ADRIEN BONNEROT, PROJET I.IV.IX

ADRIEN BONNEROT, PROJET I.IV.IX

Initié par l’artiste Adrien Bonnerot le projet I.IV.IX² s’inscrit dans la continuité de ses recherches autour de la «grille».  Neuf plasticiens sont invités à investir une matrice vierge créée par l’artiste. Cette exposition est le second volet de cette expérimentation.

I.IV.IX. tisse un dialogue entre différentes pratiques du champ de la création – design, illustration, art contemporain – autour d’un outil commun. Ce dialogue est investi jusque dans les éléments graphiques de communication du projet qui participent pleinement de l’expérience. Ces éléments sont créés à partir de la même grille confiée aux plasticiens, et se rejouent au gré des collaborations. Cette intervention a été confiée au studio de design graphique Stéréo Buro qui propose au cours de cette exposition une édition traduisant la première étape du projet. Cette édition, conçue à partir des archives du projets, s’apparente davantage à un livre d’artiste qu’à un catalogue d’exposition. Le processus éditorial c’est en effet inspiré du principe du projet en laissant carte blanche à Stéréo Buro tant d’un point de vu graphique qu’éditorial.

Les pièces présentées à la Villa Belleville étaient le résultat des expérimentations des neuf intervenants. Mises en dialogue dans cette première restitution du projet, certaines ont, pour ce deuxième volet été retravaillées ou augmentées. Elodie Mallet journaliste et chercheuse met en lumière les enjeux philosophiques, scientifiques, méthodologiques ou artistiques soulevés par ces propositions dans un texte présenté dans l’exposition.

Mathématiques et création artistique s’entremêlent depuis l’Antiquité. Cette porosité, entre les deux disciplines, s’incarne dans un des exemples les plus signifiants : la grille géométrique, structure formelle abstraite à deux dimensions, composée d’axes verticaux et horizontaux se croisant. 

Cette exposition tend, d’une part, à montrer la relation entre la grille et l’acte de création et d’autre part, à pouvoir l’appréhender au travers de différentes interventions et d’une pluralité de propositions. Il semble intéressant de questionner  le dialogue entre la grille et l’artiste, qui varie en fonction de l’individu et de sa pratique, mais également comment une même grille, construite grâce à un système géométrique strict, offre a contrario une variété d’interprétations. 

La grille n’est alors ici plus seulement considérée comme un outil technique, mais également comme un outil de partage. 

Dix artistes se sont donc vu confier, sous la forme d’affiches, la même matrice sur laquelle ils sont intervenus librement. Le choix du format des supports fournis aux artistes est inhérent aux systèmes de proportions géométriques utilisés. Il s’agit ici de 1/4/9 les trois premiers termes de la suite des carrés parfaits. La notion de proportion absolue, que l’on retrouve principalement avec le nombre d’or, est fortement liée à une forme de mysticisme. Le format atypique des affiches est établi par rapport à celui du monolithe de 2001 l’Odyssée de l’espace ou plus précisément par rapport aux dimensions décrites (1/4/9) dans 2010 l’année du premier contact, sequel du film de Kubrick. La couleur noire du papier double la référence au monolithe et fait intervenir la notion de lumière, renforcée par le vernis qui révèle la grille et qui, à la manière d’une image lenticulaire, modifie la perception de l’œuvre en fonction de l’angle de vue . La grille peut disparaître pour révéler l’intervention de l’artiste ou au contraire prendre le pas sur celle-ci. 

Le choix des dix artistes s’est fait dans une volonté de transdisciplinarité. La grille se retrouvant dans de nombreuses pratiques, elle est ici un moyen de créer du lien entre celles-ci et de confronter des approches multiples autour d’un objet d’étude commun. Des graphistes (Diane Boivin, Fanette Mellier & Lézard graphique), des designers (Pernelle Poyet, David Dubois), des illustrateurs (Mathieu Pauget, Lucas Ribeyron) et des peintres et plasticiens (Antoine Aguilar, Mathilde Ollitraut-Bernard, Florian & Michael Quistrebert) se sont vu attribuer quatre affiches de 1000 x 450 mm et neuf affiches de 500 x 236 mm chacun. Une liberté totale d’intervention leur a été laissée. Ils ont ainsi pu mettre en jeu n’importe quel médium, jusqu’à remettre en cause l’intégrité-même de l’affiche. 

