DE NATURA RERUM, galerie du théatre du Chevalet, Noyon

DE NATURA RERUM, galerie du théatre du Chevalet, Noyon

Vue de l’exposition DE NATURA RERUM
Premier plan :
Forêt contrôlée – 2018 de Morgane Porcheron
Béton, acier, branches de laurier et de cerisier, installation variable
Deuxième plan :
Sur la route I, II, II et Le chemin de l’Arselle II – 2015 de Sylvie Plateau
Acrylique sur toile

EN DIRECT / Exposition DE NATURA RERUM, exposition collective avec Isabel Bisson-Mauduit, Nicolas Delliac, Sylvie Plateau, Morgane Porcheron et JP Racca Vammerisse, du 15 janvier au 15 avril 2020, galerie du théatre du Chevalet, Noyon

De natura rerum

La locution latine De natura rerum a été choisie par les artistes pour titre de leur exposition commune. Le latin comme modus operare…Certains d’entre nous verront dans cette expression un rapport avec la cathédrale de Noyon (on y parlait latin encore au milieu du siècle dernier). Les plus savants iront relire Lucrèce. D’autres transposeront la formule latine dans une approche contemporaine : la nature des choses, ce qu’elles sont, ce qu’elles deviennent. « De natura rerum » fut un ample poème, constitué de six livres en latin du philosophe Lucrèce (premier siècle avant JC). Il s’agissait pour lui d’y révéler la réalité du monde et ses phénomènes naturels pour éviter à l’homme de n’être guidé que par les superstitions et les croyances.

De natura rerum réunit cinq artistes, Isabel Bisson-Mauduit, Nicolas Deillac, Sylvie Plateau, Morgane Porcheron et JP Racca Vammerisse, autour de la thématique de la nature que chacun d’entre eux parcourt différemment. Ces artistes présentent plusieurs points communs dont le goût pour le travail « fait main ». Dans le sens du travail manuel, Isabel Bisson Mauduit coud, brode et manipule le fil comme un outil servant au dessin ou à la peinture. D’une autre façon, Nicolas Delliac, assemble et mixe à la fois objets usuels, matériaux de construction, carton, terre et enregistrements sonores. Sylvie Plateau, qui a retenu de sa formation en archéologie les techniques du dessin privilégie notamment l’épure, un dessin au trait exécutant le contour d’une figure à trois dimensions en plan, en profil et en élévation. De son côté, Morgane Porcheron glane, dans son environnement proche, des matières naturelles, des résidus de construction qu’elle imbrique ensuite à des matériaux qu’elle fabrique de manière artisanale et technique à la fois. JP Racca Vammerisse, quant à lui, s’adonne dans sa pratique au modelage, façonnant des pièces colorées émaillées. Tous ont une pratique du dessin et de la manufacture (le « fait main ») de l’objet liée à une technicité : la couture, la broderie, le modelage, l’émaillage, le moulage, la cuisson, l’estampage, le découpage, le sciage, l’assemblage, le collage.

L’autre axe de complémentarité entre ces plasticiens et de concordance entre leurs créations tourne autour de la nature. Suivant les spécificités de leur recherche individuelle, la nature est abordée différemment. Depuis les réflexions actuelles sur le paysage, en passant par les questions environnementales, le thème de la nature se décline jusqu’à l’impact des actions de l’homme sur les écosystèmes et les choses. Elle est vue comme fragile et temporaire : les notions de vie, de naissance et de mort y apparaissent intimement liées. La nature humaine se trouve aussi en jeu dans De natura rerum, mise en scène par l’artiste dans des installations singulières.

« La nature rend chacun de nous capable de supporter ce qui lui arrive » Marc-Aurèle

A l’affût de l’actualité, des pratiques actuelles sociétales, Isabel Bisson-Mauduit interprète et intègre ces faits telle une image cinématographique dans ses travaux d’aiguille. Ainsi, ses forêts sombres de haute futée que certains trouveront accueillantes, que d’autres jugeront inhospitalières, cachent en leur sein des migrants et leurs tentes. Elle utilise des photographies. Sur l’une d’entre elles, figure le buste d’un homme couché. Au premier plan, on distingue un avant-bras sur lequel l’artiste a brodé un paysage onirique, véritable tatouage que l’homme photographié contemple. Isabel Bisson Mauduit détourne ainsi notre attention, elle occulte la blessure de cet homme, que l’on peut imaginer, couché sur un lit d’hôpital. Elle prend soin, par un travail minutieux de fils brodés, de recoudre, comme un chirurgien, les douleurs humaines, en les recouvrant ; ainsi elle protège ces réfugiés dans une nature accueillante et isolante à la fois. Isabel Bisson-Mauduit tente de donner un peu de chaleur à la violence froide de notre rapport à l’autre.

