ALEXANDRA HUENS DE BROUWER

ALEXANDRA HUENS DE BROUWER

Alexandra Huens de Brouwer, Jazzy. Encre acrylique sur toile, 123 x 113 cm

ENTRETIEN / Alexandra Huens de Brouwer

Par Valérie Toubas et Daniel Guionnet

Une recherche de vérité anime la démarche d’Alexandra Huens de Brouwer, celle qui nous guide au-delà du visible, pour fixer une vision qui prendrait en compte dans sa part physique tout autant que sensible l’ensemble de ce que Richter appelle les « manifestations extérieures (auxquelles il faut donner un nom et un sens). » Ses œuvres témoignent de cet engagement viscéral de l’artiste dans cette prospection du réel. Une force presque jubilatoire anime son processus de création tant chaque œuvre semble soutenue par une immense force d’attraction qui fait que chaque partie de sa surface porte un geste de peinture. Si les scientifiques aiment à dire que la nature n’aime pas le vide, et que celle-ci se laisserait vite aller à la profusion alors l’œuvre d’Alexandra Huens de Brouwer est animée de cette même nécessité. Elle répond à ce principe fondamental qui fait qu’un élément magnétise autour de lui une infinité de formes, de couleurs, jusqu’au all-over. Ses œuvres concentrent dans une même unité de temps et d’espace, des moments différents qui font que chaque toile s’apparente à un film. Son insatiable appétit de peindre nous entraîne toujours plus loin dans une réalité augmentée, foisonnante, énergique, cumulative au point que chaque oeuvre devient l’embryon d’un univers tout entier, de tout ce qui fait notre modernité, qui ne demande qu’à se déployer sous le regard du spectateur, pour l’inviter à habiter dans l’esprit de l’artiste elle-même.

Comment ton parcours artistique a-t-il défini ta conception de la peinture ?

J’ai commencé mes études en école préparatoire à Brasov en Roumanie par l’apprentissage de la peinture pendant quatre ans et de la photographie pendant un an. En Roumanie, un pays où l’approche de la peinture est classique, j’ai très vite posé les bases de ma peinture actuelle avec cette manière qui m’est propre et reconnaissable d’aborder des paysages ou des scènes pour en traduire le mouvement. Ces études en Roumanie m’ont permis d’intégrer par la suite l’école des Beaux-Arts de Linz en Autriche. Afin de m’ouvrir à de nouvelles pratiques, j’ai suivi la section Production Média en travaillant sur le dessin en trois dimensions, sur la conception de dessins animés, ainsi que toutes les formes de création numérique en lien avec le mouvement qui peut apparaître sur un écran. J’ai ainsi écrit des scénarios et réalisé des courts-métrages. J’ai ensuite poursuivi mes études à l’école d’art et de design de Marseille Méditerranée (ESADMM) puis achevé mes études par l’ Executive Master in Arts Administration à l’université de Zurich. C’est en 2018 aux Etats Unis, en Floride, que j’ai commencé ma carrière d’artiste peintre en la poursuivant à Nice où j’ai désormais installé mon atelier. On ne peut pas véritablement dire que chacune de ces étapes dans mon parcours a façonné ma conception de la peinture car je pense que je l’ai toujours eu en moi, de même que je n’ai pas cherché artificiellement à la faire évoluer.

Alexandra Huens de Brouwer, Aurige. Technique mixte sur papier, 110x120 cm
Alexandra Huens de Brouwer, Aurige. Technique mixte sur papier, 110×120 cm

À quel principe d’organisation tes compositions sont-elles soumises ?

Un tableau est une expérience vécue. La première fois qu’on regarde dans une direction, une maison, un square, notre cerveau fait instantanément une lecture des éléments qui se trouvent dans le champ de vision. Les premières informations captées ne sont la plupart du temps pas très intéressantes, elles donnent des indications socioculturelles sur l’environnement. Mon regard est comparable à une caméra qui saisit dans une première lecture cette image dans sa totalité. La première opération consiste à purifier le contextuel en éliminant les informations qui attirent le regard vers une réalité « plus objective » en masquant par exemple l’élément le plus évident par un large aplat de couleur. Dans l’œuvre Moulin rouge, j’ai ainsi masqué la maison par un aplat rouge, de même pour Maisons verte, j’ai appliqué plusieurs aplats verts. Je réponds d’une certaine manière au phénomène réflexe de la perception qui fait que le regard se fixe à l’élément qu’il trouve le plus significatif. Je réponds à cette sollicitation en produisant une forme de couleur. Alors libéré de son attraction par les aplats, le regard peut à nouveau circuler dans la toile et s’ouvrir à d’autres éléments de l’image. Je suis alors attentive à l’endroit où il vient se poser à nouveau. En procédant ainsi, mon regard reste disponible aux différents événements qui peuvent se produire, me laissant libre d’interagir constamment avec le tableau.