Fanette Mellier s’est affranchie du support de l’affiche et a greffé la grille à son livre Le papillon imprimeur. Ce livre contient une collection de papillons dont les ailes polychromes créent un mystérieux nuancier. Chaque exemplaire est unique, et les pages détachables permettent de combiner 12 papillons de jour et 12 papillons de nuit en. Elle a donc  réimprimé des pages de son livre en utilisant la grille comme motif dans les ailes. Les nouveaux papillons sont ensuite insérés entre les pages existantes. Fanette propose ainsi un objet unique dans lequel elle souligne la présence de la grille dans sa pratique de graphiste. Elle crée un objet hybride entre édition et pièce unique,  une vanité dans laquelle ce squelette de papillon révèle la fugacité de l’oeuvre graphique. Les membres de Lézard graphique, atelier de sérigraphie basé à Brumath, ont, quant à eux, mis au service de ce projet tout leur savoir-faire technique et ont trouvé une technique d’impression utilisant une poudre renforçant  ainsi la métaphore du papillon qui tire ses couleurs de ses écailles microscopiques que nous percevons comme une poudre. Dans cette analogie entre papillons et oeuvre graphique, ils proposent une allégorie du vivant. La grille fantomatique qui a été ici ajoutée nous révèle les secrets de l’acte créateur. Dans ce deuxième volet elle continu de confronter la grille fournie à sa pratique. 

C’est aussi dans l’abstraction du vivant que Mathilde Ollitraut-Bernard fait vibrer la lumière dans un nuage de graphite. C’est par les variations de densité qu’elle cache ou dévoile la grille. Elle déploie dans un quadriptyque une entité floue qui se heurte à la structure de la matrice, un objet quasi vivant, en expansion, qui donne l’impression de se construire dans la contrainte du système. 

Pernelle Poyet, quant à elle, a recréé à partir de la grille donnée un support de dessin isométrique et développe trois «autels particuliers». Elle détaille et analyse ici un processus créatif qui lui est propre, l’illustre par une série de dessins et le met en oeuvre dans la production d’objets de culte en volume dont les traitements de surface reprendront les jeux de brillances des affiches. Elle met en résonance les questionnements mystico-mathématiques du projet dans ces petits objets de dévotion indéfinis. En jouant sur l’imbrication entre la création, la méthode, les mathématiques et le divin, elle questionne la place de la pensée créatrice face à un divin potentiel.

L’approche analytique de Lucas Ribeyron fait écho à celle de Pernelle. Là où elle s’attache à analyser sa propre pratique, Lucas lui veut étudier, par le dessin, la construction d’oeuvres classiques. Tout l’enjeu ici est d’envisager le dessin comme un outil analytique à la manière d’une radiographie. En y appliquant ses propres trames, Lucas légende l’image, en  isole les éléments pour tendre à l’abstraction. Il joue avec la grille pour déconstruire le dessin et en montrer les erreurs  de perspective. Se basant sur le travail de Daniel Arasse il voit ici l’erreur de perspective comme représentation de l’invisible, du magique, du divin. Il décompose par le rayonnement lumineux les différents niveaux de construction. S’inspirant de la dégradation des images par le biais de la radiographie il les déconstruit par le geste et comme en physique quantique, l’analyse détruit automatiquement l’objet observé. Il dévoile une structure spectrale, reconstruit une vision fantasmée de l’oeuvre et révèle par des points de tensions l’ombre (simulacre) du divin.

Florian et Michaël Quistrebert quant à eux ont investi l’objet dans une série de gifs. Ils ont scanné la grille puis fait tourner l’image numérisée créant ainsi des animations hypnotiques. L’image clignote et tourne frénétiquement, nous plongeant dans une transe à la limite de l’épilepsie. Ces gifs sont diffusés sur deux écrans superposés. Si l’on envisage la grille comme l’un des piliers du modernisme, la trivialité du médium et le traitement infligé à cette grille  «brutalise la rétine» et  place le spectateur face à la mise en scène grotesque de gestes classiques dans un rapport violent. Ils nous proposent ainsi une pièce «physiquement mentale» qui agresse à la fois l’oeil et la psyché. 

