JEANNE RÉVAY, LA SIGNATURE DES CENDRES

JEANNE RÉVAY, LA SIGNATURE DES CENDRES

EN DIRECT / Exposition personnelle La signature des cendres de Jeanne Révay à découvrir à la Galerie Houg jusqu’au 1er Août 2020

Jeanne Révay – les lignes de la main.

par Alexandre Colliex

Jeanne Révay a 33 ans, âge prophétique et propice aux révélations. Cette première exposition en est une. Celle d’une intelligence de la main, d’une obsession chirurgicale pour la main et les lignes qu’elle trace.

De ses 33 années, Jeanne en a vécu 25 en face exactement du musée Rodin, dans un voisinage quotidien avec la grande réserve parisienne des oeuvres du maître, de ses plâtres, de ses marbres et de ses bronzes. Une telle présence au jour le jour peut suffire à décider d’une destinée. Une vie d’artiste comme une évidence. Jeanne ne serait pas la première à subir l’envoûtement de Rodin.

La main ©️Jeanne Révay
La main ©️Jeanne Révay

La Main

Dans son cas, la possible épiphanie s’est jouée devant le marbre d’une main, celle de Dieu créant Adam et Eve. Une main 
marmoréenne comme une mise en abîme naturellement de l’outil de l’artiste, la représentation de la main n’étant jamais autre chose qu’un autoportrait de l’artiste au travail. Et dans l’histoire de l’art, la main, structure si complexe en 3 dimensions, était avec les yeux l’un des deux morceaux du tableau que l’atelier réservait au maître. Rubens pouvait bien déléguer la nature morte du premier plan à un assistant, les fragments d’architecture à tel autre et les lourdes tentures à un troisième… mais peindre les mains des héros qui se pressent et s’agrippent, celles des reines et des rois qui s’étreignent, lui revenait de droit.

Quoi d’étonnant donc que la main de l’artiste au travail accueille le visiteur dans cette première exposition de Jeanne ? Geste de défi, morceau de bravoure et secrète filiation avec les grands maîtres du passé, l’artiste, quoique jeune, connaît son histoire. La vidéo, intitulée Main, est d’une lenteur troublante. Une main et une pierre dansent, comme ligotées l’une à l’autre par le nylon d’un Dim-up. Chorégraphie au ralenti de l’acte de création : Rodin qui est avoué comme impérieuse influence avait donné à voir la main de dieu tenant la pierre dont jaillit la création. La main de Jeanne rejoue cette Genèse au ralenti. 
A la main virile du démiurge se substitue une main de femme aux longs doigts qui semble effleurer et tenir la pierre en apesanteur comme par de mystérieux fluides. Matière à fantasmes, le nylon ajoute ici à l’ambivalence du mouvement. Danse ou caresse, ballet ou brutale ligature ?

Cette main tendue qui ne fait plus qu’un avec l’objet, ne reprend-elle pas la posture virile d’un autre maître de la sculpture ? Dans une vidéo iconique de 1968, Richard Serra  tendait ainsi le poing pour tenter de saisir dans leur chute les morceaux de métal. La main de Jeanne se joue des poignes viriles mais rejoue encore une fois cette chorégraphie de la pesanteur pour mieux s’en délivrer. Un tour de main comme un tour de magie. Mais poussons plus loin l’opposition des genres tant cette vidéo de Jeanne Révay peut se lire en contrepoint de l’oeuvre du grand californien. À la verticalité de cette chute des morceaux de métal répond l’horizontale apesanteur de la pierre qui danse au bout des doigts ; à la main d’homme qui veut saisir et dompter, la main de femme qui apprivoise d’une caresse ; au plomb qui pèse ; le nylon qui ploie. Jusqu’au choix des matériaux que les deux mains peinent à saisir, tout oppose en effet ces gestes isolés dans un plan fixe. Aux gestes impérieux, à l’impact du plomb, Jeanne substitue l’élasticité du nylon sous les doigts. Et la connivence est ici féminine, à chercher du côté de la californienne Senga Nengudi qui répondait au métal orthogonal des machos du minimalisme américain par ses sculptures de collants noués au mur.

