LE FACTEUR (TEMPS) SONNE TOUJOURS DEUX FOIS

LE FACTEUR (TEMPS) SONNE TOUJOURS DEUX FOIS

EN DIRECT / Exposition « Le Facteur (temps) sonne toujours deux fois » du 22 juin au 21 juillet 2019 Delta Studio, Roubaix

« Le temps est le concept le plus difficile à définir dans notre vie,
car il est notre vie elle-même. Chercher à l’illustrer ou y réfléchir est déjà,
en soi, un paradoxe. » Nam June Paik

Joliment infusé dans le titre du film de 1946 puis 1981, il est évident qu’il sera ici, humblement, question d’une représentation du Temps. Plus particulièrement du temps s’incarnant dans la répétition. En hommage à Gilles Deleuze pour qui la répétition ne répète pas mais crée de la différence cette exposition est constituée de quelques œuvres de la collection de Renato Casciani mais également largement accompagnée par d’autres d’artistes de très à beaucoup moins connus. Cette exposition compile les travaux qui marquent par la répétition les changements qui dévoilent le passage de ce temps auquel nous ne pouvons nous soustraire.

Outre les pièces des artistes très connus comme Opalka et Huyghe, d’une efficacité redoutable et aux modes créatifs et opératoires radicalement différents, qu’il est toujours merveilleux de revoir, les œuvres d’artistes moins renommés apportent de belles perspectives sur la temporalité explorée dans la répétition.

Bérengère Henin, avec sa collection de dates de péremption (Calendrier, Vanité – 2007), nous démontre avec simplicité que les répétions de nos coutumes quotidiennes, comme celle aussi simples que d’aller faire ses courses au supermarché du coin, rythment notre temporalité tout en marquant nos actions chroniques d’une fin inévitable. Justement parce que nous les répétons jours après jours. Accompagné de la vidéo faite en collaboration avec Anthony Peskine (Nos plus belles années – 2013), boucle infinie d’une attente téléphonique interminable, elle martèle son discours avec une rigueur toute empreinte de drôlerie . Alors que la chorale chante sans interruptions « les chariots de feu », la soliste répète inlassablement « Veuillez patienter, votre correspondant va vous répondre. Please, hold the line. », une bien belle manière de mettre en comparaison les fins à répétitions de nos petites actions dans la grande boucle temporelle qui accompagne nos vies.

D’une autre manière, mais pourtant non loin de la précédente, les œuvres d’Hélène Marcoz, s’attachent elles aussi à rendre compte du passage du temps. Les surimpressions argentiques de la série de photos « Concrete Jungle, Hélioscopie cinétique » (2014), réussissent à ne pas faire de la photographie un médium qui arrête le temps en stoppant son écoulement continu, mais bien au contraire en montrant son passage inévitable. Ces clichés pris à intervalles réguliers, sur un même négatif, nous laissent confronter deux temporalités bien distinctes, celle du bâtiment qui perdure dans le temps, immobile, et celle de la lumière du jour qui se meut en son sein, dessinant de nouvelles ombres à mesure que le temps s’écoule. Un temps qui se poursuit de bien des manières dans les « vidéos patchwork » de l’artiste qui filme depuis un seul point de vue un même paysage pendant une année. En résulte un tableau mouvant, le défilement des saisons et des intempéries assemblé en une seule image.

Si ces œuvres utilisent le mouvement pour parler du passage du temps, ce n’est pas le cas des photos de Melik Ohanian. Celles-ci, tirées de la série « Cesium », l’arrêtent. Ces clichés de l’élément qui révèlent le changement d’état du Césium 133 — élément chimique qui définit la seconde universelle dans les horloges atomiques — lors de son passage de l’état solide à l’état liquide- produisent des images fixes ; des figurations d’instants T, toutes aussi abstraites que peut l’être notre figuration temporelle.

