BYUNG-HUN MIN

BYUNG-HUN MIN

Byung-Hun Min, Série Road rw070, 2020. Tirage argentique, Edition 5

PORTRAIT D’ARTISTE / Byung-Hun Min
Par Jeongmin Domissy-Lee

Evanescence comblée à l’infini dans un espace où le temps semble suspendu, silence rendu visible interpelant la perception sensorielle… la photographie de Byung-Hun Min – véritable champ de l’esthétique singulier – attire le regard et, ce regard, nourri de l’interaction entre sensation et réflexion, est entraîné vers les profondeurs de l’image.

Un vallon enneigé qui ressemble aux courbes d’un bras, un corps nu qui semble s’extraire de nulle part pour aussitôt disparaître, des oiseaux qui ressemblent aux étoiles scintillant dans le ciel… les “choses” petites, triviales de nos vies et de nos paysages, acquièrent, dans son monde, une présence particulière, combinaison de réalisme photographique et de matière picturale et, on y trouve “ce petit plus de magie, essentielle et difficile à saisir, qui donne vie aux images et les rend inoubliables”, selon Elliot Erwitt.

Byung-Hun Min, Série Snowland, sl 096, 2005.Tirage argentique Edition 5
Byung-Hun Min, Série Snowland, sl 096, 2005.Tirage argentique Edition 5
Byung-Hun Min, Série Snowland, sl 013, 2005.Tirage argentique Edition 5
Byung-Hun Min, Série Snowland, sl 013, 2005.Tirage argentique Edition 5
Byung-Hun Min, Série Bird, tb196, 2020.Tirage argentique Edition 5
Byung-Hun Min, Série Bird, tb196, 2020.Tirage argentique Edition 5

La photographie de Byung-Hun Min est une célébration de la nature – la nature dans ce qu’elle a d’immuable ou de toujours recommencé – le ciel, la mer, les arbres… et, le vivant, homme ou animal, à la fois nature en soi et partie constituante de la nature. Si la nature prime dans ses oeuvres, il ne cherche pas à montrer de beaux paysages, ni à saisir la beauté physique d’une fleur ou d’une femme. Il essaie de capter l’“instant décisif”, en appuyant sur le déclencheur au moment où il en ressent la beauté sublime et, de restituer, au tirage, cet instant, éphémère mais concret, d’une manière esthétique traduisant au mieux sa sensibilité. La nature photographiée par Byung-Hun Min, visiblement très sensible aux métaphores et métamorphoses du sujet, s’offre ainsi à nos sens dans sa visibilité et dans son invisibilité et propose une vision émotionnelle, recomposition d’un monde plus ressenti que décrit.

Adepte de la “photographie pure”, il ne retouche jamais l’image une fois réalisée, pour ne pas distordre le réel. Depuis ses tout débuts, Byung-Hun Min apprécie la photographie parce que “la réalité peut être captée et présentée telle qu’elle est par ce media”. Or, les images chez lui se mêlent les unes aux autres, les formes se dissolvent en silhouettes ombrées, le focus sur un détail peut aller jusqu’à en faire perdre le motif et, de cette mise à distance face au sujet, se révèle dans ses oeuvres une esthétique proche de l’abstraction, de la manière impressionniste.

Byung-Hun Min, Série River, rt104, 2011.Tirage argentique Edition 5
Byung-Hun Min, Série River, rt104, 2011.Tirage argentique Edition 5

Plus qu’un désir de représentation ou une nécessité d’arrêter le temps, on y trouve plutôt un amour pour la recherche des voies qui conduisent, à chaque fois, vers la découverte et la traduction de rapports entre “mon intérieur de photographe-personne” et ce qui est à l’extérieur. Et l’image – témoin de son expérience subjective de la rencontre avec ce qui l’environne – devient une ouverture à un espace indéfini de questionnements, de ressentis, de postures ou de gestes… L’appareil photographique – outil mécanique est un moyen de saisir la réalité ; les effets visuels caractéristiques de ses oeuvres – peu de contrastes, sans perspective marquante ou autre – sont une manière, une technique utilisée pour laisser place, avec une approche esthétisante, à sa sensation et à son sentiment, face à la réalité perçue. Cette approche poétique de la réalité, cette recherche animée par la beauté, qu’il adopte pour proposer une autre mise en image du réel, le positionne dans un art nouveau entre peinture et photographie documentaire et, le rapproche du ‘pictorialisme’ – premier mouvement esthétique qui défendait la dimension artistique de la photographie, en privilégiant dans la création photographique l’émotion à la description pure, en revendiquant l’importance de la vision subjective de l’artiste-photographe. Il se retrouve aussi dans cette phrase emblématique de Henri Cartier-Bresson : “La photographie est un couperet qui dans l’éternité saisit l’instant qui l’a éblouie.”, lui qui tente de matérialiser, depuis le début de sa carrière, sur papier-photo la sensation authentique qu’il éprouve au contact de la nature, la relation qu’il entretient au monde avec lequel il ne fait qu’un. Se positionnant en “contrechamp” ou plutôt hors champ de tout mouvement artistique “en vogue” et, bien au contraire de nombreux photographes contemporains, qui s’adonnent au déferlement des oeuvres colorées, spectaculaires, réalisées par manipulation ou transformation complaisante des images, grâce aux technologies numériques, Byung-Hun Min travaille exclusivement en photographie argentique noir et blanc, qu’il tire lui-même dans son atelier.

