Matthieu Saladin, Temps partiels II. Flextime / Dominique Mathieu, Riposte / Marie Voignier, Kino Glaz, BBB centre d’art, Toulouse

Matthieu Saladin, Temps partiels II. Flextime / Dominique Mathieu, Riposte / Marie Voignier, Kino Glaz, BBB centre d’art, Toulouse

Matthieu Saladin, Rumeur #2 (les grèves), 2019
Production : BBB centre d’art, Toulouse
Photo : Émile Ouroumov

EN DIRECT / Exposition Temps partiels II. Flextime de Matthieu Saladin, Riposte de Dominique Mathieu et Kino Glaz de Marie Voignier du 09 octobre au 18 janvier 2020, BBB centre d’art, Toulouse
par Léa Besson

Depuis le cinq décembre dernier, les travailleur·se·s de l’art apportent leur soutien au mouvement de grève national opposé à la réforme des retraites annoncée par le gouvernement français. Comme le précise l’appel à mobilisation d’Art en grève, diffusé largement sur les réseaux sociaux, « les artistes sont hélas à l’avant-garde de l’absence de protection sociale et […] voient ainsi la plupart de leurs activités être non reconnues comme du travail1. » Cette précarité du statut d’artiste, et plus généralement des travailleur·se·s de l’art, justifie aujourd’hui la mobilisation toute particulière de ce secteur au sein du mouvement social, dans plusieurs villes de France. À Toulouse, le BBB centre d’art propose un ensemble d’expositions qui résonnent très justement avec le climat actuel et portent la lumière sur les rôles des centres d’art contemporain dans le paysage artistique et social.

À l’avant-garde des grèves du mois de décembre, la proposition de l’artiste et designer Dominique Mathieu au BBB prend toute son importance. Riposte est un atelier de fabrication de pancartes destiné à tous types de revendications, « un appel d’air en vue d’activer une combustion2 », comme il le définit lui-même. L’œuvre permet ici d’envisager et de pratiquer le centre d’art comme un lieu de fomentation des révoltes, un espace politique utilisé par les acteurs de l’Art en grève pour préparer les manifestations actuelles. Le feu du « processus populaire et généreux3 » qu’envisageait l’artiste a bien pris au BBB pour se répandre dans les rues de Toulouse.

Le travail de Matthieu Saladin, qui occupe une grande partie de l’espace d’exposition, fait écho à cet incubateur de manifestations. Devant le centre d’art, cent six affiches sont collées l’une après l’autre, chaque jour de la durée de l’exposition, sur un mobilier urbain conçu par Dominique Mathieu (Fût). Elles évoquent toutes un mouvement de grève dont la durée correspond au nombre de jours d’exposition restants. L’édition La popularité des conflits classe quant à elle les grèves et manifestations en fonction du crédit qui leur est donné par la population. Ces deux œuvres renvoient naturellement au contexte et laissent à imaginer la place que pourraient y prendre les revendications actuelles. La proposition de Matthieu Saladin au BBB est également une réflexion sur le temps de travail. L’exposition Temps partiel II. Flextime est le deuxième volet de Temps partiel I. Tirer sur les cadrans pour arrêter le jour, qui redéfinissait notamment les horaires du centre d’art et de son équipe. Pour poursuivre cette distorsion temporelle, l’artiste installe ici une Horloge lestée et interroge la perception des participants à une formation intitulée « Organiser son temps de travail », qu’il a décalée de 12h. En exposant les traces de cette expérience nocturne, Matthieu Saladin met en exergue l’un des rôles majeurs du BBB : l’accompagnement et la formation des artistes, dont le statut relativement précaire rend la professionnalisation difficile4.

