FLORA MOSCOVICI, DÉCORATION, QUELLE HORREUR !

FLORA MOSCOVICI, DÉCORATION, QUELLE HORREUR !

Vue de l’exposition « Décoration, quelle horreur ! » de Flora Moscovici à L’Académie, 2020. © Marc Domage.

AUTOUR DE L’EXPOSITION / « Décoration, quelle horreur ! » à L’Académie, Maromme jusqu’au 29 octobre 2020​ par Flora Moscovici

Samedi 4 Avril 2020. 

C’est l’ouverture du Festival Normandie Impressionniste et le vernissage de mon exposition « Décoration, quelle horreur ! » à L’Académie, Maromme. À côté, Bruno Peinado expose au SHED.

« Décoration, quelle horreur ! » est une citation de Francis Bacon, extraite d’un entretien avec Franck Maubert qui lui demande quels conseils il donnerait à un jeune peintre : « s’éloigner de tout ce qui est purement décoratif. La décoration, quelle horreur ! » 

Je pense à Ornement et crime d’Adolf Loos, qui prônait le dépouillement dans l’architecture. Je peins dans des espaces nus (sans ajout de volumes ou d’objets), et ce vide compte beaucoup car il permet d’observer tout le reste. Il n’y a rien à voir, mis à part quelques millimètres de peinture déposés sur les surfaces et nos corps qui se déplacent. 

Dans son article pour Libération Mon corps trans est une maison vide, le philosophe Paul Preciado évoque une expérience de « démeublement » : « Habiter une maison complètement vide rend à chaque geste son caractère inaugural, retient le temps de la répétition, suspend la sommation interpellative de la norme. » 

Un lieu vide crée des conditions singulières pour regarder et parcourir la peinture. C’est peut-être là où se situe l’écart avec une peinture qui viendrait décorer un espace. 

J’ai eu envie d’aborder cette question de la décoration après ma visite du bâtiment de L’Académie, anciennement appelé Maison Pélissier. 

C’est une belle maison en colombage qui a eu plusieurs vies, différentes fonctions : moulin à poudre, maison bourgeoise, lieu de fête pour les mariages, salle d’examen, logement pour les étudiant.e.s erasmus… 

La succession de ces occupations a produit un vacillement entre différentes époques, entre privé et public, particulier et institutionnel, authentique et faux. Le résultat est une sorte d’intérieur moche-beau, avec des salles en enfilade comme autant de moments de la vie du lieu.

J’ai voulu revenir à l’essentiel, retirer la fausse cheminée pour ne garder que les traces de son installation, enlever les néons tout en gardant les emplacements de l’installation électrique, mais aussi remettre les anciennes portes. Dans la plupart des lieux d’exposition contemporains, les portes n’existent pas, tout est fait pour que l’on traverse sans obstacle.

J’ai souhaité ré-investir cet aspect domestique. Une porte, c’est à la fois une rupture et un lien entre deux espaces. Les portes jouent ce rôle dans cette exposition, elles peuvent être grandes ouvertes ou entrouvertes et ne donnent pas la même chose à voir. Leurs positions sont autant de points de vue sur la peinture. On peut les pousser, les tirer, ce sont des éléments mouvants et fluctuants de l’exposition.

Ensuite il n’y a rien d’autre, juste de la peinture, l’espace est vide et peint. 

J’ai gardé les sols authentiques, les vitres, les briques et le marbre. Et puis tous les murs, les boiseries, les huisseries, les plafonds sont peints. 

Il y a énormément de nuances, à certains endroits c’est très fort, à d’autres très doux, on pourrait presque croire que ça a toujours été comme ça, que ce n’est qu’un peu de lumière qui est passée par là. 

Les couleurs choisies sont inspirées des sols, des carrelages, des parquets, des briques, mais aussi des vitraux sur certaines portes et fenêtres dans la maison. 

Je me suis également promenée dans les alentours. Il y a beaucoup de bâtiments industriels juste à côté : de la tôle bleu intense, un rouge qui a été vif autrefois, un bleu clair un peu grisé, un mur saumon ou pêche, des verts aussi, plutôt foncés, qui tirent vers le kaki et un rose légèrement sali. Toutes ces observations sont devenues mon nuancier. Il y a aussi les souvenirs imaginés en rapport à l’histoire du bâtiment : le souffre, un jaune vif et un peu acide, le salpêtre, dont le blanc ressort à travers les couleurs, le charbon, et si ce gris sombre était produit par un mélange de couleurs… 

Il y a aussi la lumière que j’ai voulu modifier pour enlever le côté institutionnel induit par les néons et revenir à un aspect plus domestique. J’ai proposé à l’artiste Nicholas Vargelis de créer une installation lumineuse pour mon exposition, un éclairage qui ferait oeuvre et qui serait lui aussi pensé par rapport au lieu. 

