MARGAUX MEYER

MARGAUX MEYER

Margaux Meyer, Sans titre (We should say ily like farts). Courtesy de l’artiste et de la Galerie Chloé Salgado, Photo Aurélien Mole

PORTRAIT D’ARTISTE / Margaux Meyer par Camille de Sancy
à l’occasion de l’exposition Sous la régulation du coeur, jusqu’au 10 juin 2023, Galerie Chloé Salgado Paris

Tout juste sortie des Beaux Arts de Paris, Margaux Meyer expose à la Galerie Salgado du 6 mai au 10 juin. Première exposition personnelle de l’artiste, Sous la régulation du coeur, présente plusieurs toiles sensibles, pudiques et poétiques.

We should say Ily like farts
Lorsque nous rentrons dans la Galerie Chloé Salgado, nous nous trouvons face à une peinture étrange et quelques peu perturbante. Le spectateur ne décèlera peut être pas tout de suite de quoi il s’agit mais petit à petit en suivant les lignes brunes et leur trajet sinueux, il ne tardera pas à y voir des intestins. Un motif plutôt ragoutant, très peu représenté en peinture si ce n’est lors d’études d’anatomie. Le nom de l’œuvre questionne également : We should say Ily like farts, autrement dit « dire je t’aime devrait sortir comme des gazs ». Une phrase entendue par l’artiste à la radio, qui lui a tout de suite paru être une évidence. Pourquoi ne pas dire je t’aime aussi spontanément que lorsque l’on pète ? Pourquoi devoir réguler les battements de notre coeur ?

Par la douceur du tracé et par quelques petites bulles d’air qui prennent la forme de cœurs, Margaux Meyer parvient ici à rendre le dégoût poétique. Ses guts (boyau) montrent son gut (courage, audace) de représenter des entrailles, sujet qui n’avait jamais été digne d’une représentation artistique.1 Mais la peinture n’est ni sale, ni ragoutante, le tracé est doux, les couleurs délicates. Le coeur bat dans l’intestin.
Nos émotions, nos intuitions s’expriment à travers nos intestins. Digérer une rupture, ruminer à l’idée d’un rendez vous raté, avaler ses paroles. Tous ses verbes qui décrivent les actions de l’intestin décrivent aussi très justement des actions de l’esprit. Margaux nous donne une leçon d’anatomie sensible et poétique qui nous plonge dans les profondeurs de l’organisme et de l’âme.

Passant du corps à l’esprit, de la métaphysique au physiologique, cette oeuvre est peut être celle qui résume le mieux l’esthétique de l’artiste. Une esthétique qui ne cesse d’aller et venir entre ce qu’il se passe à l’extérieur et ce que l’on ressent à l’intérieur.

Des peintures tactiles 
L’exposition présente, outre ses guts, plusieurs petits formats, plusieurs fragments de corps ; des étreintes, des baisers, des ventres serrés, des entre-jambes. 

Spasme,
Crispation des mains,
Sensation des intestins qui se serrent,
Crampes, contraction, tension,
Là bas, la sensation semble plus douce, plus apaisante.

Ca tord, ça sert, le ventre est comme vide et en même temps noué. Cette sensation, Margaux la dépeint de façon à ce que le visiteur la perçoive tout en la ressentant. Sur la toile, les mains serrent un torchon au niveau du bas ventre, les coups de pinceaux sont rapides, les couleurs se mêlent, les tissus se confondent, si bien que ce n’est plus le torchon qui se tord mais le ventre.

Margaux Meyer, Esquisse pour grosse tension. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Chloé Salgado, Photo Aurélien Mole
Margaux Meyer, Esquisse pour grosse tension. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Chloé Salgado, Photo Aurélien Mole

Sur le mur du fond, quatre peintures représentent l’étreinte de deux amants. Les émotions s’y nouent, les corps s’y expriment. La surface est irradiée, on sent l’émanation d’une chaleur intense… on ressent cet élan du désir, cette énergie vitale qui nous envahit lorsqu’on est prêt de l’être aimé. Une sensation de plénitude, celle de la fusion de deux corps. Un enlacement salivaire où les langues se mêlent en même temps que les couleurs sur la toile.

