Sadek Rahim, GRAVITY 3

Sadek Rahim, GRAVITY 3

Vue de l’exposition Gravity³, solo show de Sadek Rahim au MAMO, Musée national d’Art Moderne et contemporain d’Oran Photo Florian Gaité

EN DIRECT / Exposition Gravity³, solo show de Sadek Rahim au MAMO, Musée national d’Art Moderne et contemporain d’Oran, Algérie
par Marie Deparis-Yafil

L’exposition solo de Sadek Rahim, intitulée Gravity³, constitue la première exposition d’art contemporain monographique d’envergure présentée au Musée d’Art Moderne et Contemporain d’Oran, ouvert en 2017. Sur près de 4000 m2 carrés, au coeur de la ville et dans les anciens grands magasins (ex Galeries de France, datant de 1922), Gravity³ déploie tout l’univers de Sadek Rahim, artiste natif et vivant à Oran, que la carrière a mené de Londres à Dubaï, de Buenos Aires à Saint-Louis du Sénégal. Gravity³ est aussi la première exposition personnelle de Sadek Rahim dans sa ville natale depuis son exposition « Words », il y a douze ans, au Musée Zabana.

Avec Gravity³, Sadek Rahim investit la totalité des espaces disponibles du MAMO, offrant au visiteur une expérience inédite au travers d’une trentaine d’oeuvres de tous médias, toutes produites spécifiquement pour l’exposition, auscultant l’Histoire de l’Algérie, ses richesses et ses renoncements, ses illusions et ses drames et aujourd’hui, plus que jamais, ses espoirs, des espoirs nouveaux, non plus d’hypothétiques Eldorados, mais d’ « ici et maintenant ». Peintures, sculptures, dessins, installations et vidéos permettent ainsi de découvrir l’univers de l’artiste, profondément inspiré par les matériaux et les formes iconographiques liés à la culture algérienne mais aussi soustendu par le bouleversement politique que vit l’Algérie aujourd’hui.

Ce tournant de l’Histoire de l’Algérie rejoint la manière sensible et critique avec laquelle Sadek Rahim traite depuis toujours, dans son travail, les problématiques de la jeunesse algérienne, les relations complexes entre Orient et Occident, le déracinement, le désir d’exil, et l’illusion de l’eldorado. Première exposition d’art contemporain d’une nouvelle ère, celle d’après Bouteflika, Gravity³ développe une sémantique métaphorique critique à partir de matériaux et de formes iconographiques liés à la culture algérienne se constituant en éléments formels signifiants, dans un processus de confrontation, entre pesanteur et envol, immobilité et arrachement à la terre, un dialogue permanent dégageant forces et tensions.

Le titre de l’exposition, Gravity³, joue sur la polysémie du mot « gravité » en français. La gravité, c’est d’abord le champ de la pesanteur, ce qui attire et retient au sol. Force fondamentale qui régit l’Univers, la gravité est à la fois ce qui permet et limite le mouvement. « Je trouve ironique », dit à ce sujet Sadek Rahim, « que cette force de la nature qui affecte des espaces aussi loin en distance que les corps célestes soit en même temps la force qui nous retienne immobile sur terre, dans notre pays. »

Quant au « ³ », il fait écho à la notion de masse, de volume. L’utilisation symbolique de cette expression de la puissance algébrique de multiplication et du prisme solide de la géométrie euclidienne évoque le cube de béton que l’on voit le long des ports, sur lesquels les jeunes s’assoient pour observer -et rêver à – l’horizon, et qui a souvent inspiré Sadek Rahim comme élément symbolique de la force d’inertie. Le cube, qui symbolise la Terre, la stabilité, notamment du monde matériel, est aussi la matière de l’architecture et de la construction. Il renvoie alors autant à des projets urbains en déshérence, qu’à l’idée d’un autre monde à édifier.

A l’utilisation récurrente du béton répond celle de l’objet « tapis », dans un processus de confrontation et de dialogue, entre « lester » et « délester », « construire » et « déconstruire ».

Depuis plusieurs années, l’immigration clandestine des jeunes algériens vers l’Europe, le déracinement, le désir d’exil, et l’illusion de l’eldorado ont été au coeur du travail de Sadek Rahim, soutenu par une réflexion nourrie des textes de Sayad ou de Bourdieu.

