NATHALIE TACHEAU, DANS LE SECRET DES ARBRES-PAUPIÈRES

NATHALIE TACHEAU, DANS LE SECRET DES ARBRES-PAUPIÈRES

Vue d’exposition Nathalie Tacheau à la Ségolène Brossette galerie Paris – Photo Christophe Beauregard

EN DIRECT / Exposition Dans le secret des arbres-paupières de Nathalie Tacheau
jusqu’au 26 juin 2021, Segolene Brossette Galerie

par Marie Cantos

Une retraite et une révélation

Les artistes et les écrivain·e·s font cela. Chaparder des bribes de vous, de nous. Un récit, une image, un document. Le matériau, fut-il trouvé ou arraché sans plus d’effusion que cela (vous en étiez- vous seulement aperçu ?), n’appartient qu’à lui-même, et à la communauté invisible des émotions contrariées. Il va vivre sa vie de matériau ; vous ne le reconnaîtrez pas lorsque vous tomberez dessus au détour d’une œuvre, quelle que soit la nature de celle-ci. Peut-être, même, vous laisserez-vous doucement persuader qu’il ne peut, en aucun cas, être vôtre.

Je fréquente Nathalie et son travail depuis plus d’une quinzaine d’années maintenant. Je ne saurais dire aujourd’hui si je suis sœur de cœur de son travail et autrice énamourée de la personne, ou bien l’inverse. Mais disons que je suis à ce moment où l’artiste et bon nombre de ses œuvres sont devenues des membres de ma famille. Pourtant, après toutes ces années, je ne saurais toujours pas dire avec certitude, parmi les nombreuses photographies – souvent anciennes, en sépia ou noir et blanc – qui habitent ses lieux de vie et de création, quelles sont celles qu’elle a héritées de sa propre histoire et quelles sont celles qu’elle a, un jour, faites siennes après les avoir trouvées sur une brocante ou dans la boîte à chaussures/souvenirs d’un·e complice.

Lorsque je les ai rencontré·e·s, Nathalie et son travail, j’ai d’abord été frappée par la récurrence de figures et de motifs tentant vainement de trouver une prise dans les espaces flottants où elles se trouvaient déposées, revenant sans cesse, faute de ne parvenir à se fixer quelque part. Mais

peu à peu, les figures se sont laissées prendre dans le trait arachnéen des motifs – le maillage serré du végétal, la matière duveteuse d’un animal, le dessin précis d’un paysage. Peu à peu, ces figures qui m’apparaissaient auparavant comme ces photographies que l’on découpe afin de réécrire le cours des choses (que ce soit avec joie dans un « pêle-mêle » au- dessus de la cheminée ou avec colère dans le tri des affects et des affaires nous reliant à un passé) se sont inscrites dans un étrange réseau dont les ramifications se seraient prolongées à votre, notre, mon insu, entre les feuilles, entre les espaces d’accrochage, au-delà.

Et puis, soudain. Les figures ont disparu. Les déliés des rets se sont couchés en pleins, et des arbres ont tendu leurs cordes-raides d’un dessin à un autre. Il y a eu en moi un grand silence – les poumons gonflés comme à la montagne. Puis une angoisse terrible. Je ne sais toujours pas quelles photographies appartiennent réellement au passé de Nathalie ; et je ne sais toujours pas si les paysages limpides aux arbres cordes-raides appartiennent au calme d’une retraite au grand air ou bien à celui qui précède, en silence, l’effondrement.

Elles ont réapparu, les figures. Mais, depuis, je ne distingue plus que celles qui me regardent droit dans les yeux sous le voile du crayon, et parfois même d’une étoffe. « On est prié de fermer les yeux », aurait rêvé Sigmund, un jour. On est prié de se voiler la face. Parce que finalement, révéler, étymologiquement, n’est-ce pas un peu « re-voiler » ?

Marie Cantos

Vue d'exposition Nathalie Tacheau à la Ségolène Brossette galerie Paris
Vue d’exposition Nathalie Tacheau à la Ségolène Brossette galerie Paris – Photo Christophe Beauregard
Vue d'exposition Nathalie Tachaud à la Ségolène Brossette galerie Paris
Vue d’exposition Nathalie Tacheau à la Ségolène Brossette galerie Paris – Photo Christophe Beauregard
Vue d'exposition Nathalie Tachaud à la Ségolène Brossette galerie Paris
Vue d’exposition Nathalie Tacheau à la Ségolène Brossette galerie Paris – Photo Christophe Beauregard