CLÉMENT DAVOUT, PORTRAIT D’ARTISTE
Clément Davout, Goutte à goutte au cœur des feuilles, 2023, huile sur toile, 130 x 300 cm. Courtesy de l’artiste © ADAGP, Paris, 2024
PORTRAIT D’ARTISTE / Clément Davout
par Xavier Bourgine
Les histoires végétales de Clément Davout
De prime abord, les peintures de plantes de Clément Davout sont séduisantes. On les dirait même instagramables, et pour cause, elles jouent de certains codes du réseau social (format flirtant sans y céder avec le carré, cadrage, couleurs vives comme dans La veille, 2023), mais, à la façon des Nouveaux réalistes en leur temps des ficelles publicitaires, les mettent en abyme. De là une distanciation qui rapproche ces peintures de plantes d’une « peinture d’histoire végétale », non dénuée d’un puissant pouvoir d’évocation sensorielle.
Après l’École supérieure d’art et média de Caen / Cherbourg, Clément Davout a commencé par décortiquer la théâtralité de la nature, dans des œuvres où celle-ci était non seulement artificielle et mise en scène mais aussi mise au service des usages sociaux d’espaces urbains ou intimes, publics ou privés (La grande vitrine, 2018). De ces premières recherches, c’est la place des plantes elles-mêmes, et leur essence, naturelle ou artificielle, qui s’est affirmée comme une question centrale dans son travail, question qui ne peut avoir pour réponse authentique qu’un « en même temps » : les plantes qui nous entourent, à la campagne comme à la ville, ont un caractère intrinsèquement hybride et ambivalent.
Ainsi, dans son mouvement de bascule des plantes artificielles représentées dans leurs conditions d’usage social « naturel » aux plantes réelles représentées à travers le filtre de ses émotions, Clément Davout a accompli plus que le cheminement de Des Esseintes, qui dans À rebours, « après les fleurs factices singeant les véritables fleurs, voulait des fleurs naturelles imitant des fleurs fausses ». Plus proche de la démarche de Patrick Corillon qui décrit dans sa Serre de nouvelles espèces végétales qui n’existent pas, les peintures de plantes de Clément Davout racontent une histoire qui tient aussi bien de leur parcours horticole international que des sensations, apaisantes, exotiques ou joyeuses, qu’elles nous procurent.
Tout se raconte d’abord sans parole, à travers une forme personnelle de Figuration narrative, pour reprendre le terme forgé par Gérard Gassiot-Talabot à propos de la jeune peinture politisée des années 1967-1970. Clément Davout utilise des procédés similaires : composition théâtrale sur fond de fausse végétation (non sans un certain souvenir de Gilles Aillaud comme dans Implantation circulaire, 2017), isolement et découpage photographique d’une branche ou de feuilles, parfois même séquençage sous forme de polyptique (souvenir plus lointain de Monet, dans Goutte à goutte au cœur des feuilles, 2023-24).
Ces histoires végétales sont bien sûr humaines. Il s’agit de celles de la circulation des plants, de leur sélection millénaire, de l’anthropisation de la « nature » (bonjour Philippe Descolas) et de la manière dont les plantes sont utilisées comme « meubles » ou objets décoratifs. Clément Davout ne manque pas de rappeler que le figuier de barbarie, originaire d’Amérique latine, n’a été que progressivement introduit en Europe pour cultiver une cochenille dont est extrait un pigment rouge, introduction qui a échoué pour l’insecte mais pas pour la cactée, qui a littéralement envahi le bassin méditerranéen.
L’anthropisation est révélée par le procédé pictural lui-même, qui déréalise la plante, par des jeux successifs de mise à distance. Une première photographie est prise avec toute une gamme de filtres plastiques, plus ou moins opaques et colorés, rappel des clichés de plantes d’intérieurs bruxellois volés à travers des rideaux (Dans une nouvelle embrasure, 2019). Puis intervient un travail de retouche chromatique et de recadrage par ordinateur. Enfin, sur la toile, de nouveaux jeux de découpages, et un fond dégradé qui mime non seulement celui que l’IA utilise pour flouter l’arrière-plan d’une image suivant sa teinte moyenne, ou lorsqu’une recherche d’image dans Google avec trop peu de réseau résulte en une mosaïque instable de carrés teintés, mais aussi les fonds renaissants, eux-mêmes réinvestis par certains contemporains minimaux, de Peter Vermeesch à Claire Chesnier. Clément Davout tend ainsi, avec l’estompe de son sujet, à une abstraction dont le pouvoir émotionnel est la mesure de la densité chromatique.
Le recours aux mots, dans de récents diptyques texte-image, se place sous le signe de cette histoire plus sensorielle. La forme ramassée et partant, pour Barthes, anti-décorative et anti-romanesque, du haïku, réveille pour le spectateur l’état psychique provoqué par la vision de telle plante à tel instant, au détour d’un chemin de campagne ou au hasard d’un rez-de-chaussée en centre-ville. Dans L’Empire des signes, à propos d’une photographie du jardin du temple Tofuko-ji à Kyoto, Barthes notait : « Nulle fleur, nul pas : où est l’homme ? dans le transport des rochers, dans la trace du râteau, dans le travail de l’écriture. » On pourrait ajouter qu’il est aussi dans le travail du texte et de la peinture brève, pochades longuement méditées avant qu’elles ne restituent, d’un seul geste bien que sous deux médiums, ce qu’une plante peut faire affleurer de nos émotions.