FAUVE TINTIGNER et MARINE ZONCA, DEPUIS L’ÎLE DE PÂQUES

FAUVE TINTIGNER et MARINE ZONCA, DEPUIS L’ÎLE DE PÂQUES

EN DIRECT / Exposition Depuis l’île de Pâques de Fauve Tintigner & Marine Zonca du 22 janvier au 28 février 2020 à KOMMET, Lyon
par Maxime Leblond

L’exposition « Depuis l’île de Pâques » a pour origine la fascination du duo de commissaires que forment Rose Barberat et Alexandre Samson pour la célèbre île chilienne. Véritable cimetière civilisationnel, celle-ci incarne l’un des questionnements existentiels les plus originels qui soient, celui de se demander ce que serait le monde sans nous, et a justifié la mise en parallèle des œuvres de deux artistes : Fauve Tintigner et Marine Zonca. L’interrogeant selon une double perspective spatiale et temporelle, fût-ce une perspective avant tout mentale, elles apportent chacune à leur manière une réponse artistique aussi singulière qu’originale à ce questionnement existentiel.

Cette réponse passe d’abord par l’élaboration paradoxale d’une œuvre qui semble chercher à s’émanciper de la tutelle de l’artiste. Si Fauve Tintigner s’est longtemps intéressée aux lieux de contrôle (on songe notamment à ses photographies de zoo), c’est d’un tel contrôle que semblent désormais vouloir s’affranchir ses peintures, dont Depuis l’île de Pâques, qui porte  le titre de l’exposition, constitue un exemple significatif. Que ses nombreuses peintures à l’algue courent le risque de s’effacer au fil du temps ne semble pas déranger l’artiste, qui, bien au contraire, nous propose une œuvre vivante qui ne serait plus rigidement fixée dans un musée. Chez Fauve, la boucle est bouclée : l’œuvre commence et se termine par une page blanche. Rappelons à cet égard que, de manière évocatrice, ses peintures à l’algue n’ont pas de titre. C’est qu’il s’agit pour l’artiste de proposer une œuvre qui ne porte plus la trace humaine et qui s’autonomise vis-à-vis de sa créatrice. En un sens, une même ambition semble animer la pratique artistique de Marine Zonca. En donnant pour titre une citation de Spinoza à ce qui semble être la pièce centrale de l’exposition (We don’t even know what a body can do), elle propose ainsi une grille de lecture particulièrement éclairante pour l’exposition. Lorsqu’il écrivait que « Nul ne sait ce que le corps peut », Spinoza rappelait que le vivant est fondamentalement imprévisible et qu’il serait vain de croire que l’expérience pourra le rendre totalement prédictible. Or, à l’instar de Fauve Tintigner, Marine Zonca nous propose une œuvre qui s’inscrit dans une temporalité vivante. Alors que les interventions sur certains murs de l’espace de KOMMET (Bas relief) ancrent l’exposition dans un contexte, la présentation archéologique de Manosolo atteste en creux d’une réflexion sur le temps et la mort. En filigrane, les deux artistes proposent ainsi une réflexion aussi singulière que subversive sur notre rapport à l’art contemporain.

Il reste qu’une œuvre n’existe que par et pour celui qui la perçoit et que le point de vue que l’on pose dessus n’est jamais neutre, mais toujours situé. Un point de vue que semblent habilement avoir pris en compte Fauve Tintigner et Marine Zonca dans leurs œuvres. Si leurs travaux cherchent à imiter le vivant, à rendre compte du mouvement inhérent à celui-ci, ils portent tout autant la marque assumée de l’artifice, une contradiction que semblent pleinement assumer les deux artistes. On pense à la pièce composée de 7 parties de Fauve Tintigner, qui entre en résonance avec la façon dont on a pu construire notre propre histoire de l’île de Pâques. De la même façon, c’est ironiquement que Marine Zonca présente Monosolo, les sculptures de plâtre composant cette dernière œuvre étant bien trop minutieusement élaborées pour que celui qui les observe soit dupe de leur présentation archéologique. On retrouve cette même ironie dans We don’t even know what a body can do : certes, Marine Zonca nous livre une œuvre qui imite des formes naturelles, mais qui est si méticuleusement bâtie qu’elle en devient purement artificielle. Si les deux artistes cherchent à rendre leur œuvre « naturelle », elles contredisent aussitôt ce caractère pour déstabiliser le point de vue du public. 

« Nul ne sait ce que [l’œuvre] peut » pourrait-on dire pour parodier l’adage spinoziste, en ce sens que pour minutieuses que soient les œuvres de Fauve Tintigner et de Marine Zonca, elles échappent toujours dans une certaine mesure à leur contrôle. C’est qu’en art, le résultat n’est jamais rigoureusement égal à la somme des parties. À la façon dont l’île de Pâques incarne la disparition d’un monde, dont nous serons toujours condamnés à n’avoir qu’un point de vue biaisé et étriqué, les deux artistes proposent une œuvre qui soit susceptible de conserver du sens sans que nous soyons là pour la voir.

Maxime Leblond

Vue de l'exposition Depuis l’île de Pâques de Fauve Tintigner & Marine Zonca du 22 janvier au 28 février 2020 à KOMMET, Lyon
Vue de l’exposition Depuis l’île de Pâques de Fauve Tintigner & Marine Zonca du 22 janvier au 28 février 2020 à KOMMET, Lyon
Photo Motoki Mokito
Vue de l'exposition Depuis l’île de Pâques de Fauve Tintigner & Marine Zonca du 22 janvier au 28 février 2020 à KOMMET, Lyon
Vue de l’exposition Depuis l’île de Pâques de Fauve Tintigner & Marine Zonca du 22 janvier au 28 février 2020 à KOMMET, Lyon
Photo Motoki Mokito
Vue de l'exposition Depuis l’île de Pâques de Fauve Tintigner & Marine Zonca du 22 janvier au 28 février 2020 à KOMMET, Lyon
Vue de l’exposition Depuis l’île de Pâques de Fauve Tintigner & Marine Zonca du 22 janvier au 28 février 2020 à KOMMET, Lyon
Photo Motoki Mokito
FAUVE TINTIGNER & MARINE ZONCA – DEPUIS L’ÎLE DE PÂQUES – 22/01 AU 28/02 – KOMMET, LYON

FAUVE TINTIGNER & MARINE ZONCA – DEPUIS L’ÎLE DE PÂQUES – 22/01 AU 28/02 – KOMMET, LYON
Commissariat Rose Barberat et Alexandre Samson pour l’association OFF.ON.FOCUS