Alexandra Huens de Brouwer, Le danseur. Acrylique et encre acrylique sur toile, 194 x 122 cm
Alexandra Huens de Brouwer, Le danseur. Acrylique et encre acrylique sur toile, 194 x 122 cm

D’où vient ce mouvement qui anime tes peintures ?

Les différentes lectures introduisent des temporalités successives au point que la toile concentre les mouvements. À la différence d’un cliché photographique où l’image est fixe, j’enregistre, à la manière d’un film, les différentes modifications de la scène observée. S’il me paraît significatif, le passage d’un oiseau traversant mon champ de vision est rendu par un tracé qui le matérialisera. À la représentation de l’oiseau, je préfère son mouvement qui coupe le tableau en deux en dessinant une diagonale, résonant dans la composition tout entière. Mes œuvres concentrent le temps comme le mouvement, ce qui me laisse plus libre pour raconter une histoire qui me semble plus juste. J’essaye de rendre compte non de ce qui est vu instantanément mais ce que le regard perçoit après un temps d’observation plus long.  Dans l’œuvre Just Living on peut ainsi deviner un personnage qui entre et qui sort à plusieurs reprises d’une pièce. 

Peux-tu nous parler de ta pratique du dessin ?

Le dessin a été ma première manière de m’exprimer en art. En tant qu’artiste peintre, il est important pour moi de toujours dessiner pour ne pas perdre la main. J’éprouve toujours autant de plaisir à dessiner et aime y revenir très régulièrement. Le dessin me permet de développer un travail très différent de celui que je peux faire en peinture, dans une approche plus classique. Ce qui me paraît essentiel est le travail sur la ligne, le trait qui est toujours là et qui fait le lien avec la peinture.

Tes oeuvres sont très différentes les unes des autres, proposent des expériences différentes, certaines sont très dynamiques, tandis que d’autres sont plus aériennes, empreintes d’une musicalité.

Si mes œuvres sont animées par un même principe de composition, mes recherches prennent des directions multiples ce qui fait que mes toiles ont des tonalités très différentes. Certains de mes travaux sont plus spontanés et d’autres plus réfléchis, pour aller plus loin dans la composition dans l’exploration d’un paysage. Je ne veux pas me limiter à un style unique mais en explorer plusieurs en même temps. Ma façon de composer une peinture a des liens avec la musique. Une composition parfaite, comme peut l’être une peinture de Juan Gris dans sa richesse chromatique, est pour moi une symphonie.

La pratique de l’outil numérique a-t-elle renouvelé ton approche de la peinture ?

L’emploi de l’outil numérique rend plus efficace ma façon de m’exprimer. Je peux travailler avec plus de précision les détails, la perspective et l’espace en 3D et obtenir exactement la couleur que je souhaite. Je travaille au moyen d’une tablette numérique fixée à un pied amovible avec un stylet comme un peintre travaille sur chevalet à la différence que l’image que je compose est vidéoprojetée à l’échelle réelle sur un écran. Les œuvres digitales que je crée sont des pièces uniques de grands formats qui se prêtent à une impression sur différents supports, soit par sublimation sur plaque aluminium soit sur papier ou encore sur toile. Je réfléchis à un moyen pour donner à mon acquéreur le fichier numérique de l’œuvre afin que celle-ci soit assurée de sa pérennité pour le futur. J’ai récemment participé à une exposition en Belgique, où les visiteurs ont été très sensibles à mes œuvres numériques, aussi c’est un axe de travail que je compte développer de plus en plus.

Alexandra Huens de Brouwer, Just left. Oeuvre digitale unique - impression sur plaque aluminium par sublimation,  87x 65 cm
Alexandra Huens de Brouwer, Just left. Oeuvre digitale unique – impression sur plaque aluminium par sublimation, 87x 65 cm