Autres images fixes qui ne manquent pas de nous montrer le passage du temps, sont les dessins d’Anthony Peskyne. Nommés « Paysages » et accompagnés du lieu précis dans la gare de la ville choisie pour les réaliser, ces derniers s’acharnent à transcrire à l’encre les cases des panneaux annonciateurs de l’arrivée des trains. C’est sans compter sur le renouvellement ininterrompu de ces petites cases qui fait qu’à mesure que le dessin se complète, les destinations et les horaires changent. Le passage du temps est ainsi transcrit dans ces cases remplies à l’encre et malgré la familiarité que nous pouvons avoir avec cette iconographie de gare, les destinations ne s’en retrouvent pas moins fantasques. Une nouvelle transcription de l’espace et du temps sur le papier. Avec le même humour que Bérengère Henin, Anthony nous livre également ici toute sa collection de dvd dont le seul lien est leur titre … une mesure du temps !

Il en va de même pour les photos de Baptiste Rabichon. Simplement titrées « 10 mn, 30 mn et 1 h de rayons X sur Kodak Endura N », elles aussi nous donnent à voir le passage du temps mais cette fois-ci dans un lieu de déplacement international – un aéroport – et jouent en plus avec les procédés photographiques habituels. Ces papiers photos sensibles, encore roulés, ont été passé dans des scanners et bombardés aux rayons X pendant trois temporalités différentes. Il en ressort une épreuve du temps sur plusieurs bandes photosensibles, une nouvelle imagerie du temps révélée par les machines.

Reste le travail de Nicolas Daubanes réalisé à plusieurs mains avec Pablo Garcia et Sergei Moderno. Résultat d’un atelier avec les détenus de la maison d’arrêt de Nice, qui ont pu apprendre à construire des sténopés et ainsi prendre à l’insu des gardiens, de nombreuses photos à l’intérieur de la prison. Rassemblés dans des éditions, ce travail, hormis le fait qu’il retranscrive en négatif un mode de vie où le temps s’écoule d’une façon bien différente de la nôtre, aura permis au détenu non plus de parler du temps qui passe dans ce centre d’incarcération, mais du temps de pose où la lumière révèle l’image sur le papier photographique. Autant d’allers-retours en conversation sur une notion qui dans leurs cas prenait d’autant plus d’ampleur. 

De toutes ces œuvres on aura noté un principe de répétition, que ce soit dans le processus de création ou de monstration, voire même dans les discussions qui auront amenées à la réalisation des œuvres. Ce sont ces répétitions qui sont importantes et dans lesquelles se cachent les détails qui inscrivent le passage du temps. Ce n’est pas pour rien si la pop culture rejoue les événements passés dans des œuvres sur le voyage temporel pour que le public ait accès à cette notion. Si Marty McFly retourne dans le passé pour rejouer le temps de la rencontre de ses parents, c’est sa présence qui insuffle d’infime modifications à l’histoire et qui viennent alors changer le cours du temps présent. Il en va de même pour les artistes qui rejouent les protocoles créatifs où le passage du temps vient s’incarner dans les détails, d’une répétition à l’autre.

Léo Marin

Vue d'exposition "Le Facteur (temps) sonne toujours deux fois" du 22 juin au 21 juillet 2019 Delta Studio, Roubaix
Vue d’exposition « Le Facteur (temps) sonne toujours deux fois » du 22 juin au 21 juillet 2019 Delta Studio, Roubaix
Vue d'exposition "Le Facteur (temps) sonne toujours deux fois" du 22 juin au 21 juillet 2019 Delta Studio, Roubaix
Vue d’exposition « Le Facteur (temps) sonne toujours deux fois » du 22 juin au 21 juillet 2019 Delta Studio, Roubaix
Vue d'exposition "Le Facteur (temps) sonne toujours deux fois" du 22 juin au 21 juillet 2019 Delta Studio, Roubaix
Vue d’exposition « Le Facteur (temps) sonne toujours deux fois » du 22 juin au 21 juillet 2019 Delta Studio, Roubaix
Vue d'exposition "Le Facteur (temps) sonne toujours deux fois" du 22 juin au 21 juillet 2019 Delta Studio, Roubaix
Vue d’exposition « Le Facteur (temps) sonne toujours deux fois » du 22 juin au 21 juillet 2019 Delta Studio, Roubaix

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