerrière
Vue de l'exposition SOLṢ, Charlie Malgat, 2023. Production : Centre d'art contemporain Les Capucins, ville d'Embrun. Photo : f.deladerrière
Vue de l’exposition SOLṢ, Charlie Malgat, 2023. Production : Centre d’art contemporain Les Capucins, ville d’Embrun. Photo : f.deladerrière
Vue de l'exposition SOLṢ, Charlie Malgat, 2023. Production : Centre d'art contemporain Les Capucins, ville d'Embrun. Photo : f.deladerrière
Vue de l’exposition SOLṢ, Charlie Malgat, 2023. Production : Centre d’art contemporain Les Capucins, ville d’Embrun. Photo : f.deladerrière