JEAN-BAPTISTE JANISSET, FIRMAMENT

JEAN-BAPTISTE JANISSET, FIRMAMENT

Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu’au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris – Photo Aurélien Mole

EN DIRECT / Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu’au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris

Jean-Baptiste Janisset : dé-partager le sensible

par Ingrid Luquet-Gad

Depuis cinq ans, Jean-Baptiste Janisset arpente les lieux de culte. Dans les églises et les cimetières, les calvaires et les sanctuaires, l’artiste répertorie les motifs, les symboles et les glyphes : ce sont des anges ou des chauves-souris, des Vierges à l’Enfant ou des crânes ailés, des chouettes ou des pentacles. Son périple, qui l’a mené du sud de la France à la Catalogne via Paris, il l’a entrepris sous les augures d’une quête énergétique. Il en va d’une collecte, à la fois érudite et compulsive, mais de celles qui, au-delà de la simple taxonomie, ouvrent à la relation. Le corps est à l’acte, engagé par une opération de moulage in situ des fragments ; tout autant qu’est amorcée l’interlocution, par un dialogue avec les gardien.ne.s de l’esprit des lieux – prêtres, mages, marabout.e.s ou médium.e.s.

A partir de ces moules, tirés en plâtre puis en silicone avant d’être transis dans le plomb, l’artiste réalise des compositions syncrétiques. Souvent, les éléments sont actés au sein d’architectures informelles : au centre de Firmament, la seconde exposition personnelle de l’artiste à la galerie Alain Gutharc, un véhicule prend possession de l’espace. De sa présence, rien pourtant ne fait masse ni ne s’appréhende d’un seul regard : la surface accroche tout autant que la forme se dérobe, et dans la prolifération de motifs, l’œil se perd dans un réseau de rythmes irradiants. Il n’y a plus de forme totale, identifiable ou assignable, seulement cet infini fourmillement de symboles qui, tout en s’exprimant chacun depuis un idiolecte au code perdu, composent ensemble les accords d’une harmonie cosmique1.

L’œuvre en question, Vers l’infini et au-delà, ménage une élévation sculpturale et indique la possibilité d’un trajet. Ses éléments ont été juxtaposés de manière à former une membrane qui enveloppe imparfaitement une structure paradoxale : un carrosse pour enfant, usiné en série et acheté sur Leboncoin. Il en va d’une tentative de manifester, au sein d’une culture matérielle post-industrielle, quelque chose de la remontée incantatoire du « murmure des sociétés2» qu’évoquait l‘historien Michel de Certeau . En plaçant l’interprétation des signes collectifs sous les auspices d’un « braconnage culturel », celui-ci attribuait à chacun.e la fabrication d’une cohésion symbolique au-delà des sens, usages ou scripts établis.

Aux murs de la galerie, une série de pièces d’échelle plus modeste introduisent la couleur obtenue par un processus d’alliage de métaux. En transférant à la surface des pièces des images d’astronomie ou des fractales glanées sur Google, l’artiste fait également rentrer en fusion deux systèmes de croyance et de représentation de l’au-delà. En une boucle récursive, le mythe du progrès et la religion du scientisme, les optiques de précision et les objets géométriques, rejoignent la centaine de symboles mystiques répertoriés par l’artiste. Ils en figurent une variante, elle-aussi localisée dans un espace-temps relatif, les uns et les autres se liant ensemble à la manière de l’hologramme qui, au sommet de la sculpture-véhicule, vient dessiner un nœud de cœur.

On a, au fil des évolutions de l’infrastructure médiatique et technologique, voulu relire diversement la figure du « braconneur ». Ainsi, le premier livre du théoricien des médias Henry Jenkins s’y réfère directement : avec Textual Poachers [braconneurs textuels] paru en 1992, l’américain analyse la culture participative des fans, une première étude reprise par Matt Hills qui, dans Fan Cultures [cultures de fans] introduira le concept de « consommation performative » [performative consumption]. Chez Jean-Baptiste Janisset, le sens naît similairement d’une reconfiguration de signes collectifs – ceux de l’espace public, ceux de l’infosphère en réseau. Mais plutôt que de s’en tenir à la lignée élargie des braconneurs, c’est ici la posture de l’artiste qui, à son tour, s’en voit redéfinie : subjective sans être individuelle, elle se place à l’écoute de remontées incantatoires, telle qu’en interaction avec les croyances partagées.

Le primat de la représentation ou de l’unicité de la création, tout autant que la grille de lecture iconologique, marotte actuelle des analyses anthropologique de l’image3, s’incline ici devant un dé-partage du sensible. Et invite à nouer nouvelles alliances conductrices entre croyant.e et fan, artiste et regardeu.r.se.

Ingrid Luquet-Gad

1 Dans la philosophie pythagoricienne, la Musique des Sphère désigne les rapports mathématiques qui régissent l’univers, et la concordance harmonieuse entre les parties du cosmos, les cieux et la terre, le divin et les humain.es.
2 Michel de Certeau, L’invention du quotidien, 1/ Arts de faire, Paris : Gallimard/Folio Essais, 2002, p. 11.
3 Voir notamment les débats soulevés par la publication du livre Les Formes du visible de Philippe Descola (2021).

Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu'au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris - Photo Aurélien Mole
Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu’au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris – Photo Aurélien Mole
Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu'au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris - Photo Aurélien Mole
Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu’au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris – Photo Aurélien Mole
Jean-Baptiste Janisset, Vers l'infine et au-delà, 120 x 80 x 60 cm, plastique, tin, zinc, copper, lead, plexiglas, led, 2022 - Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu'au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris - Photo Aurélien Mole
Jean-Baptiste Janisset, Vers l’infine et au-delà, 120 x 80 x 60 cm, plastique, tin, zinc, copper, lead, plexiglas, led, 2022
Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu’au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris – Photo Aurélien Mole
Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu'au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris - Photo Aurélien Mole
Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu’au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris – Photo Aurélien Mole
Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu'au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris - Photo Aurélien Mole
Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu’au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris – Photo Aurélien Mole
Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu'au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris - Photo Aurélien Mole
Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu’au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris – Photo Aurélien Mole
Jean-Baptiste Janisset, L'apparition, 58 x 50 x 7 cm, tin, zinc, copper, lead,, 2022 Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu'au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris - Photo Aurélien Mole
Jean-Baptiste Janisset, L’apparition, 58 x 50 x 7 cm, tin, zinc, copper, lead, 2022
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Jean-Baptiste Janisset, Salutation à Sagittaruis A*, 180 x 113 x 4 cm, tin, zinc, copper, lead, 2022 Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu'au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris - Photo Aurélien Mole
Jean-Baptiste Janisset, Salutation à Sagittaruis A*, 180 x 113 x 4 cm, tin, zinc, copper, lead, 2022
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Jean-Baptiste Janisset, Salutation à Sagittaruis A*, 180 x 113 x 4 cm, tin, zinc, copper, lead, 2022 (détail) Vue de Firmament, exposition personnelle de Jean-Baptiste Janisset, jusqu'au 16 avril 2022, Galerie Alain Gutharc, Paris - Photo Aurélien Mole
Jean-Baptiste Janisset, Salutation à Sagittaruis A*, 180 x 113 x 4 cm, tin, zinc, copper, lead, 2022 (détail)
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