Margaux Meyer ne peint pas seulement des ventres, elle dépeint les tensions, les papillons, les gargouillements. A travers ses toiles, elle traduit une émotion, une atmosphère où l’étreinte à peine perceptible devient palpable, où le baiser se fait sentir suave et languissant, Les coeurs battent. On sent le désir, la nostalgie, l’envie, l’empathie mais aussi la nostalgie, la gêne, le malaise. Traduction de l’ambiguïté des sentiments amoureux. La douceur n’est parfois plus très loin de la douleur…2

« Il y a dans mon travail quelque chose d’à la fois charnel et tendre comme un baiser, mais également inconfortable comme un cailloux, qui irrite et raye la surface de l’œil. » Margaux Meyer

Plan sur jambes ouvertes.
L’entrejambe reste pudique. On discerne le pli de l’aine sous le jean. Loin d’exhiber, Margaux suggère, réveillant nos sens et nos désirs. Elle peint tout en pudeur et en retenue. Des corps, on ne retient pas la nudité mais l’étreinte.

Battements de coeur
L’étreinte, ce mouvement doux, caressant, celui de notre corps en contact avec un autre corps.

Margaux Meyer,  Saliva. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Chloé Salgado, Photo Aurélien Mole
Margaux Meyer, Saliva. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Chloé Salgado, Photo Aurélien Mole

À la limite du figuratif et de l’abstrait, les visages disparaissent pour laisser place au corps et à son mouvement. Là, une toile ton sur ton, devrait rendre difficile la perception du motif et pourtant on y décerne distinctement le couple enlacé. Par de simples traits de pinceaux gris plus ou moins clairs, alors qu’il manque de disparaitre, de s’évanouir, le motif s’affirme tout d’un coup. Les différentes couches de peinture laissent percevoir différentes temporalités. On décèle plusieurs espaces-temps sur un même plan, plusieurs étreintes en une. Le flou presque photographique donne à voir le mouvement des bras qui s’enlacent, se caressent et se prélassent. L’instant est éphémère, provisoire, fugace, évanescent et pourtant on le retient dans toute son étendue.

Donner corps à la matière

Cadrage serré, gros plan sur différents fragments de corps. Des morceaux qui traduisent des changements d’états physiques et émotionnels. On y sent les mouvements, les balancements et les battements du coeur dans le moindre coup de pinceau. Dynamisme du trait, fluidité de la peinture. L’énergie se fait sentir dans l’étreinte autant que dans le geste de l’artiste. Margaux Meyer capte les formes les plus évidentes, seules les différences de tons dans les visages nous les font deviner. Une simple virgule au pinceau sert à esquisser l’oreille, trois coups plus épais esquissent les cheveux et le contour du visage. L’intérêt de ses peintures réside peut être davantage dans le coup de pinceau lui même, dans la matérialisation du geste. Ici, la peinture est épaisse, à quelques centimètres, la légère brosse du pinceau effleure à peine le support laissant apparaitre la toile encore vierge. Margaux répète les mêmes motifs jouant de la lumière, de la couleur et du pinceau. Elle tente de capter la bonne substance, elle essaie, elle échoue, elle varie, finit par se surprendre et par nous surprendre à notre tour. Qui, finalement, du corps ou de la matière intéresse le plus l’artiste ?

Je dévoile ce que je tais

Margaux Meyer, Raw 1. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Chloé Salgado, Photo Aurélien Mole
Margaux Meyer, Raw 1. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Chloé Salgado, Photo Aurélien Mole

Passant de la perception à la sensation, du dedans au dehors, Margaux cache puis dévoile, couvre puis découvre. Elle nous fait découvrir ou plutôt redécouvrir les sensations que nous procure notre ventre. Celles auxquelles nous ne prêtons plus attention et qui pourtant disent tout, ne nous cachent rien, mieux nous alertent.

Je me sens vraiment exister quand enfin je dévoile ce que je tais” 3

S’attardant sur le mouvement davantage que sur l’expression, sur les battements de notre coeur jusque dans notre intestin, Margaux Meyer nous montre ses guts, elle peint par intuition et surtout avec beaucoup d’audace.

1 Guts en anglais signifie boyaux mais aussi audace, courage, intuition (d’une manière sensible plus qu’héroïque)
2 Dans son texte d’accompagnement de l’exposition, Ysé Sorel fait le rapprochement phonétique entre douceur et douleur. 
3 Texte de présentation de l’exposition APT.237 au 35/37

Camille de Sancy