FORÊT, VERT FRAGILE
Vue exposition Forêt, Vert Fragile, Bibliothèque Alcazar de la Ville de Marseille – Photographie Edyta Tolwinska
EN DIRECT / Exposition Forêt, Vert Fragile, jusqu’au 16 décembre 2023, Bibliothèque Alcazar de la Ville de Marseille
par Pauline Lisowski
Forêt, Vert fragile : Art, Science et pédagogie vers la renaissance des forêts
Avec Romain Bernini, Tamaris Borrelly, Thierry Boutonnier, Jessica Buczek, Ursula Caruel, Daniel Correia Mejìa, Valérie Crenleux, Rosario d’Espinay Saint-Luc, Piero di Cosimo, Thierry Dubreuil, Xavier Dumoulin, Laurie-Anne Estaque, Raphaël Faon, Bruno Gadenne, Noémie Goudal, Francis Hallé, Gérald Kerguillec, Vincent Lajarige, Diana Lui, Hugo Mairelle et Vincent Muller, Geneviève Michon, Laurent Mulot, Solange Pessoa, Rachel Renault, Sarah Valente, Mathilde Wolff.
Le titre aussi bien poétique que porteur de sens introduit l’origine des réflexions qui émanent de cette exposition collective. La forêt, un milieu qui tend à résister, préoccupe les artistes contemporains. Or, cet attachement ne date pas d’hier. Pour preuve, la toile de Piero Di Cosimo. Sa présence nous rappelle que les problématiques actuelles, tels que les feux de forêt, font date. De plus en plus nombreux sont les artistes qui nourrissent leur démarche artistique d’échanges avec des scientifiques, des botanistes, des écologues ou bien partent à l’aventure dans des territoires lointains. Ces nouvelles manières de créer résonnent avec des tentatives de résistances, de faire en commun, de s’allier, d’entrer en relation avec le vivant, afin de le comprendre, pour ensuite le préserver.
L’association Forest Art Project, Greenline Foundation et l’historien de l’art, commissaire d’exposition Paul Ardenne s’associent alors pour créer ensemble et activer d’autres liens, vers la médiation de rencontres sensibles avec le vivant. Unir, coopérer, dialoguer et s’enrichir d’échanges, telle serait la devise de ce rapprochement fertile. En semant des graines à différents endroits et régions de France, l’association Forest Art Project grandit et développe d’autant plus une programmation dense, ouverte et nous engageant vers des possibles. Cette exposition a pour postulat une interaction entre l’art, la science et la pédagogie. Des vitrines accueillent des dessins et carnets de voyages de l’éminent botaniste Francis Hallé, telle une invitation à porter notre regard sur la diversité des végétaux. Comme l’affirme le botaniste, explorateur, inventeur du radeau des cimes, le dessin permet de prendre le temps d’observer, de comprendre la plante. La forêt fait rêver, inspire des contes, des récits, des mythes. Différentes représentations font écho aux divers paysages de notre planète. De nos jours, aux regards sur la forêt s’ajoutent des recherches, des engagements, des actions au long cours. Au temps des arbres répond la durée d’un projet.
La forêt est porteuses d’images, d’un ailleurs, d’un certain paradis. S’y promener, laisser son corps éprouver toutes sortes de sensations, l’expérience laisse des traces dans la mémoire de chacun de nous. Tamaris Borrelly dessine un univers où les hommes et les plantes sont en interactions. Un foisonnement de végétaux et d’étranges animaux peuplent la toile de Rachel Renault. Comme si on marchait dans une forêt mystérieuse, cette peinture procure un sentiment ambigu aussi bien de l’ordre de l’émerveillement que de la crainte. Mathilde Wolff est marquée par son expérience de la forêt de la Mata Atlantica au Brésil. Ses dessins rendent compte d’espèces végétales fascinantes. Explorateur de contrées lointaines où retrouver un certain contact avec une vie où le sauvage est préservé, Bruno Gadenne restitue, dans ses peintures, une impression de se sentir au cœur d’une forêt majestueuse. Les bois préservés pour leur préciosité par Sarah Valente invitent à se baisser pour s’approcher au plus près afin de percevoir un processus naturel à l’œuvre.
Regardons sous nos pieds, le sol et ses mystères. Valérie Crenleux cultive, prend soin et travaille délicatement des racines, ces parties vivantes bien souvent cachées. Ainsi travaillées tels des fils, les racines tissent un réseau, semblable à celui du mycélium. En s’approchant de ces disques racinaires, une odeur de terre semble remonter à la surface. D’un tissu de liens profonds, nous pouvons nous relier à d’autres formes de vie. Une relation sensible, voire fusionnelle avec la forêt est également au cœur des séries photographiques d’Hugo Mairelle et Vincent Muller. Face Time, photographie de Thierry Dubreuil semble sortie d’un rêve, d’un conte, comme si la forêt était habitée par d’étranges êtres.
Troisième chapitre de l’exposition, l’agroforesterie : Les forêts comme milieux de ressources à exploiter posent question à toute une génération d’artistes. Forêt de plumes de Thierry Boutonnier nous fait cheminer dans la réflexion : Les chaines de l’alimentation sont génératrices d’impact sur les forêts. Il y a de quoi méditer face à ce monticule de nuggets. Enfin, les derniers événements ont témoigné de la fragilité des forêts, d’autant plus qu’elles sont gérées par l’homme. Les artistes se font témoins et leurs œuvres font acte des traumas subis, dont il faut se souvenir afin de changer nos modes de vie. Ursula Caruel utilise le fusain pour rendre compte du devenir des arbres dans les régions régulièrement en proie aux feux de forêt. Plus loin, Xavier Dumoulin, documente par l’outil photographique ces événements qui bouleversent un écosystème. A proximité, les cyanotypes de Raphaël Faon interrogent nos relations aux images, notamment à leur faculté de transmettre des faits. Les arbres incarnent la possibilité d’un renouveau, un cycle. Du recueillement de troncs et autres bois, Vincent Lajarige les conserve précieusement, les soignent et leur redonne une nouvelle allure, comme s’ils resurgissaient des cendres.
J’ajoute que la scénographie pensée par Paulo Morvan, à partir de matériaux récupérés à la réserve des arts de Marseille, répond au propos de l’exposition. Les éléments en bois ponctuent la visite, cimaises, socles, assises, mobiliers de médiation scientifique, et composent un parcours rappelant une promenade en forêt. Un protocole de réemploi est d’ailleurs pensé dès le départ du projet : une méthode de conception d’exposition qui participe au changement en cours désormais de plus en plus présent dans les projets curatoriaux et dans les institutions culturelles.
En forêt, les arbres, les champignons, les animaux, constituent un écosystème et vivent en symbiose. Nous pouvons nous inspirer de ces relations pour penser de nouvelles manières de vivre. Tel est le propos de cette exposition.
Les textes de Paul Ardenne, de Vincent Lajarige, président de l’association Forest Art Project et ceux de scientifiques sont réunis dans un livre consultable en ligne. Ainsi, le temps de la lecture, de la contemplation, de la réflexion, de l’apprentissage est précieux. En accordant du soin, de la douceur, de l’attention nécessaires, nos relations aux forêts pourraient être porteuses d’espoir, de renaissance, d’une vie nouvelle.