Elément domestique commun à tous les intérieurs algériens, le tapis cristallise, matérialise, l’idée du départ au travers du mythe de la lévitation qui lui est attaché.

Le tapis est l’objet a priori le plus accessible au premier regard, tant il est un élément commun à tous les intérieurs algériens. Sadek Rahim explique : « A l’occasion de discussions, j’ai souvent été invité chez eux par les jeunes que j’observais pour mon travail. Dans les villages, généralement, le moyen de s’assoir et de recevoir les invités au salon consiste souvent en un grand tapis, des grands coussins et une table basse. Le plus souvent, le tapis est simple, acheté au marché du coin. Je ne pouvais m’empêcher à chaque fois de penser au mythe du tapis volant, lorsque ces jeunes commençaient a parler du projet de leur vie, de ce qui semblait être leur rêve ultime – une utopie- : vivre dans un monde qu’il ne connaissent que par la télé, l’Europe. »

Matérialisation, et métaphore, du mythe de la lévitation, le tapis « volant » est l’objet qui permet, littéralement, de s’arracher à la pesanteur, de voler vers une destination meilleure. Chez Sadek Rahim, l’utilisation du tapis comme moyen plastique est une manière de « mettre en échec le mythe du tapis volant comme métaphore de l’échec du mythe de l’eldorado ». Dans Gravity³, le tapis est déconstruit, mis en pièce, disséminé en particules volatiles, réduit en cendres…mais dans le même temps réhabilité en création plastique, comme un nouveau départ.

Nouvellement venus dans le vocabulaire de Sadek Rahim, les éléments mécaniques – pompes, moteurs…- font écho au regard critique que pose l’artiste sur la politique économique menée dans le pays depuis plusieurs décennies : ce qui est cassé, obsolète, à l’abandon, ce qui a été perdu, gâché, ce qui ne fonctionne plus…Au travers de ces objets de rebut, symbole pour l’artiste d’une Algérie en panne, la sémantique, au propre comme au figuré du « moteur » et de la force motrice est ici convoquée.

C’est ainsi tout l’univers quotidien de l’Algérie dans laquelle vit l’artiste, réapproprié, repensé, avec poésie et acuité, et un regard à la fois critique et confiant.

Enfin, parce que le mouvement est précisément ce qui défie la gravité, Sadek Rahim a initié une collaboration avec le chorégraphe Angelin Preljocaj, dont la captation de l’oeuvre « Gravité » est présentée en exclusivité au coeur de l’exposition.

Gravity³ donne, dans son foisonnement, matières à voir et à penser les outils critiques, politiques et esthétiques, de l’espoir et de la révolution. En ce moment historique pour l’Algérie, l’exposition de Sadek Rahim rappelle à quel point l’art et la création infusent le sens de l’Histoire, l’exprime, la comprend, et ouvre des voies.

Marie Deparis-Yafil, commissaire de l’exposition

SADEK RAHIM, GRAVITY³
MAMO
Musée d’Art Moderne et Contemporain d’Oran
Oran, Algérie
Du 07 juillet au 31 août 2019

Catalogue de l’exposition à venir

Vue de l'exposition Gravity³, solo show de Sadek Rahim au MAMO, Musée national d'Art Moderne et contemporain d'Oran Photo Florian Gaité
Vue de l’exposition Gravity³, solo show de Sadek Rahim
au MAMO, Musée national d’Art Moderne et contemporain d’Oran
Photo Florian Gaité
Vue de l'exposition Gravity³, solo show de Sadek Rahim au MAMO, Musée national d'Art Moderne et contemporain d'Oran Photo Faouzi Louadah
Vue de l’exposition Gravity³, solo show de Sadek Rahim
au MAMO, Musée national d’Art Moderne et contemporain d’Oran
Photo Faouzi Louadah
Vue de l'exposition Gravity³, solo show de Sadek Rahim au MAMO, Musée national d'Art Moderne et contemporain d'Oran Photo Marie Deparis-Yafil
Vue de l’exposition Gravity³, solo show de Sadek Rahim
au MAMO, Musée national d’Art Moderne et contemporain d’Oran
Photo Marie Deparis-Yafil