La fureur que Mathieu Pauget met en oeuvre est plus narrative que sensible. Il nous expose, dans deux polyptyques, une représentation de la violence par une superposition d’images et de matières. En utilisant la grille comme armature pour organiser ses images,  il imprime dans la structure de l’affiche la stratification d’une représentation de la violence. Chaque dessin sera produit grâce à une technique picturale propre. Ces procédés ont été choisis pour leurs qualités optiques, certains réfléchissent la lumière d’autre l’absorbent. La volonté est ici de démultiplier l’effet lenticulaire de l’affiche. A travers ce processus, il décrit, souligne, compose, recouvre sa vision d’une violence dont les éléments apparaissent ou disparaissent selon le point de vue créant une narration contextualisée, un récit qui se livre dans l’espace et le temps.

David Dubois inscrit cette expérience dans une réflection sur sa pratique. A partir de ses archives il recompose, sur la grille, une forme de narration. Dans une démarche introspective, il compile, découpe, colorie et assemble ses éléments graphiques dans un livre objet qui utilise, outre la grille fournie et ses fragments d’archive personnelle, des matériaux de construction quasi bruts qui viennent ponctuer et articuler son récit. C’est ainsi à travers une manipulation «contrainte» que cet objet prend tout son sens et rejoue la trame dans la définition qu’en donne Jean François Chevrier dans La trame et le hasard  : « De manière figurée, à travers la métaphore du tissage, la trame désigne aussi le complot, l’intrigue ; on trame une conspiration. Dans tous les cas, le mot suggère une idée de régularité et de continuité. Cette continuité peut être rompue. La trame peut être déchirée comme le fil peut être coupé. «  

Jean-François Chevrier, La trame et le hasard, Paris, L’Arachnéen, 2010, p. 7.

Pour Antoine Aguilar la violence apparaît comme une forme de dénouement. Il réalise ici le fantasme de Daria dans Zabriskie point, explose la structure de l’affiche et l’éparpille sur une toile bleu ciel. Dans la lignée de son travail sur la décomposition de l’image, il peint le dos de l’affiche puis découpe les 10 924 formes qui la composent. Enfin il lance ces “confettis” sur une toile enduite de colle. C’est donc dans un dialogue subtil entre le découpage méticuleux des éléments et le geste brutal de leur dispersion qu’il semble trouver l’équilibre. Dans ce va-et-vient entre maîtrise et aléatoire se dénoue son approche du projet dont les problématiques se résolvent d’autant mieux qu’elles font écho au geste cinématographique d’Antonioni.

«DEUS EX MACHINA», cette phrase mise en exergue par Diane 

Boivin dans son installation relève du mantra. Si pour Antoine la fin paraît venir de la destruction du système, ici c’est le système qui permet la résolution de l’intrigue. Deus ex machina est un terme dramaturgique qui signale une ruse grossière permettant la résolution simpliste d’une situation complexe. Sur sept affiches accrochées sur des bras articulés sont sérigraphiées en blanc les lettres D.E.U.S. E.X  dans une typographie dessinée à partir de  la grille. Diane superpose ensuite les lettres M.A.C.H.I.N.A  qui sont vernies à la main. Sa typographie dessinée sur la grille donne à voir cette machine dans un jeu d’imbrication oulipien entre la grille, le mot et la lumière dévoilant les mécanismes d’une mise en scène divine. En confrontant “divine proportion” et “deus ex machina” elle propose une résolution de l’intrigue tout en questionnant la présence de la grille et de la proportion mathématique comme source d’absolu et révélation d’une abstraction divine.

 

Infos pratiques

08 AU 19/02 – I.IV.IX. ² – ATELIER W PANTIN

Second volet du projet I.IV.IX initié par l’artiste Adrien Bonnerot en collaboration avec neuf plasticiens Antoine Aguilar, Diane Boivin, David Dubois, Fanette Mellier & Lézard graphique, Mathilde OB, Mathieu Pauget, Pernelle Poyet, Florian & MIchael Quistrebert, Lucas Ribeyron (Atelier Co-op)

 

 

vue du projet PROJET I.IV.IX, atelier W Pantin 2019
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vue du projet PROJET I.IV.IX, atelier W Pantin 2019
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vue du projet PROJET I.IV.IX, atelier W Pantin 2019
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vue du projet PROJET I.IV.IX, atelier W Pantin 2019
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vue du projet PROJET I.IV.IX, atelier W Pantin 2019
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vue du projet PROJET I.IV.IX, atelier W Pantin 2019
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vue du projet PROJET I.IV.IX, atelier W Pantin 2019
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vue du projet PROJET I.IV.IX, atelier W Pantin 2019
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