« Il n’y a pas de frontière entre l’imaginaire et le réel » Federico Fellini

Le rythme de la vie, en liaison avec le mouvement du son, motivent les recherches de Nicolas Delliac. En effet, pour lui, la nature est vivante, elle nait, croît, décroît et s’éteint comme le tempo d’une sonorité. Que ce soit en élevant une sculpture ou en mixant du son, il empile, superpose et assemble à la fois des éléments naturels et artificiels, de la terre avec du carton, du métal ou des objets pour ses créations en volume, des enregistrements de voix ou des prises de son dans la nature avec des mixages en studio de bruits artificiels ou de musiques pour ses compositions sonores. A travers ses enregistrements, l’artiste nous incite à écouter une histoire à la fois naturelle et artificielle. Les œuvres en trois dimensions, quelquefois ligaturées, tuteurées avec des fers de soutènement, font songer à une fin de vie. La nature que Nicolas Delliac donne à voir, est informe, brinquebalante, au bord de l’effondrement. Les ouvrages macabres, à la facture proche de l’ébauche, rappellent certaines mises en scène théâtrales comme « La classe morte » de Tadeusz Kantor, ou chorégraphiques, comme « May be » de Maguy Marin.

« J’ai vu des alizés déployer des nuages de paysage en gouttelettes » Michel Butor

Le paysage, thème récurrent de l’œuvre de Sylvie Plateau met en scène l’attraction terrestre à travers une représentation de l’horizon. C’est pourquoi la gravité qui ordonne la verticalité à la nature et à toute construction alimente les créations de l’artiste. Sa vision se construit face au paysage, en parallèle, frontale, et Sylvie Plateau dresse, plante le décor, invitant à une forme de contemplation. Pour ses collages ou ses hauts-reliefs, Sylvie Plateau réalise des empreintes, des traces à partir de supports textiles et de matériaux divers auxquels elle redonne forme en les découpant. Ensuite, elle associe ces surfaces, au contour épuré, qu’elle assemble comme un patron de couture en les superposant. Sylvie Plateau s’intéresse particulièrement au tracé de la ligne, qui dans sa peinture engendre un vocabulaire autour de la notion d’élévation. Graphiquement, elle accentue la verticalité du trait et le sens de la gravité par un jeu de coulures. Le geste du pinceau nourrit son propre tracé dans un mouvement ascendant et descendant. La couleur blanche ou l’espace blanc laissé vacant prennent la fonction de rehauts qui accentuent le contraste et la profondeur. Ses créations évoquent le calme plat d’un paysage maritime, d’un champ ou d’une futaie. 

« L’homme pille la nature, mais la nature finit toujours par se venger » Gao Xingjian / La montagne de l’âme

C’est à proximité de son lieu de travail, dans une nature domestiquée, que Morgane Porcheron trouve son terrain de prédilection. Le jardin, la zone en jachère, le terrain en friche, lui procurent une source inépuisable d’éléments à collecter : terre végétale, mousse, poussière, grille abandonnée, ferraille, graines, végétaux secs ou vivants…Par la photographie, elle fixe aussi des instants de vie de son environnement en mouvement ou en construction. De retour à l’atelier, elle compose son oeuvre avec cette récolte, l’associant avec des médiums comme le plâtre, la terre pour céramique ou le latex et des matériaux manufacturés ou industriels … Elle aiguillonne notre regard dans un subtil jeu autour du naturel, du Ready-made, de l’artificiel et du pseudo naturel. Ainsi elle confectionne l’image d’une terre aride artificielle, assemblant des plantes sauvages en céramique (pissenlits, boutons d’or, coquelicots), à des tiges de fer d’armature rouillé et plié. De cette œuvre « Les sauvages (2019) » émane une vision de fin du monde où l’artificiel aurait remplacé le naturel et où les structures de soutènement d’une rare trace de vie finiraient par péricliter et s’effondrer. Souvent, les intentions de Morgane Porcheron apparaissent, beaucoup plus optimistes. En témoignent ses photographies de chantier où viennent s’interposer en relief et s’accrocher de réels fragments de branchages comme la capacité de la vie à se rebiffer contre nos agressions. Pour preuve aussi, ses grillages récupérés qu’elle installe et qui ne résistent pas à l’assaut d’une végétation grimpante. L’artiste nous donne à voir une nature capable d’intégrer, d’ingurgiter, d’absorber les constructions humaines. Elle est plus puissante que l’homme !

