Karolina Markiewicz et Pascal Piron

PORTRAIT D’ARTISTE/ Karolina Markiewicz et Pascal Piron par Margot Delalande
“Quand on n’arrive pas à appréhender ce qui se passe devant nos yeux, on passe par le rêve”. Karolina Markiewicz et Pascal Piron forment un duo dont le travail oscille subtilement entre documentaire politique et fiction onirique.
L’efficacité de leurs œuvres tient à la puissance des sujets explorés : des moments de rupture politique qui ont trait à leur histoire personnelle. En 2022, le duo est allé sept fois à l’Est de la Pologne pays d’où est originaire Karolina et en Ukraine, pour apporter du soutien aux Ukrainiens. De cette expérience, ils ont réalisé Irreality. Trust in children. Some future (2022). Dans cette vidéo, la beauté des couleurs contraste avec la violence du sujet dépeint : des femmes et des enfants fuient leur pays par la frontière de Medyka et à travers un champ de colza d’un jaune éclatant. Peu à peu l’image se floute, à l’aide de glitchs1, pour passer dans le monde de la picturalité. Ici, les images numériques servent de moyen pour exprimer la folie indicible de cette guerre.
Les sept vidéos de la série Les Portraits (2021) donnent à voir des élèves des artistes filmé.es en plan rapproché. “Voir les mouvements d’un visage, cela permet de mieux écouter les gens”, précise les artistes. Sans comprendre tout de suite leurs origines, on prend le temps d’observer le grain de leurs peaux et l’éclat de leurs yeux, libre de tout préjugé. Chacun.e est magnifié.e par deux lumières colorées qui éclairent son visage. C’est alors qu’ils.elles nous livrent le terrible récit de leur exil. Malgré l’extrême violence à laquelle chacun.e a dû faire face, les vidéos marquent par leur bienveillance. La force des œuvres des artistes repose notamment sur le fait d’aborder des sujets aussi lourds que le racisme et les crimes politiques, avec douceur et résilience.
Les vidéos Spectrum Cinq fontaines (2022), Okopowa Warszawa (2017), Artis (2016) et The Living Witnesses (2021), qui traitent de la Shoah, sont liées à l’histoire de la famille de Karolina. Artis est un poème filmé qui déroule une trame narrative en jouant avec brio sur les associations d’images : des vues nauséabondes de viande saignante font suite à des scènes de lions en cage. Une voix off nous plonge dans le passé glaçant du zoo d’Amsterdam, où se sont cachées des personnes juives. Ces dernières ont survécu en mangeant les restes de viande destinés aux lions, laissés par les gardiens. Le monologue presque théâtral donne un aspect fictionnel à cette histoire vraie surréaliste. “Le théâtre peut renverser la narration”, rappelle Karolina, metteuse en scène avant d’être vidéaste. Le texte a été écrit par le duo.
Dans la vidéo Metamorphosis (2022), des chants évoquant des choeurs antiques ouvrent la scène2, l’ancrant ainsi dans le domaine du mythe. “Le sujet est la base, vient ensuite la musique, puis les images”, expliquent les artistes. Dans la version en réalité virtuelle de Metamorphosis, alternent des témoignages sonores et un énigmatique poème sur l’évolution du vivant, écrit par le duo. Les images de synthèse montrent une forme organique futuriste et des intérieurs glitchés. Au mystère de ces images numériques répond le trouble du sujet évoqué, la pandémie, qui n’apparaît que dans un second temps. Comme souvent, les artistes passent de la poésie au documentaire et vice versa, pour amener de biais un sujet de société.
Inspirés par les écrits de Bruno Latour, Karolina Markiewicz et Pascal Piron questionnent leur rôle et leur position de “terrestre parmi les terrestres”. Qu’est-ce qui nous lie dans le monde ? Qu’est-ce qui doit être créé ? “On a cherché à donner un écho à la réalité, mais aussi parfois, quand c’était possible mettre en place des projets concrets pour améliorer certaines choses pour les gens qui ne sont pas représentés et qui n’ont pas de porte-voix.”
1 Le glitch art est l’esthétisation d’erreurs analogiques ou numériques, comme des artéfacts ou des bugs, par corruption de code ou de données ou manipulations d’appareils électroniques.
2 Composition de Kevin Muhlen et interprétation Asta Sigurðardóttir
Margot Delalande
Texte écrit avec le soutien de Kultur | lx – Arts Council Luxembourg






Karolina Markiewicz et Pascal Piron – BIOGRAPHIE
Le travail collaboratif de Karolina Markiewicz (née en 1976 au Luxembourg, où elle vit et travaille) et de Pascal Piron (né en 1981 au Luxembourg, où il vit et travaille) tisse des liens entre le cinéma, les arts visuels et le théâtre.
Karolina Markiewicz a étudié les sciences politiques, la philosophie et le théâtre, et travaille en tant que réalisatrice de films et de théâtre. Pascal Piron s’est tourné vers les arts visuels, il est artiste et réalisateur de films. Tous les deux sont enseignants.
Leur collaboration a débuté en 2013. En 2015, ils ont sorti leur documentaire et installation Mos Stellarium, qui suit six jeunes réfugiés au Luxembourg. La même année, ils ont participé à la 56ème Biennale d’art de Venise (Italie) avec cette installation vidéo. En 2019, ils font partie de la sélection officielle pour la 76ème Biennale de Cinéma de Venise (Italie) avec Sublimation. En 2020, Fever est présentée aux Rencontres internationales Paris/Berlin, à l’auditorium du Musée du Louvre à Paris. En 2021, ils gagnent le grand prix à Flickers Riff, Rhode Island (États-Unis) pour The Living Witnesses et ils bénéficient d’une exposition personnelle au Casino Luxembourg. En 2022, Metamorphosis VR Experience est présenté à la Saarländische Gallerie de Berlin (Allemagne) et au Centre PHI de Montréal (Canada). En 2023, Irreality. Trust in Children. Some Future. est montrée à Liar NYC de New York (États-Unis).