Message personnel

EN DIRECT / Exposition collective réunissant 80 artistes du 15 au 18 décembre 2023, Tour Orion, Montreuil
Commissariat Xavier Bourgine
Message personnel, ambition collective
Tout commence mi-septembre dans une galerie vers Arts et Métiers. Nicolas Jaeger, vidéaste encore aux Arts Déco, rencontre Delphine de La Roche, peintre autodidacte, venue voir l’exposition. La discussion s’engage. Delphine propose à Nicolas de monter une exposition, projet entre amis et à la bonne franquette, qui regrouperait une dizaine de peintres, fraîchement diplômés ou pas encore. Une semaine plus tard, un des jeunes artistes en a déjà ramené un autre plus confirmé, qui lui-même en a fait venir de nouveaux : quinze artistes, puis vingt, sont désormais intéressés, pratiquant plusieurs médiums.
Delphine, dont l’atelier est à la Tour Orion, entame les démarches pour y installer l’exposition, dont les contours vont toujours croissants puisque début octobre, à la terrasse d’un café, Nicolas se retrouve assis à côté de Tom Garçon, immédiatement séduit par le projet, qui propose un système d’accrochage fait de cimaises et d’écrans successifs. Une soirée chez Delphine fait le lien avec Roland Fontaine, versé dans l’opéra, qui apporte un mécène, une tapissière et l’idée des voilages qui donne à la scénographie son caractère à la fois intime et cérémoniel, pour ainsi dire nuptial. Un appel sur les réseaux sociaux permet de trouver une étudiante éclairagiste, une ingénieure son et une graphiste. Un collectif est fondé, des boucles et des groupes de discussions bouillonnent pour coordonner l’événement qui se dessine.
Déjà le projet compte 80 artistes, performeurs, écrivains, vidéastes de 20 à 70 ans, avec des œuvres de 0 à 30 000 euros, déjà des historiens de l’art, des critiques, des journalistes de presse écrite et de radio s’activent en coulisse et sur le plateau. Car il va falloir la monter cette exposition, avec des centaines de mètres de câbles électriques, une quarantaine de cimaise, des dizaines d’amis, connaissances et camarades, venus donner un coup de main. Au premier jour du montage et à quatre de l’ouverture, à la nuit tombée, dans le plateau principal au sol de béton râclé de colle, se dressent les cimaises nues. Quelques écrans y sont suspendus, un voile s’en échappe : le vaisseau encore fantôme se pare doucement pour la manœuvre.
Bientôt la lumière froide des rubans LED sera remplacée par celle tamisée ou dirigée de projecteurs pour l’heure placés par terre à l’aplomb de leur futur emplacement, bientôt dans les autres salles des rideaux et des moquettes viendront rappeler au visiteur l’œcoumène, le cocon de la première, bientôt des filtres opacifiants aux fenêtres créeront la pénombre propices aux photos et aux vidéos, bientôt les œuvres, dont quelques-unes sont déjà là, intégreront les lieux, dialogueront dans des jeux de face à face gémellaire, de renvois fraternels. Bientôt la chaleur de visiteurs et des conversations refoulera l’hiver.
Alors, face à ce projet mené en un temps record, face à ces choix d’artistes que rien ne semblait relier entre eux, comment ne pas passer aux derniers jours d’effervescence au cours desquelles Harald Szeemann, avant d’ouvrir la Documenta 5, a forgé, comme solution à la diversité des pratiques de certains jeunes artistes, le concept de mythologies individuelles, qui assume l’héritage politique et collectif des mythologies de Barthes tout en anticipant le tournant libératoire des identités et de l’intime des années 1970 et 1980 ?
Nicolas et Delphine, appuyés par la scénographie de Tom et Roland, ont trouvé avec Message personnel une solution thématique similaire, l’intimité, capable de rassembler l’éclatement de pratiques qui toutes, à travers une première personne plus ou moins dissimulée sous le masque barthésien de la fiction ou d’un autre médium, parlent d’un soi qui n’est jamais solipsiste, convoquent des vécus individuels mais non pas individualistes, puisqu’en définitive ils pourraient arriver à tous.
