Seulgi Lee à La Criée, Rennes

Seulgi Lee à La Criée, Rennes

Seulgi Lee, vue de l’exposition LE PLUS TÔT C’EST DEUX JOURS MIEUX, La Criée centre d’art contemporain, Rennes, 2019
photo Benoît Mauras – Seulgi Lee © Adagp, Paris 2019

EN DIRECT / Exposition Le plus tôt c’est deux jours mieux de Seulgi Lee à La Criée centre d’art contemporain Rennes
par Sophie Kaplan

intitulée LE PLUS TÔT C’EST DEUX JOURS MIEUX, d’après le proverbe breton ’N abretañar gwellañ (en français : Le plus tôt c’est toujours mieux), l’exposition de seulgi Lee à La criée centre d’art contemporain présente un ensemble d’œuvres nourries de collaborations proches ou lointaines. elle explore la notion de trope, une figure de style entraînant un changement ou un détournement de sens. L’artiste emprunte la notion de trope à Richard Sennett1. Définissant l’artisanat au‑delà d’un savoir‑faire spécialisé, le sociologue réévalue la contribution fondamentale de celui‑ci au développement des pratiques, mais aussi des théories humaines. L’approche de Richard Sennett trouve un écho dans l’œuvre de Seulgi Lee, qui « travaille depuis quelques années en étroite collaboration avec des artisans, dans une tentative de rendre visible le lien entre l’artisanat et la culture orale »2.

Le titre est le premier trope de l’exposition : l’écart de sens est lié ici à une mauvaise compréhension du proverbe par l’artiste, qui joue avec humour de son rapport d’étrangeté à la langue française. On retrouve également la figure de style dans l’ensemble d’œuvres U, dont six couvertures sont présentées à la Criée. Sur celles‑ci, des compositions géométriques sont réalisées dans la technique traditionnelle du Nubi, chacune figure un proverbe très usité en Corée. Deux détournements se produisent simultanément via le traitement imagé de la langue et la puissance symbolique des dessins. Ainsi, dans 짚신도 짝이 있다. Jip-sin-do Jjak-i It-da (Même la sandale en paille trouve sa paire), qui veut dire « une âme sœur existe pour chacun·e », on peut effectivement voir deux sandales dans les ovales en tissus colorés de la couverture qui se superposent légèrement.

L’intérêt pour la transmission orale amène Seulgi Lee à s’intéresser à la culture immatérielle des régions françaises à travers leurs répertoires de chansons traditionnelles. Les deux films présentés dans l’exposition en témoignent. Le premier, intitulé DEPATTURE, très proche du documentaire, recueille les chants et témoignages de chanteuses et chanteurs du Poitou, animés par leur goût pour le chant autant que par la défense de leur répertoire. Y fait écho la fiction L’ÎLE AUX FEMMES, tournée cet été dans le Trégor, dans laquelle deux jeunes femmes chantent et dansent dans le crépuscule qui s’épaissit.

L’exposition de Seulgi Lee à La Criée floute les frontières et opère à des glissements multiples de l’artisanat à l’art, de la transmission orale à sa fixation, de l’universel au singulier, de l’immémorial passé au fugace contemporain. L’artiste transforme La Criée par la couleur et réunit pour la première fois des couvertures de Tongyeong, des papiers chamans du mont Gyeryong ou de l’île Jéju en Corée, de la vannerie Ixcatèque du Mexique, de la poterie rifaine du Maroc ou des chants des pays de Gargantua, ponctués par deux grands stabiles en métal peint – représentations abstraites et géantes de sexes féminins. Seulgi Lee propose de plier l’espace de La Criée pour ensuite le déplier lentement afin de faire (re)sortir les lumières du crépuscule.

1‑ Richard Sennett, Ce que sait la main, Albin Michel, 2010
2‑ Seulgi Lee, correspondance avec Pierre Déléage, 17 juillet 2019

Sophie Kaplan

Seulgi Lee, KUNDARI araignée, structure tubulaire avec cinq cercles,150 x 124 x 151 cm, 2019 collaboration avec Brice Oziel, Montreuil-sur-Ille production : La Criée centre d’art contemporain, Rennes – photo : Benoît Mauras – Seulgi Lee © Adagp, Paris 2019
Seulgi Lee, KUNDARI araignée, structure tubulaire avec cinq cercles,150 x 124 x 151 cm, 2019 collaboration avec Brice Oziel, Montreuil-sur-Ille production : La Criée centre d’art contemporain, Rennes – photo : Benoît Mauras – Seulgi Lee © Adagp, Paris 2019
Seulgi Lee, W / Jeune fille bien coiffée. W / Sa2 la2 kwa2 shu1ngu2 la2 shhũ1 itzie ske2., cœur de palme, laiton, 100 x 111 x 23 cm, 2017 collaboration avec la coopérative des vannières Xula, Santa Maria Ixcatlan, Mexique – courtesy de la galerie Jousse Entreprise, Paris  Seulgi Lee, ÎLE AUX FEMMES, film, 16 min, 2019 collaboration avec Anne-Laure Vincent et Clémence Mimault – image et montage : Pierre-Philippe Toufektchan – production : La Criée centre d’art contemporain, Rennes  photo : Benoît Mauras – Seulgi Lee © Adagp, Paris 2019
Seulgi Lee, W / Jeune fille bien coiffée. W / Sa2 la2 kwa2 shu1ngu2 la2 shhũ1 itzie ske2., cœur de palme, laiton, 100 x 111 x 23 cm, 2017 collaboration avec la coopérative des vannières Xula, Santa Maria Ixcatlan, Mexique – courtesy de la galerie Jousse Entreprise, Paris

Seulgi Lee, ÎLE AUX FEMMES, film, 16 min, 2019 collaboration avec Anne-Laure Vincent et Clémence Mimault – image et montage : Pierre-Philippe Toufektchan – production : La Criée centre d’art contemporain, Rennes photo : Benoît Mauras – Seulgi Lee © Adagp, Paris 2019
Seulgi Lee, CHUM, papier coréen, métal, 60 × 123 x 25, 2019 collaboration avec Youngchul Kim, le chaman pour Guimé, île Jéju et Yunju Chang, curateur de Wooran Foundation production : Wooran Foundation – photo : Benoît Mauras – Seulgi Lee © Adagp, Paris 2019
Seulgi Lee, CHUM, papier coréen, métal, 60 × 123 x 25, 2019 collaboration avec Youngchul Kim, le chaman pour Guimé, île Jéju et Yunju Chang, curateur de Wooran Foundation production : Wooran Foundation – photo : Benoît Mauras – Seulgi Lee © Adagp, Paris 2019

Seulgi Lee
Née en 1972 à Séoul, Corée du Sud.
Vit et travaille à Bagnolet, France.
Elle est représentée par la galerie Jousse entreprise, Paris et Gallery Hyundai, Séoul

www.seulgilee.org

 INFORMATIONS PRATIQUES SUR L’EXPOSITION

Cette exposition est la première du nouveau cycle de la Criée, Lili, la rozell et le marimba, qui interroge les relations entre savoirs populaires, productions locales et création contemporaine. Ce cycle se déroulera sur deux saisons culturelles, de septembre 2019 à août 2021 et se construira autour de huit expositions personnelles, d’une revue et de projets de recherche et de transmission.