« De même que tout est mortel dans la nature, de même toute nature atteinte d’amour est mortellement atteinte de folie » William Shakespeare / Comme il vous plaira

La nature pour JP Racca Vammerisse, végétale ou humaine, est amenée à parcourir un cycle de l’éclosion, la naissance, à la mort, et à renaître de son humus ou de ses graines. En ce sens, l’artiste se plonge au plus profond des entrailles et de la temporalité du vivant. Il représente des objets, des animaux en peluche, des plantes, des corps en voie de dépérissement, martyrisés ou statufiés. Pour ce faire, JP Racca Vammerisse parcourt allègrement l’histoire de l’art. Il chemine de la période gothique au mouvement Gothic Fantasy et associe sculpture et peinture baroques aux installations et aux couleurs des nouveaux réalistes, du Pop art et du Ready-made. Son travail sculptural s’oriente autour de productions à la fois fantasmées et réalistes mais aussi ludiques et sinistres, en lien étroit avec les éléments constitutifs de la nature morte. Par la sculpture, il compose de manière baroque des grappes conjointes d’objets entre-collés et les enduit généralement de couleurs brutes, « flashy » et acides. 

Quand il conçoit des œuvres plus ténébreuses, sa palette devient plus sombre, automnale. JP Racca Vammerisse pratique un art tantôt de chaman, tantôt de marabout ou de Docteur Frankenstein. Dans cet esprit, « Trinity of decay » forme un trio de sculptures en pied, représentant une allégorie de la mort. En trois étapes, la nature exécute son ouvrage de décomposition : elle passe par l’image de l’écorché. Les champignons trouvent un terreau propice où toute trace de l’humain disparaît et un gargouillis de bulles indique la renaissance de bulbes et d’un humus fertile. C’est une Vanité que nous propose JP Racca Vammerisse. En effet, aux éléments de la nature s’ajoute un acteur fondamental de celles-ci : le crâne. Cette oeuvre invite à méditer sur la nature passagère de la vie humaine. Notre existence sur terre ne s’assimilerait-elle pas à celle d’une simple plante ?

« Créer c’est penser plus fortement » Pierre Reverdy

Sous le regard d’Isabel Bisson-Mauduit, Nicolas Deillac, Sylvie Plateau, Morgane Porcheron et JP Racca Vammerisse, on découvre que la définition du mot « nature » est complexe, multiple, et que chaque artiste y trouve un sens, intime et polymorphe. Le travail sur la notion de nature oscille sur différents plans, se joue de la nature vivante à la nature morte, du paysage sur le motif au paysage intérieur. La nature humaine se trouve, évidemment, mise en jeu dans De natura rerum, particulièrement sa fragilité et son impuissance face au temps fugitif et à l’environnement vulnérable. 

Ne pourrait-on pas dire aussi que ces artistes révèlent leur véritable nature à travers leurs choix créatifs et la mise en scène de leur réflexion sur leur environnement ?

