[EN DIRECT] Carte blanche à Mircea Cantor, Fondation Francès

[EN DIRECT] Carte blanche à Mircea Cantor, Fondation Francès

Située à deux pas de Paris, à Senlis dans l’Oise, la Fondation Francès, connue pour sa programmation exigeante et une collection de près de 600 oeuvres aux choix esthétiques loin de toutes conventions, voire empreints d’une certaine radicalité, inaugure sa première « Carte blanche » avec l’artiste roumain Mircea Cantor, artiste diplômé de l’Ecole des Beaux-Arts de Nantes, qui a notamment exposé au MoMA de New York, au Centre Georges Pompidou à Paris et qui est lauréat du Prix de la Fondation Paul-Ricard (2004) et du Prix Marcel Duchamp (2011).

La rencontre d’Estelle et Hervé Francès avec Mircea Cantor se révèle comme une évidence si l’on s’en réfère à leur engagement artistique envers des questionnements essentiels, existentiels même, sur l’humain et le monde qu’il a bâti. De la même manière que devant les oeuvres d’Antonio Saura, Nobuyoshi Araki, Eddie Adams ou encore Martin Parr qui composent entre autres la Collection Francès, le premier sentiment que l’on éprouve en pénétrant dans le lieu d’exposition, est celui d’un saisissement profond qui n’est pas de l’ordre du spectaculaire mais qui vous prend comme un vertige intérieur, et vous atteint en profondeur.

Un sentiment nourri par une réorganisation totale des espaces d’exposition voulus par l’artiste lui-même avec l’installation de nouvelles cloisons et par le fait que la plupart des ouvertures sur l’extérieur ont été occultées. Dans cette demeure d’habitation du XVIème siècle, l’artiste compose ainsi une succession d’espaces intimistes où sont disposées des oeuvres qui pourtant expriment des réflexions sur l’état politique, géopolitique et sociétal d’un monde globalisé. Il sollicite ainsi notre regard et jugement à travers notre ressenti. Durant tout le parcours de l’exposition dont l’artiste a défini avec précision le volume des espaces, le spectateur se trouve tour à tour submergé, piégé, étouffé, pris dans toute la violence de l’humanité mais à la fois porté par la vision libératoire d’une coexistence possible.

Un parcours conçu comme une réflexion que l’artiste nous engage à mener à son terme. Dès la première salle, il nous entraîne vers l’avant au point qu’il semble impossible d’échapper à cette expérience totale à laquelle il nous convie, tout comme il est impossible d’échapper au morcellement du monde et à ses conflits. La libération ne peut être atteinte qu’en sondant ce qui nous fonde de l’intérieur, et pour cela il sera nécessaire d’aller au bout d’un processus. On retrouve dans cet itinéraire, de l’œuvre Tableau aux séries de dessins Bellum et Maternitas dédiés au monde animal, la construction d’une réflexion proche par l’idée de nature qui le sous-tend, d’une promenade au caractère parfois rousseauiste. Une réflexion toujours en cours car plusieurs des travaux de l’artiste sont in progress. Tableau, Bellum, Maternitas ou encore Chaplet entamée en 2007, sont encore poursuivies par l’artiste comme l’est une réflexion qui se nourrit de manière continue tout au long d’une vie.

Ce saisissement est ressenti aussi par le foisonnement, le caractère démultiplié de l’information. 800 des 1200 dessins qui composent l’œuvre Tableau ouvrent l’exposition. L’artiste a tracé au pinceau sur une page du magazine The Economist auquel il est abonné, un dessin rapide à partir d’une illustration. Disposé en séquences, chaque feuillet est indépendant et le dessin d’une extrême précision rend compte d’une empreinte visuelle de l’article qu’il a lu. Cette idée de multiple se retrouve avec l’accrochage de 55 dessins des séries Bellum et Maternitas. Le nombre a pour l’artiste un pouvoir de révélation. Si Tableau donne le sentiment d’une violence inouïe, paradoxalement se dégage de Bellum et Maternitas, qui pourtant sont consacrées, à la vie et à la mort, à la maternité et à la prédation dans le monde animal, une extrême douceur, et cela bien que la technique du dessin soit la même.

Il y a dans les travaux de Mircea Cantor, un profond questionnement sur le gène et l’identité. Ainsi Chaplet représentant un fil de fer barbelé exécuté par l’artiste avec l’empreinte de son doigt exprime cette aliénation. Il nous montre comment l’homme a utilisé son ADN afin de créer des distinctions, établir des frontières. L’œuvre Map, une carte du monde composée de mèches de dynamite que l’artiste a enflammées lors une performance publique, est l’expression d’un monde qui se consume à force de conflits.

Toutefois, il y a toujours dans les oeuvre de Mircea Cantor une vision positive de l’homme, un moment de désenclavement, d’espoir. Ainsi, il ne trace pour Map que des frontières naturelles, prenant même soin dans cette oeuvre de feu d’esquisser les contours des Grands Lacs Nord Américains. De même pour Chaplet, la dureté du tracé se trouve comme neutralisée par la transparence d’une fenêtre qui donne sur la sculpture Give more Sky to the Flags composée de deux drapeaux en acier qui tiennent en équilibre par leur imbrication et qui, conçus en acier spécifique, ne subissent pas la dégradation du temps mais vivent au rythme de la nature. De même pour Tableau dont certaines des pages sont placées entre des panneaux de Plexiglas transparents qui, à la manière d’archives, donnent le sentiment d’avoir été classés et dont la transparence concourt à en donner une vision claire, définie. Mircea Cantor formule ainsi, dans une vision extrêmement positive de l’humanité, l’espoir tant que l’homme aura encore cette capacité à s’émouvoir de la nature il restera un espoir dans sa destinée.

Une des particularités que l’on retrouve dans les travaux de Mircea Cantor est l’économie de moyens utilisés par l’artiste : dessins sur feuilles de magazine, sur papier kraft comme ses portraits d’Obama pleurant lors de son discours sur l’armement aux États-Unis ou sur de simples feuilles blanches, oeuvres vouées à la disparition comme Map ou Chaplet.  Une économie qui est également celle du geste, dont il résulte des dessins aux traits rapides et qui nous livre des oeuvres d’une grande pureté formelle et d’une intense poésie.

Mircea Cantor, Série Tableaux - Fondation Francès
Série Tableaux – Fondation Francès
Mircea Cantor, President cries - Fondation Francès
President cries – Fondation Francès
Mircea Cantor, Performance Map - Fondation Francès
Performance Map – Fondation Francès
Mircea Cantor, Chaplet, 2007 - Fondation Francès
Chaplet, 2007-2016 – Fondation Francès

Visuels tous droits réservés.

Visuel de présentation : Mircea Cantor, Give more sky to the flags.

Pour en savoir plus :
Mircea Cantor
Fondation Francès