Ce remaniement du cadre de travail du centre d’art, associé à un rappel de ses missions, s’appuie en grande partie sur les Supports, c’est-à-dire du mobilier de bureau extrait des espaces de travail de l’équipe et intégré tel quel comme éléments de scénographie. Ces readymades n’y sont pas simplement des objets décontextualisés ou sacralisés par leur nouveau statut d’œuvre d’art, car ils restent utilisables et utilisés par les travailleur·se·s du lieu. Il est possible d’apercevoir – ou non – ces dernier·e·s entrer, de temps à autre, dans l’espace d’exposition pour ouvrir un tiroir, fouiller un dossier ou jeter une boule de papier à la poubelle. Les membres de l’équipe activent également des performances visibles sur demande (Rumeur #2 (Les grèves)) ou en fonction d’un planning affiché (Une journée de travail). Ils deviennent acteurs de l’exposition aux yeux des publics – ce qu’ils sont déjà, en réalité, dans ses coulisses. Cette nouvelle organisation de l’espace donne presque l’impression au visiteur de faire partie de l’équipe, ou du moins de pénétrer ces « coulisses » du centre d’art, qui ressemblent, somme toute, à tous les bureaux. L’échantillon de meubles standards donne ainsi à voir en partie, ou à deviner, le travail quotidien qui permet aux expositions d’exister.

Le fonctionnement d’un centre d’art, bien qu’il assure la médiation entre artistes et publics, n’est pas nécessairement transparent pour eux. Les médiateur·rice·s culturel·le·s, premier·e·s interlocuteur·rice·s des publics, sont souvent confronté·e·s à l’incompréhension de certain·e·s visiteur·se·s, à leur méconnaissance des enjeux d’un tel lieu, de son rôle, et de son importance. « Mais que faites-vous ici exactement ? Une fois que l’exposition est faite, vous ne travaillez plus ? » Ce type de questions, parfois entendu en médiation, exprime une inconnue dans l’équation-exposition : le travail invisible des personnes qui la produisent et la font vivre5. Il est rare qu’il soit directement mis en valeur et présenté au public comme c’est le cas ici. Le titre de l’œuvre scénographique Les Supports n’est d’ailleurs pas anodin. Les outils de travail de l’équipe deviennent de véritables socles pour les œuvres de Matthieu Saladin. Un petit caisson à tiroir contenant du matériel pour les ateliers pédagogiques porte Super 45 quand une bibliothèque présente des exemplaires de La popularité des conflits. Le mobilier de bureau supporte l’exposition, de la même manière que les travailleur·se·s du centre d’art permettent sa production ; de la même manière que ce type de structures, essentielles dans le paysage de l’art contemporain, soutiennent les artistes. 

Peut-être cet ensemble d’expositions participera-t-il à une prise de conscience collective importante, pour les publics – qui sont les destinataires privilégiés des œuvres – mais aussi politiquement ? Il s’agit de rendre visible la création artistique contemporaine, mais également de montrer comment elle est permise, dans un contexte où les métiers de l’art contemporain et le travail de petites structures culturelles peinent à être reconnus et valorisés. L’implication de ce type de structures – et de ses acteurs – dans les revendications politiques et sociales actuelles participe à leur reconnaissance ainsi qu’à leur édification en tant que lieux d’action ouverts. C’est ce vers quoi tend la programmation du BBB, avec les travaux de Dominique Matthieu et Matthieu Saladin, comme la proposition de projection rétrospective des films de Marie Voignier pendant la durée de l’exposition. Cette programmation cinématographique, ponctuée par ailleurs de rencontres avec les artistes, invite les visiteur·se·s à n’être plus seulement de passage et à revenir plusieurs fois au centre d’art ; à le considérer, peut-être, comme un véritable lieu de vie.

1 artengreve.com
2 Note d’intention écrite en juin 2019 par l’artiste et insérée dans le livret de l’exposition du BBB, p. 2
3 Ibidem
4 Via la plateforme Ressources, le centre d’art propose des formations destinées aux artistes pour mieux les renseigner sur des éléments pratiques de leur profession (financement, statut, partenariats, etc.) : https://www.lebbb.org/plateforme-ressources.php
5 L’équation est d’ailleurs souvent à double inconnue : le travail des artistes comme celui de l’équipe sont des données manquantes pour certains publics qui peinent à mesurer l’ampleur d’une exposition.