De grosses ampoules incandescentes, nues, comme dans les tableaux de Bacon, remplacent les vieux néons. Elles sont peintes subtilement et participent à définir une atmosphère qui mêle une certaine brutalité avec beaucoup de douceur, entre le chantier et le grand tableau apaisant. Cette ambiguïté se retrouve je crois dans ma manière de peindre et dans les outils que j’utilise. J’ai réalisé la peinture de cette exposition avec une station de peinture airless, c’est un gros pistolet à peinture conçu pour couvrir de très grandes surfaces, mais je l’utilise comme un pinceau, avec des transparences, des recouvrements, des allers-retours et de multiples nuances. Le résultat est à la fois brutal dans la sortie du jet du pistolet, les crachats qu’il peut parfois produire, et très subtil dans le mélange des teintes et les transitions sur le relief de l’architecture. 

Dans les emplacements extérieurs où sont habituellement installées les affiches, sur les six premiers volets du rez-de-chaussée, côté rue, j’ai décidé d’annoncer progressivement l’exposition. 

J’ai utilisé des anciennes affiches que j’ai posées au sol pendant la réalisation de la peinture pour récupérer les particules de couleurs pulvérisées et faire des tests de jets de pistolet. Il y en a une par salle, ce sont à la fois des affiches-rebut et des affiches-palette. Dès qu’une salle est terminée, une nouvelle affiche est accrochée à l’extérieur. J’ai commencé à rebrousse-poil, par la dernière salle que l’on visite. La première affiche correspond à la dernière salle. J’ai peint en faisant la visite à l’envers. 

Nous avons aussi changé l’entrée. Il y a une nouvelle porte qui donne sur une salle, qui est à la fois l’accueil et la librairie. Autour de cette nouvelle porte, j’ai voulu qu’on enlève le bardage bois pour voir ce qu’il y avait en dessous : du parpaing, des briques, des poutres, c’est très beau. Là aussi, il y a une peinture. C’est sur l’autre face du bâtiment, côté jardin. Cette peinture est comme une percée vers l’intérieur, elle nous entraine. 

Dans la première salle, j’ai travaillé avec des couleurs fluorescentes car je voulais créer une salle de bal pour le vernissage. Danser dans la peinture est un souhait que j’avais depuis longtemps. J’ai ainsi pensé une peinture qui deviendrait flamboyante sous la lumière noire. 

La piste, c’est le charbon, des mélanges de couleurs qui forment des gris très foncés. Ces faux noirs se révèlent sous les ultraviolets comme une multitude de tons fluorescents, des verts, des bleus, des violets, des rouges… 

Deux DJ sont prévus pour ce samedi 4 avril, Barbara Quintin et Élie Godard, alias Torrent Bouillonnant. Il y a même une navette de Paris qui ramènera les fêtard.e.s pour le premier métro.

Pendant le vernissage et avant le bal, Lina Schalgeter va faire une performance dans la succession des salles de l’Académie en s’inspirant de danses baroques et de formes minérales. 

Ce samedi 4 avril, c’est aussi le lancement d’un livre édité par le SHED en collaboration avec la Galerie de Multiples. Un petit livre qui montre des détails de peintures de différentes expositions, y compris cette dernière. Je l’ai réalisé avec ana crews (Nicolas Lafon) et ça a été un travail très intense, en parallèle du montage de l’exposition. J’ai aussi invité trois artistes écrivain.e.s à proposer un texte court en relation avec mon travail : Marcel Devillers, Amélie Lucas-Gary, Théo Robine-Langlois. 

Ces textes sont magnifiques, il y a un poème en alexandrins, un dialogue de théâtre et une prose en forme de chevelure. 

Ce samedi 4 avril ne se sera pas passé comme je l’imaginais, mais j’espère (de tout mon cœur) que ce samedi 4 avril pourra avoir lieu plus tard, peut-être un samedi de la fin juin, nous verrons.

Et surtout, j’espère que vous viendrez.

Flora Moscovici

FLORA MOSCOVICI – BIOGRAPHIE
Née en 1985
Vit et travaille à Paris

http://floramoscovici.com

Vue de l’exposition « Décoration, quelle horreur ! » de Flora Moscovici à L’Académie, 2020. © Marc Domage
Vue de l’exposition « Décoration, quelle horreur ! » de Flora Moscovici à L’Académie, 2020. © Marc Domage
Vue de l’exposition « Décoration, quelle horreur ! » de Flora Moscovici à L’Académie, 2020. © Marc Domage
Vue de l’exposition « Décoration, quelle horreur ! » de Flora Moscovici à L’Académie, 2020. © Marc Domage
Vue de l’exposition « Décoration, quelle horreur ! » de Flora Moscovici à L’Académie, 2020. © Marc Domage
Vue de l’exposition « Décoration, quelle horreur ! » de Flora Moscovici à L’Académie, 2020. © Marc Domage
Vue de l’exposition « Décoration, quelle horreur ! » de Flora Moscovici à L’Académie, 2020. © Marc Domage
Vue de l’exposition « Décoration, quelle horreur ! » de Flora Moscovici à L’Académie, 2020. © Marc Domage
Vue de l’exposition « Décoration, quelle horreur ! » de Flora Moscovici à L’Académie, 2020. © Marc Domage
Vue de l’exposition « Décoration, quelle horreur ! » de Flora Moscovici à L’Académie, 2020. © Marc Domage