TANJA BOUKAL

TANJA BOUKAL

Vue de l’exposition « Le monument, le labeur et l’hippocampe », 2020
Tanja Boukal, « Rewind:Industry », 2019 © La Kunsthalle – photo Sébastien Bozon

ENTRETIEN / Entre Tanja Boukal et Sandrine Wymann à l’occasion de l’exposition collective Le monument, le labeur et l’hippocampe
jusqu’au 15 novembre 2020 à La Kunsthalle, Mulhouse.

L’entreprise DMC, fleuron textile mulhousien, est le témoin majeur d’une époque industrielle. Elle est le reflet d’un temps social et économique, elle abrite la mémoire de savoir-faire mais aussi de traditions. En s’immergeant dans les archives de l’usine, Tanja Boukal a revisité les lieux, les machines et les hommes qui avec le temps avaient pris place sur le fil de l’oubli. Par son travail d’artiste, elle les a réveillés, leur a réattribué une présence et à l’occasion d’ateliers et de rencontres a partagé autant que possible son investigation avec qui souhaitait apporter ses souvenirs ou ses connaissances. L’époque récente a été témoin du passage de la main à la machine et le « dit » progrès industriel a incarné cette transition majeure. En rapprochant le talent des uns et les capacités des autres, Tanja Boukal propose un terrain si ce n’est de réconciliation, au moins d’acceptation d’un déplacement des compétences. 

SW : Ton travail s’est inscrit dans un processus long qui inclut des étapes de recherches mais aussi beaucoup de temps d’ateliers. Ateliers partagés mais aussi solitaires. Tu as fait revivre des gestes et des savoir-faire jusqu’à leur donner un intérêt très actuel. La broderie que l’on croyait appartenir au passé prend dans tes projets une tournure très présente et surtout rassemble sans complexe. Elle devient une compétence, la survivance d’un savoir, un lien entre ceux·celles qui la pratique. En quoi ces notions appartiennent-elles à ton travail ?

TB : Il n’est plus nécessaire que les gens produisent la plupart des choses de leurs propres mains car les machines sont plus bien plus efficaces et moins chères. 

Mais une fois que les traditions, les connaissances et les compétences ont disparu, nous devenons une culture sans passé. Nous courons le risque de ne rien faire d’autre que d’exploiter la technologie que nous avons acquise sans pouvoir la reproduire.

Il en va de même pour les travaux d’aiguille. Il est devenu un domaine réservé à quelques artisans et artistes toujours moins nombreux. Il a été mis de côté en tant que compétence nécessaire à la vie courante et relégué au statut de passe-temps, voire passe-temps de luxe. Au cours des cent dernières années, nos connaissances se sont appauvries et l’un de mes objectifs est de faire redécouvrir ce trésor enfoui. J’essaie de tirer les leçons du passé pour développer des projets pour le futur.

Ma pratique artistique tourne autour des gens, de leurs contextes sociaux et de leurs manières de faire face à l’adversité et aux situations imprévues. L’artisanat en général a cette étonnante capacité de dépasser les différences culturelles et ethniques, et constitue un langage universel qui rassemble les gens. 

En partageant mon expertise, je peux rencontrer les gens dans toute leur diversité. Grâce à l’acquisition de nouvelles compétences, au partage des connaissances et des expériences, il existe un terrain d’entente qui constitue une base essentielle pour échanger des histoires, trouver d’autres similitudes et discuter de divers sujets. Ces ateliers sont une véritable opportunité pour la transmission des compétences, la diffusion du savoir mais aussi une excellente occasion pour entrer en contact avec l’autre.

J’ai également consacré beaucoup de temps aux recherches dans les archives pour mieux comprendre et tenter d’avoir une vue d’ensemble sur ce qui a été, ce qui a été perdu et les évolutions qui ont eu lieu. Je crois fermement que ces connaissances collectées – sans y mettre de la nostalgie – m’aident à trouver le ton juste.

Tout ceci constitue la base de mes projets. Ceux-ci peuvent être réalisés collectivement ou seuls dans un petite espace tranquille, mais ce qu’ils ont en commun, c’est que sans les connaissances, l’aide et la coopération de nombreux contributeurs rien ne serait possible.

Réalisé par Marie Bannwarth, avec la participation de Tanja Boukal, le film a été produit par La Kunsthalle Mulhouse.

Tanja Boukal s’intéresse aux gens et à la façon dont ils interagissent avec leur environnement et la société.

À travers son travail, elle observe ce qu’ils sont capables de faire lorsqu’ils se trouvent dans des situations inhabituelles. Elle s’intéresse à leurs solutions, leurs stratégies, leur volonté d’atteindre leurs objectifs et leur joie de vivre. Par le biais de techniques artisanales – en partie traditionnelles – elle crée la rencontre avec les personnes et/ou les situations. L’artisanat représente pour elle, de diverses manières, la créativité et la soif de vivre des gens. L’artisanat – connu depuis des milliers d’années comme l’art des hommes et des femmes ordinaires, représente pour elle la créativité humaine et la joie de vivre. Leur aspiration est de rester dans la mémoire, de créer quelque chose de significatif. Ces techniques l’aident à souligner l’importance des personnes représentées.

Pendant plusieurs mois de résidence à Mulhouse, Tanja Boukal s’est intéressée au fonds documentaire de DMC et au travail de Thérèse de Dillmont (1846-1890), brodeuse, aristocrate autrichienne formée aux travaux d’aiguilles à l’Académie de broderie de Vienne, auteure de l’Encyclopédie des ouvrages de dames et designer pour DMC.

TANJA BOUKALBIOGRAPHIE
Tanja Boukal est née en 1976 à Vienne, Autriche où elle vit et travaille.
Tanja Boukal a présenté son travail dans des expositions monographiques : Heim-Art Galerie, Neufelden, Autriche; Ruth Funk Center for Textile Arts, Melbourne, USA; Kunstverein Augsburg, Allemagne; Museum der Moderne; TextilKUNST, Salzbourg, Autriche. Elle a participé à de nombreuses expositions de groupe : A.K.T., Pforzheim, Allemagne; Moesgaard Museum, Højbjerg, Danemark; WhiteSpaceBlackBox, Neuchâtel, Suisse; Elgiz Museum, Istanbul, Turquie; Art and Culture Center of Hollywood, USA ; La Kunsthalle Mulhouse; Art Space Pythagorion, Samos, Grèce ; KIASMA – Museum of Contemporary Art, Helsinki, Finlande.
http://www.boukal.at

Vue de l'exposition "Le monument, le labeur et l'hippocampe", 2020 | Tanja Boukal, "European Spring", 2019 ; "Vetus Angelus Novus", 2020 (arrière plan) © La Kunsthalle - photo : Sébastien Bozon
Vue de l’exposition « Le monument, le labeur et l’hippocampe », 2020
Tanja Boukal, « European Spring », 2019 ; « Vetus Angelus Novus », 2020 (arrière plan) © La Kunsthalle – photo : Sébastien Bozon

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