Une chorégraphie encore du corps enveloppé dans cette autre video intitulée Kaïros, l’instant décisif. Un plan fixe sur la nuque d’une femme couverte d’une transparente tunique dont les lourdes nattes brunes retombent sur les épaules. Moderne et mouvante caryatide qui laisse ondoyer ses cheveux pour qui saura les saisir, car c’est ainsi que le grecs donnent à voir cet instant propice entre tous, le Kaïros, pour qui sait le saisir à pleine main. La main encore elle, est convoquée, appelée à agir, non pour saisir au vol le morceau de métal dans sa chute mais les cheveux de cette jeune femme qui dansent sur sa nuque. Savoir saisir sa chance en un mot.

La main de l’artiste, on la retrouve dans les grands dessins qui donnent son nom à cette exposition. La signature des cendres est l’empreinte digitale de Jeanne dans la cendre du fusain poudré puis gommé et gratté à la surface du Canson.

Tondo ©️Jeanne Révay
Tondo ©️Jeanne Révay

Les grands tondos (190×150), déploient une vibration pour ainsi dire végétale. Les doigts, le gras de la paume, la gomme mie de pain ont frotté la suie du fusain. Et de cette cendre végétale renaissent les bourgeons d’un noir bouquet. Tondo. Le format est inattendu dans le dessin contemporain tant il conserve la mémoire des compositions saintes de la Haute Renaissance florentine. Il donne à ces dessins l’échelle de grands planisphères célestes.

Dans les formats plus modestes des dessins à la craie se lit le même effleurement de la main. Les empreintes ici sont celles de la feuille de lierre dont les nervures figurent autant les lignes de la main que les connexions synaptiques. Les dessins frappent par la précision du trait. Une main de chirurgien les a tracés. Ou bien est-ce la main d’un géographe ? La poudre de craie blanche enregistre sur le noir de la feuille les réseaux d’une topographie fantasmée. Métaphore du négatif photographique, les formes, réseaux de lignes ténues ou zones granuleuses plus claires évoquent les vues aériennes nocturnes d’un pays inconnu.

©️Jeanne Révay
©️Jeanne Révay

Plumes et Cumulus

Bien loin d’accumuler, l’artiste retranche et fait le vide. Dans cette autre série qui fait surgir une rare couleur dans un univers graphique radical, la même technique de poudre gommée offre ici des effets radicalement différents. Le bleu pâle du pastel paraît tendre comme un ciel d’Ombrie face aux noirs du fusain. Mais surtout la gomme et la paume de la main ont ici allégé le ciel et gonflé les rondeurs atmosphériques de ces cumulus. Le bleu s’éloigne comme un azur aperçu à travers les nuages joufflus d’un ciel de traine. Jackson Pollock obtient de ces effets de profondeur par le simple contraste de couleurs. Ainsi dans The Deep, oeuvre mystérieuse de 1953 dans laquelle le noir semble creuser une crevasse sous le blanc des drippings 2.

Ce motif des nervures blanches sur fonds noir dont le dessin capte l’évanescente vibration, il se retrouve enfin dans une vidéo hypnotique. Une plume d’autruche, ou bien est-ce une grande feuille exotique, est agitée d’un tremblement convulsif d’une ou deux secondes puis retrouve sa placide beauté de parure digne d’une reine. Hystérie, le titre même signale la pulsation 
impérieuse, l’éclat stroboscopique du blanc sur le noir de nos nuits. Des lignes encore qui se dissolvent en pure lumière blanche dans l’obscurité. La boucle est bouclée. Longtemps qualifiée de maladie de femme, l’hystérie est ici revendiquée, 
assumée dans cette pulsion de plume.

1 Richard Serra, Hand catching lead (1968)
2 Collection du MNAM – Centre Pompidou

Alexandre Colliex

Exposition personnelle La signature des cendres de Jeanne Révay à découvrir à la Galerie Houg Paris
Exposition personnelle La signature des cendres de Jeanne Révay
à découvrir à la Galerie Houg Paris

JEANNE RÉVAY – BIOGRAPHIE
Née en 1986 à Paris
Vit à Paris
http://www.jeannerévay.com

GALERIE HOUG
22 rue saint Claude 75003 Paris
http://www.galeriehoug.com/fr/