TROIS ANS, ET PARFOIS PLUS

TROIS ANS, ET PARFOIS PLUS

Un texte de Xavier Bourgine à propos du travail de Blaise Schwartz

Trois ans, et parfois plus

C’est la durée de vie d’un escargot grande loche en milieu naturel, le petit gris bourguignon atteignant facilement cinq à dix ans en captivité. Quatre jours : c’est la durée de l’exposition de Blaise Schwartz, proposée rue Quincampoix (du 15 au 18 juin 2023) par la nouvelle Ad Astra Galerie, sous le commissariat de Gwendoline Corthier-Hardoin. Multimillénaires en est le titre, dont le pluriel invite à considérer que sont multimillénaires les phénomènes vivants ou géologiques représentés. Certes, l’escargot, le singe ou la chauve-souris qui habitent les toiles, animaux hermaphrodites ou hybrides, parfois perçus comme des intermédiaires avant l’homme, ne sont pas chacun multimillénaire, mais leurs espèces, tout comme la nôtre, le sont.

Alors que la figuration contemporaine, depuis deux ou trois ans largement exposée et médiatisée, jouant d’un récit très français d’un « retour » à la peinture à l’huile (qui n’a en réalité jamais cessé d’être, en témoignent des artistes comme Jean Le Gac ou Sam Szafran ainsi que l’ouvrage de Benjamin Olivennes, L’autre art contemporain), est marquée par une très forte présence humaine, Blaise Schwartz évacue l’humanité, ou du moins la fragmente. Absente mais présente, comme le deus absconditus des jansénistes, elle façonne l’univers à son image et à son échelle, et pour cause… 

Comment donc tenter de donner du monde et des espèces une représentation hors des structures humaines, spatiales et temporelles de la représentation ? Les tentatives de ce genre n’ont pas manqué, souvent empreintes de scientificité ou de science-fiction, tous chemins déformants. Quand Kupka représente dans l’Illustration du 20 février 1909 Les débuts de l’humanité – L’habitant de la grotte de la Chapelle-aux-Saints, à l’époque moustérienne, il propose une vision simiesque et primitive de l’homme de Néandertal, qui exagère déjà les premières conclusions scientifiques. 

C’est peut-être par le truchement de l’escargot que Blaise Schwartz parvient, en se détachant du souci de vraisemblance, à une évocation plus juste. On se souvient d’Arasse interprétant dans l’Annonciation de Francesco del Cossa la présence d’un escargot disproportionné comme un pivot symbolique indiquant au regardeur que la scène qui se joue dans l’image appartient à un autre ordre de réalité que son monde. De même ici, l’escargot, parfois aussi gros que des continents, invite à des transmutations d’échelle et de temps. Un escargot replié est comme une sphère minérale, une petite planète. La lenteur de l’animal, qui bave comme le peintre étale sur la toile de fines couches de peintures, évoque aussi l’idée d’un temps long. 

D’autres éléments alimentent cette représentation d’autant plus multimillénaire qu’elle se veut hors-temps. Sur certaines toiles, on retrouve ainsi des vues terrestres réinventant des stades antérieurs de la dérive des plaques, réinventant car ceux-ci ne sont pas copiés d’après des projections scientifiques. Des vis et des gouttes d’eau viennent parfois parasiter les images, confondre encore plus le microcosme et le macrocosme. Par superposition de fragments et d’échelles différentes, Blaise Schwartz nous donne à voir l’épaisseur du temps.

Blaise Schwartz, La main, la sphère et la spirale, 2023
Blaise Schwartz, La main, la sphère et la spirale, 2023

Axe critique
FFF – FIGURES, FUGUE, FUSION par Xavier Bourgine