DOCUMENTA 14 ATHENES – CHAP. 1 – Un paysage idyllique

DOCUMENTA 14  ATHENES – CHAP. 1 – Un paysage idyllique

Athens is the New Berlin – Cacao Rocks, quartier du Psirri

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DANS LE CADRE DE « PERSPECTIVES SUR L’ART CONTEMPORAIN GREC »
PAR MARIA XYPOLOPOULOU

Tout l’été retrouvez sous forme d’épisodes hebdomadaires le compte-rendu de notre contributrice grecque Maria Xypolopoulou sur Documenta 14. 

 
Un regard de l’intérieur porté par cette doctorante en art contemporain, en contact avec les artistes et autres professionnels locaux. Alors que le pays est en crise, que dire des propositions des promoteurs de l’art contemporain qui littéralement font d’un pays en ruine leur terrain de jeu, qui scénarisent dans un décor si authentique et si bienvenue, leurs propos sur le monde contemporain. Quelle distance peut avoir un discours quand il correspond si parfaitement à son contexte ? « Documenter » le monde est-il véritablement un geste artistique ? Qu’apporte la contextualisation au concept artistique ? Eléments de réponse avec Maria Xypolopoulou…
 

« Malgré les bonnes intentions de Adam Szymczyk, cette délocalisation de la 14ème Documenta, a parfois été perçue par les Grecs comme impérialiste, et n’a pas manqué de faire polémique comme le montre la biennale d’Athènes se déroulant simultanément qui est intitulé « en attendant les barbares… ». Certains ne manquant même pas de dénoncer une sorte de « tourisme de crise » et de parler de relents impérialistes et d’un néo-colonialisme culturel. » Maria Xypolopoulou

Chap. 1 – Un paysage idyllique

La 14e édition de Documenta qui s’est clôturée le 16 juillet 2017 à athènes, peut être considérée comme une tentative de réconsiderer l’histoire du monde contemporain ainsi que celui de l’art. Les œuvres sélectionnées questionnent de manière critique le néocolonialisme, la mondialisation, le désenchantement vis-à-vis de la démocratie et d’autres sujets actuels tels que le changement climatique ou les rapports ou les divergences entre le « Nord » et le « Sud » de l’Europe.

Conceptualisée dix ans après la Seconde Guerre mondiale en réaction aux interdictions nazies sur l’art moderne, Documenta est conçue comme une tentative de se revitaliser la relation entre le public et la création contemporaine et le réengager dans une réflexion sur les mutations du monde contemporain. La ville de Kassel qui fut le centre de fabrication des armes de destruction que furent les chars Panzer et Tiger et complètement ravagée par les bombardements, est très vite devenue le haut lieu des avant-gardes.

Au cours des années 1990, la quinquennale de l’Art a dépassé le stade de la simple exposition. Ses directeurs programment des séminaires, des débats, invitent les politiques, tout comme des critiques d’art, à intervenir. Elle se positionne aussi à des points géopolitiques importants. Ayant déjà flirté avec le monde musulman quand Carolyn Christov-Bakargiev a localisé simultanément avec Kassel une partie de l’édition 2012 à Kaboul, au Caire et à Alexandrie, le directeur artistique de Documenta 14, Adam Szymczyk, a décidé de mettre l’accent sur Athènes. Une ville portuaire méditerranéenne qui connaît des problèmes de différentes natures : budgétaire d’abord avec de graves difficultés économiques, l’arrivée massive et continue de réfugiés et qui de par son positionnement géographique est proche des démocraties elles aussi en situation d’urgence comme l’Égypte, la Libye, la Syrie et la Turquie. Athènes est dotée, à la différence des villes comme le Caire, Damas et Benghazi, des infrastructures nécessaires à l’accueil d’un événement d’ampleur internationale, comme Documenta.  

Le directeur artistique Adam Szymczyk a voulu faire d’Athènes, qui a été au coeur de nombreuses divisions en Europe, un lieu exemplaire car les problématiques sociales et politiques qu’elle a subies de plein fouet « vont bientôt devenir des problèmes mondiaux ». Affirmant que « l’art a un pouvoir tout aussi immense que la politique et l’argent », il déplace le point de vue des contextes purement financiers ou politiques dans le champ de l’art afin que les réflexions engagées ne soient pas eurocentrées mais globales et portent de manière concrète sur la manière dont l’homme construit le monde.  

Avant le début de la crise financière, le secteur de l’art à Athènes était plutôt inactif. Contrairement aux grandes capitales européennes telles que Paris ou Londres, Athènes n’a jamais été une grande capitale artistique. Le musée national d’art contemporain (EMST), qui aurait dû ouvrir ses portes en 2004, est resté pour longtemps fermé faute de ressources nécessaires. Les quelques galeries en activité boudaient la jeune création, ses idées tout comme son caractère souvent expérimental. Ni artistes, ni commissaires n’avaient de la place pour s’exprimer. Ils ont pris les rênes de leur destin en développant leurs propres projets, en créant de leur propre initiative des lieux indépendants où ils pourraient travailler et interagir ensemble. Les dernières années, n’ont-elles pas montré qu’Athènes devient elle aussi un lieu important de création ? Certains signes annoncent certainement ce changement : la force collaborative, les manifestations d’une plus intense activité, l’émergence de nouvelles propositions. 

Athènes attire de plus en plus de acteurs de la scène artistique étrangère. Artistes, curateurs ou collectionneurs d’art y viennent pour assister à des événements culturels. Des visiteurs qui ont pu voir Athènes malgré sa situation et le décor misérable de la vie quotidienne d’un pays en crise, comme une belle ville pleine de vie. L’animation diurne ou nocturne dans les cafés, les musées, les sites archéologiques, sur les plages, mais aussi les arts de la rue, son architecture chaotique,  participent à faire de cette ville si particulière où tout semble interconnecté. Athènes est la ville-carrefour entre l’Occident, la péninsule balkanique, les peuples méditerranéens et l’Orient. Pour beaucoup la capitale grecque est considérée comme le « New Berlin », un slogan bien répandu dans les murs du centre-ville que se sont réappropriés les artistes. Ici la culture du « do it yourself » est devenue importante en raison de l’impuissance des pouvoirs politiques car les gens sont condamnés à se débrouiller seuls. L’inspiration créatrice est reine dans une ville de tous contrastes et où les tensions sociales restent élevées, et où les manifestations tournent vite au drame. Malgré toutes ces vicissitudes, la richesse de la culture méditerranéenne continue à prospérer dans des paysages idylliques.

Texte Maria Xypolopoulou © 2017 Point contemporain

George Lappas, Gardener with Little Bear, 2013. Documenta 14 / EMST. Photo : Maria Xypolopoulou
George Lappas, Gardener with Little Bear, 2013. Documenta 14 / EMST. Photo : Maria Xypolopoulou