Léa Besson

Vue des expositions de Matthieu Saladin «Temps partiels II. Flextime » et Dominique Mathieu « Riposte » au BBB centre d’art, 2019. Curateur & crédit photo : Émile Ouroumov.
Vue des expositions de Matthieu Saladin «Temps partiels II. Flextime » et Dominique Mathieu « Riposte » au BBB centre d’art, 2019. Curateur & crédit photo : Émile Ouroumov.
Matthieu Saladin, Super 45, 2019. Les supports (scénographie d’un mobilier de bureau), 2019. Production : BBB centre d’art, Toulouse. Vue de l’exposition «Temps partiels II. Flextime » au BBB centre d’art, 2019. Curateur & crédit photo : Émile Ouroumov.
Matthieu Saladin, Super 45, 2019. Les supports (scénographie d’un mobilier de bureau), 2019. Production : BBB centre d’art, Toulouse. Vue de l’exposition «Temps partiels II. Flextime » au BBB centre d’art, 2019. Curateur & crédit photo : Émile Ouroumov.
Matthieu Saladin, Horloge lestée, 2019. Production : BBB centre d’art, Toulouse. Vue de l’exposition « Temps partiels II. Flextime » au BBB centre d’art. Curateur & crédit photo : Émile Ouroumov.
Matthieu Saladin, Horloge lestée, 2019. Production : BBB centre d’art, Toulouse. Vue de l’exposition « Temps partiels II. Flextime » au BBB centre d’art. Curateur & crédit photo : Émile Ouroumov.
Matthieu Saladin, Le nombre du besoin, 2019. Production : BBB centre d’art, Toulouse. Graphisme : Huz & Bosshard. Dominique Mathieu, Fût, 2019. Vue de l’exposition de Matthieu Saladin «Temps partiels II. Flextime » et de Dominique Mathieu « Riposte » au BBB centre d’art, 2019. Curateur & crédit photo : Émile Ouroumov.
Matthieu Saladin, Le nombre du besoin, 2019. Production : BBB centre d’art, Toulouse. Graphisme : Huz & Bosshard. Dominique Mathieu, Fût, 2019. Vue de l’exposition de Matthieu Saladin «Temps partiels II. Flextime » et de Dominique Mathieu « Riposte » au BBB centre d’art, 2019. Curateur & crédit photo : Émile Ouroumov.
Dominique Mathieu, « Riposte », 2019. Vue de l’atelier du manifestant au BBB centre d’art. Production : BBB centre d’art, Toulouse.
Dominique Mathieu, « Riposte », 2019. Vue de l’atelier du manifestant au BBB centre d’art. Production : BBB centre d’art, Toulouse.
Dominique Mathieu, « Riposte », 2019. Vue de l’atelier du manifestant au BBB centre d’art. Production : BBB centre d’art, Toulouse.
Dominique Mathieu, « Riposte », 2019. Vue de l’atelier du manifestant au BBB centre d’art. Production : BBB centre d’art, Toulouse.
Matthieu Saladin, Organiser son temps professionnel (module de formation nocturne), 2019. Production : BBB centre d’art, Toulouse. Vue lors de l’exposition «Temps partiels II. Flextime » au BBB centre d’art, 2019. pendant le déroulement de la formation « Organiser son temps professionnel ».
Matthieu Saladin, Organiser son temps professionnel (module de formation nocturne), 2019. Production : BBB centre d’art, Toulouse. Vue lors de l’exposition «Temps partiels II. Flextime » au BBB centre d’art, 2019. pendant le déroulement de la formation « Organiser son temps professionnel ».
Matthieu Saladin, Organiser son temps professionnel (module de formation nocturne), 2019. Production : BBB centre d’art, Toulouse. Vue lors de l’exposition «Temps partiels II. Flextime » au BBB centre d’art, 2019, pendant le déroulement de la formation « Work Better ».
Matthieu Saladin, Organiser son temps professionnel (module de formation nocturne), 2019. Production : BBB centre d’art, Toulouse. Vue lors de l’exposition «Temps partiels II. Flextime » au BBB centre d’art, 2019, pendant le déroulement de la formation « Work Better ».