Texte de Clotilde Boitel

Vue d'ensemble de l'exposition DE NATURA RERUM
Vue d’ensemble de l’exposition DE NATURA RERUM
Premier plan : Forêt contrôlée (détail) - 2018 de Morgane Porcheron Béton, acier, branches de laurier et de cerisier Installation Variable Deuxième plan : Le chemin de l'Arselle II  (détail)  - 2015 de Sylvie Plateau Acrylique sur toile 198 x 147,5 cm
Premier plan : Forêt contrôlée (détail) – 2018 de Morgane Porcheron
Béton, acier, branches de laurier et de cerisier Installation Variable
Deuxième plan : Le chemin de l’Arselle II (détail) – 2015 de Sylvie Plateau
Acrylique sur toile 198 x 147,5 cm
Premier plan : Forêt contrôlée (détail) - 2018 de Morgane Porcheron Béton, acier, branches de laurier et de cerisier Installation Variable Deuxième plan : Sur la route I et II  - 2015 de Sylvie Plateau Acrylique sur toile 198 x 147,5 cm et 130 x 144 cm
Premier plan : Forêt contrôlée (détail) – 2018 de Morgane Porcheron
Béton, acier, branches de laurier et de cerisier Installation Variable
Deuxième plan : Sur la route I et II – 2015 de Sylvie Plateau
Acrylique sur toile 198 x 147,5 cm et 130 x 144 cm
Premier plan :  Trinity of Decay (détail) - 2019 de JP Racca Vammerisse Sculpture polychrome de céramiques émaillées 130 x 33 cm
Premier plan : Trinity of Decay (détail) – 2019 de JP Racca Vammerisse
Sculpture polychrome de céramiques émaillées 130 x 33 cm
À gauche : Bataille - 2016 de Isabel Bisson Mauduit Techniques mixtes de broderie main et machine sur tissu de lin 120 x 80 cm À droite : Après l'incendie #4 - 2016  de Isabel Bisson Mauduit Techniques mixtes 140 x 60 x 35 cm
À gauche : Bataille – 2016 de Isabel Bisson Mauduit
Techniques mixtes de broderie main et machine sur tissu de lin 120 x 80 cm
À droite : Après l’incendie #4 – 2016 de Isabel Bisson Mauduit
Techniques mixtes 140 x 60 x 35 cm
Premier plan : Prototype céramico-sonore  - 2019 de JP Racca Vammerisse Sculpture émaillée monochrome  55 x 40 x 29 cm Dedans : NaturaDraculaChamp - 2019 de Nicolas Delliac  Création sonore,  8'05 min
Premier plan : Prototype céramico-sonore – 2019 de JP Racca Vammerisse
Sculpture émaillée monochrome 55 x 40 x 29 cm
Dedans : NaturaDraculaChamp – 2019 de Nicolas Delliac Création sonore, 8’05 min
Vue d'ensemble de l'exposition DE NATURA RERUM
Vue d’ensemble de l’exposition DE NATURA RERUM
Premier plan : Forêt contrôlée (détail) - 2018 de Morgane Porcheron Béton, acier, branches de laurier et de cerisier Installation Variable Deuxième plan : Sur la route I (détail)  - 2015 de Sylvie Plateau Acrylique sur toile 198 x 147,5 cm
Premier plan : Forêt contrôlée (détail) – 2018 de Morgane Porcheron
Béton, acier, branches de laurier et de cerisier Installation Variable
Deuxième plan : Sur la route I (détail) – 2015 de Sylvie Plateau
Acrylique sur toile 198 x 147,5 cm
À gauche : Composition à deux tiges - 2018 de Morgane Porcheron Acier et branche 93 x 12 x 24 cm Au milieu : Bataille - 2016 de Isabel Bisson Mauduit Techniques mixtes de broderie main et machine sur tissu de lin 120 x 80 cm À droite : Après l'incendie #4 - 2016  de Isabel Bisson Mauduit Techniques mixtes 140 x 60 x 35 cm En bas : Les sauvages (coquelicot) - 2019  de Morgane Porcheron Céramique, siporex et acier Dimensions variables
À gauche : Composition à deux tiges – 2018 de Morgane Porcheron
Acier et branche 93 x 12 x 24 cm
Au milieu : Bataille – 2016 de Isabel Bisson Mauduit
Techniques mixtes de broderie main et machine sur tissu de lin 120 x 80 cm
À droite : Après l’incendie #4 – 2016 de Isabel Bisson Mauduit
Techniques mixtes 140 x 60 x 35 cm
En bas : Les sauvages (coquelicot) – 2019 de Morgane Porcheron
Céramique, siporex et acier, dimensions variables
Mille baisers (détail) - 2008  de Isabel Bisson Mauduit Techniques mixtes de broderie main et machine sur tissu de coton  32 x 32 cm
Mille baisers (détail) – 2008 de Isabel Bisson Mauduit
Techniques mixtes de broderie main et machine sur tissu de coton 32 x 32 cm