Adrien M & Claire B, la nature à l’oeuvre

Adrien M & Claire B, la nature à l’oeuvre

EN DIRECT / Exposition « L’ombre de la vapeur« , Adrien M & Claire B, du 1er avril au 31 octobre 2019, Fondation Martell, Cognac

L’histoire commence un an plus tôt dans les murs de la Fondation Martell encore en chantier, dans la ville de Cognac. Après avoir franchi l’entrée, des portes s’ouvrent sur un immense hall, plusieurs piliers centraux et une structure de béton noircie. Une pellicule obscure se propage dans cette surface du bâtiment. L’organisme vivant qui s’y déploie est un champignon microscopique appelé “Torula”, qui se nourrit aux vapeurs de cognac, une particularité de la région. L’activité d’embouteillage du cognac de la Maison a laissé pour vestige ce micro-organisme naturel, périphérique, dont la présence a inspiré le duo d’artistes Adrien M & Claire B. Invité à imaginer une oeuvre pour cet espace, le binôme rend hommage au champignon, évacué depuis, dans l’installation immersive et technologique “L’ombre de la vapeur”.

Plongés dans l’obscurité, les visiteurs se déplacent parmi des projections vidéo de cellules blanches organisées en flux. Sans qu’on ne puisse réellement les associer à une fonction, ces formes organisées glissent du sol au plafond et se contorsionnent sur des squelettes de métal que l’on devine au fur et à mesure que nos yeux s’adaptent à la pénombre. Les particules se déplacent en interaction avec nos mouvements, nous encerclent, s’éloignent sous nos pas telles des constellations magnétiques. Elles nous invitent à prendre place dans l’oeuvre, à faire corps avec l’écosystème mouvant.

Cette symbiose repose sur un dispositif d’une trentaine de vidéo-projecteurs animés en temps réel par des caméras infra-rouges permettant l’interaction de l’oeuvre avec le public. Réalisée par la “compagnie” formée de 40 personnes par Adrien M et Claire B, tous deux se définissent comme “créateurs de spectacles”. Si leurs oeuvres fonctionnent principalement sur des procédés numériques avec une architecture de systèmes informatiques spécifiques, elles évoluent néanmoins, comme le vivant. L’obsolescence programmée dûe à l’évolution constante de la technologie fait de leurs oeuvres des spectacles de l’éphémère. Une charge poétique qui nous rappelle que la technologie à son cycle, comme la nature.

Exposition "L’ombre de la vapeur", Adrien M & Claire B, du 1er avril au 31 octobre 2019, Fondation Martell, Cognac
Exposition « L’ombre de la vapeur », Adrien M & Claire B
du 1er avril au 31 octobre 2019, Fondation Martell, Cognac
© AdrienM&ClaireB

En écho à l’installation, des vagues de la composition “Cantique du champignon” résonnent, limpides, dans un chant ponctué de voix aux langues étrangères. Dans un mouvement de latence, un sentiment de sérénité nous saisit sans heurts. “Générer des expériences de puissante douceur”, voilà les mots de Claire B dont l’oeuvre “reconfigure notre rapport d’échelle avec l’espace”. Entourés de ces milliards de cellules qui migrent aux battements de nos pouls et de ceux de la musique, l’expérience est totale. Des particules de la taille d’un doigt aux centaines de mètres carrés de l’espace, de l’infiniment petit dans l’infiniment grand, les dimensions spatiales deviennent quasi-cosmiques. De ce théâtre visuel et sonore s’échappe une aura sacrée qui nous transporte dans une chapelle sans religion.

Si le son et l’image fusionnent si naturellement, c’est que la ligne mélodique est tirée de l’interprétation de l’ADN du Torula. Cette création sonore composée par Olivier Mellano s’inspire des principes de la protéodie, une théorie selon laquelle chaque acide aminé est associé à certaines ondes pouvant être transcrites dans une partition musicale. Ainsi peut-on traduire la mélodie de l’ADN de chaque être vivant.

Exposition "L’ombre de la vapeur", Adrien M & Claire B du 1er avril au 31 octobre 2019, Fondation Martell, Cognac © AdrienM&ClaireB
Exposition « L’ombre de la vapeur », Adrien M & Claire B du 1er avril au 31 octobre 2019, Fondation Martell, Cognac © AdrienM&ClaireB

Ce jour-là, Olivier Mellano monte sur une estrade centrale aux côtés de la chanteuse Kyrie Kristmanson pour interpréter en live le cantique. Lui à la guitare, elle à la voix. La performance est orchestrée par David Sanson qui signe la programmation de la première édition du festival “MetaMusiques” à la Fondation. Pendant que se joue le concert au rez-de-chaussée, le pianiste Ivan Ilic livre un programme-fleuve musical de 3h30 au deuxième étage. Le temps du week-end, 12 concerts s’enchaînent. Des Gymnopédies de Satie par Ivan aux pièces de John Cage par l’ensemble ]h[iatus, ce sont autant de propositions de “musiques minimalistes qui suspendent le temps pour s’abandonner à une écoute la plus libre possible” explique David Sanson. Véritable laboratoire du vivant, la Fondation Martell promeut l’Art à tous les étages, du bâtiment à sa programmation hybride. L’art contemporain a une nouvelle adresse en Nouvelle-Aquitaine.

Anne Bourrassé