Faisant l’éloge d’une démarche à la fois intime et réfléchie, il mène seul et patiemment en chambre noire sa recherche d’écriture de la lumière particulière pour chaque image. Une oeuvre est issue de A à Z de lui seul : depuis la prise de vue, le développement, jusqu’au tirage final. Le tirage du négatif se fait toujours directement sur le papier final, sans passer par le contact print ou le test print. Quelque part, chaque tirage “raté” est un test print. Dans la chambre noire, il regarde longuement, très longuement les images du négatif, passe en revue mentalement les tons, nuances, lumières … se rappelant des émotions reçues lors de la prise de vue, et décide de maximiser ou minimiser une partie ou un ensemble de l’image et de réguler la tonalité, le contraste … plus ou moins floue ou intense. Ce travail en chambre noire constitue, pour lui, le vrai travail d’artiste – photographe, aussi ou voire même plus important que l’acte de photographier.

Byung-Hun Min, Série Nude, hb0501, 2001.Tirage argentique Edition 5
Byung-Hun Min, Série Nude, hb0501, 2001.Tirage argentique Edition 5

D’un point de vue formel, les oeuvres de Byung-Hun Min se reconnaissent par la simplicité de leur construction et de leur forme, se rapprochant ainsi de l’art minimal. Cependant, d’un point de vue chromatique, elles paraissent dans la lignée du polychrome, contrairement à l’apparente quasimonochromie de l’image et à l’uniformité de ses tonalités : le noir et blanc sont toujours rendus par de subtils mélanges de noir effacé, de blanc cassé, d’argent ou de charbon … ; le jeu sur les contrastes entre le noir et le blanc et l’union de ces deux couleurs – avec toutes leurs nuances et la variété des gris – créent un effet de couleurs, supérieur à celui de certains tableaux ou dessins.

Le corps nu éclairé en douceur dans une obscurité immense, l’atmosphère nostalgique des rues au petit matin comme un flottement du temps … évoquent ‘la dimension abstraite’ du noir et blanc qui opère un décalage avec la réalité offerte à la vue en couleur. La réalité saisie par lui se traduit en une poésie écrite par le jeu infini entre lumière et ombre. Ce langage plastico-photographique si particulier, il le doit à une quarantaine d’années de pratique, en autodidacte, à photographier et à développer avec boulimie, patience et méthodologie. Si l’on considère la somme de ses photographies réalisées depuis les années 80, on voit un véritable regard se construire dans l’inlassable quête de son paysage intérieur et lui, il ne vise qu’une chose : ‘luimême’, c’est-à-dire saisir le moment de la réalité qui l’a ébloui et, matérialiser avec sa sensibilité ce moment de splendeur. Toutes ses oeuvres forment, ainsi, comme dans la musique sérielle, une oeuvre qui contient des mini-séries, faites de subtils changements de timbre, de rythme, de dynamique… Tout en étant épurée, cette oeuvre en séries, où sont capturés des objets esthétiquement purs et composés avec art, est un ensemble d’une grande richesse offrant la possibilité de regards multiples et, Byung-Hun Min interroge notre perception du monde, bouscule nos évidences et répand de la magie dans l’ordinaire. Intemporelle et résolument contemporaine, la photographie de Byung-Hun Min incarne l’essence de la discipline par sa force esthétique et plastique. Lui, artiste-photographe continue à s’explorer soi-même, sans jamais renoncer à son identité et à vivre sa vie en essayant de découvrir sa propre chose dans cet ‘art de la lumière’.

Jeongmin Domissy-Lee (Docteur en Linguistique, Conseillère en art)

Byung-Hun Min, Série Weed, wv007, 1996.Tirage argentique Edition 5
Byung-Hun Min, Série Weed, wv007, 1996.Tirage argentique Edition 5