DIOGO PIMENTÃO, DESSINER À REBOURS, FRAC NORMANDIE-ROUEN

DIOGO PIMENTÃO, DESSINER À REBOURS, FRAC NORMANDIE-ROUEN

©Diogo Pimentão, Documented (description), 2012, papier et graphite

EN DIRECT / Exposition rétrospective « Diogo Pimentão, Dessiner à rebours » jusqu’au 26 juillet 2020, FRAC Normandie-Rouen

par Sophie Bernal

Diogo Pimentão peut faire danser le graphite. C’est en tout cas notre impression quand on pénètre dans l’exposition Dessiner à rebours, sa première grande rétrospective française présentée au FRAC Normandie-Rouen. Né en 1973 à Lisbonne, Diogo Pimentão est un artiste aux multiples casquettes – formé aux sciences physiques, il est vidéaste, performeur, plasticien –, mais est surtout reconnu pour sa pratique singulière du dessin tridimensionnel. L’exposition retrace quinze années de recherches de l’artiste, mêlant des sculptures aux formes vaporeuses, des dessins abstraits et des bas-reliefs aux allures du futur. Tous ont pour point commun d’être tapissés d’une fine couche de graphite, composante dont l’artiste se joue pour donner l’illusion d’une forme en mouvement. Si nous voyons dans son travail plastique une forme chorégraphique, c’est avant tout parce que le corps tient une place d’honneur dans les créations de l’artiste. Car avant d’être artiste plasticien, Diogo Pimentão est skateur. Il pratique aussi la plongée, le snowboard et la chute libre. Autant de disciplines extrêmes dans lesquelles il repousse ses limites physiques et qui viennent flirter avec sa pratique performative du dessin. 

Le ballet du graphite 

Et si on retenait du dessin le geste ? Et si ce qui importait le plus, au-delà du rendu final, c’était la trace du passage de la main et du corps sur la feuille de papier ? C’est là le postulat de départ de cette exposition qui interroge, tout de son long, les interactions entre la matière figée et le corps en mouvement. Cette idée est articulée par la commissaire Véronique Souben, qui met un point d’honneur à faire dialoguer le corps et l’espace, les pleins et les vides dans les murs du FRAC, ce bâtiment hyper industriel qui porte les traces de sa première fonction dédiée au stockage des pièces détachées du tramway de Rouen. Le parcours de l’exposition peut d’ailleurs être pensé comme une chorégraphie : il s’ouvre sur un dessin « mutant » à la forme évolutive, composé de raclures d’un dessin prélevé du mur de l’atelier de l’artiste (Walldrawing (intercepted), 2015), symbole du passage du temps sur la matière. À quelques mètres de là se trouve une vidéo performative, dans laquelle l’artiste, dans un héritage très « naumanien », se met en scène laissant son empreinte sur la surface malléable d’un écran (Retornar – Returned, 2012). Il nous enjoint à penser l’essence de la matière à partir de la formation du geste. Le silence est rompu par le cliquetis de la matière qui reprend sa forme initiale quelques secondes après avoir subi la trace du passage de l’artiste. Nous sommes à peine entrés dans l’exposition, que nous voilà soumis au son de la danse de la matière.

Géométrie non-euclidienne

Dessiner à rebours nous interroge : à rebours de quoi, au juste ? Notre hypothèse penche vers celle du Temps. Il s’agirait pour l’artiste non pas de le figer, mais d’en défier les lois. Ses sculptures, simulacres de corps massifs et compacts, sont aussi légères que des feuilles de papier. Halte à la résistance de l’air, elles sont l’expression plastique d’un flottement qui échappe aux contraintes de l’espace-temps. La série Documented (description) (2012) en fait la démonstration formelle : trois morceaux à l’apparence d’acier sont repliés sur eux-mêmes et lévitent contre un mur, défiant les lois de l’apesanteur. Les formes rigoureusement géométriques qu’on découvre au début de l’exposition – la première salle accueille par exemple des petits dessins dans lesquels s’entremêlent de simples ronds –, sont rapidement détournées dans les salles suivantes pour laisser place à des formes alternatives et plus libres, qui se transforment selon notre point de vue. Par exemple, dans l’œuvre Contact (Sided)(2014), des bandes lacérées « sortent » du dessin, lui apportant une dimension architecturale impossible. Les ombres de la surface du dessin introduisent une relation changeante à l’objet et lui apportent une qualité miroitante. En abandonnant l’aplat au profit d’un volume irraisonné, l’artiste renonce à l’axiome le plus important de la géométrie euclidienne : celui qui assure que deux droites parallèles ne peuvent jamais se croiser. Et c’est là la clé de voûte des réflexions de Diogo Pimentão : introduire dans l’expérience statique une dimension cinétique. Duper notre regard, par des jeux sur la forme sculpturale tantôt brute, tantôt minimaliste, tantôt expérimentale, et sur la matière tantôt poreuse, tantôt léchée. Comme pour nous dire, dessiner, c’est tromper. C’est la production illusoire d’une méta-réalité dans laquelle on pourrait plonger. 

Sophie Bernal

Diogo Pimentao, Walldrawing (intercepted), 2015, peinture mure sèche, acrylique et graphite, 132 x 151,5 x 1 cm, Frac Normandie Rouen © Bruno Lopes
Diogo Pimentao, Walldrawing (intercepted), 2015, peinture mure sèche, acrylique et graphite, 132 x 151,5 x 1 cm, Frac Normandie Rouen © Bruno Lopes
Diogo Pimentao, Contatc (Sided), 2014, papier et graphite, Frac Normandie Rouen © Diogo Pimentao
Diogo Pimentao, Contatc (Sided), 2014, papier et graphite, Frac Normandie Rouen © Diogo Pimentao
Diogo Pimentao Retornar Returned, 2012 4×3 Video loop (36” detail from 4’52”)