COLLECTIF KEIKEN

COLLECTIF KEIKEN

Keiken x Ryan Vautier, We are at the end of Something, 2020 (film still)

ENTRETIEN / Entre le collectif Keiken et Benoit Palop

Dans le Métavers créé par Keiken, on joue, on pense dialectique et on spécule sur le futur.

par Benoit Palop

Basé entre Londres, Berlin et la Twilight Zone, le collectif Keiken voit le jour en 2014 lorsque Isabel Ramos, Tanny Cruz et Hana Omori, alors encore étudiantes à Falmouth University au Royaume-Uni, décident de joindre leurs forces pour explorer méthodologies créatives et médiums. Quelques années plus tard, les trois BFF régalent les publics des plus prestigieux festivals, musées, biennales et galeries à l’international. De Tokyo à Berlin, en passant par Barcelone, Liverpool et internet, leurs créations hybrides ne laissent pas indifférent. Visuellement et conceptuellement, c’est du bonbon.

En s’appuyant sur une approche collaborative 3.0, à la fois ouverte et inclusive, le trio génère des mondes ‘phygital’ et des métavers assez deep et engagés. Parfois malaisantes mais tellement kick-ass—, les expériences immersives qu’elles mettent en place questionnent la manière dont la culture digitale et contemporaine affectent notre quotidien. 

On a chatté rapido via email la semaine dernière et en voici un extrait. (づ。◕‿‿◕。)づ

Keiken + George Jasper Stone, Feel My Metaverse, 2019, Photo: Norbert Miguletz  © Frankfurter Kunstverein, Courtesy: the artists
Keiken + George Jasper Stone, Feel My Metaverse, 2019, Photo: Norbert Miguletz © Frankfurter Kunstverein, Courtesy: the artists

Difficile de mettre une étiquette sur votre pratique. Bien au contraire, je pense que vous jouez pas mal de cette image anti-normative pour éclater les standards de la création contemporaine. Pour ceux qui ne vous connaissent pas encore comment définiriez-vous vos créations et votre travail en général ?

Keiken (経験) est un mot japonais qui signifie « expérience ». Nous créons des mondes spéculatifs en utilisant du contenu CGI, des plateformes de jeu, des installations, de la VR et AR, du code et de la performance. Grosso modo on fusionne le physique et le numérique pour livrer des expériences hybrides et des espaces virtuels collectifs et partagés. 

Quand on assemble ce métavers, on devient les architectes de notre propre espace-temps, ce qui est plutôt tricky dans la réalité. Dans le vrai monde, les conceptions, les structures et les systèmes de grande échelle sont gérés par l’autocratie des organes gouvernementaux et des investissements capitalistes, par les milliardaires et par les geeks égocentriques. Mais dans l’univers que l’on crée c’est différent.

À travers notre métavers, la collaboration nous permet de simuler de nouvelles structures et façons d’exister, de créer et d’imaginer nos propres technologies émancipatrices et d’en explorer fictivement les conséquences. Notre univers est un espace sûr et ouvert où nous encourageons le jeu, la pensée dialectique et la prévision du futur.

Keiken + George Jasper Stone, Feel My Metaverse, 2019 - Created for Jerwood Collaborate!, supported by Jerwood Arts and Arts Council England
Keiken + George Jasper Stone, Feel My Metaverse, 2019 – Created for Jerwood Collaborate!, supported by Jerwood Arts and Arts Council England

En parlant de collaboration, il est évident qu’elle tient un rôle plus que déterminant dans la création de votre meta-monde. Pourriez-vous me donner plus de détails sur cet aspect ?

Lorsque l’on pense collab’, il s’agit autant du travail qui est produit que de la communauté que l’on construit. Au cours des dernières années, nous avons dû explorer et appliquer les meilleures méthodes de collaboration pour pouvoir avancer. Mais travailler comme ça signifie aussi qu’il ne faut pas avoir peur de sortir de soi-même et de se surpasser. Ce n’est pas facile de comprendre le point de vue des autres et de répondre aux besoins de chacun. À force, nous nous sommes rendu compte que la meilleure façon de collaborer est de nourrir à la fois l’individu et le collectif. Et nous y parvenons en créant notre propre univers.

Si vous regardez les atomes, les molécules et les cellules, ils se séparent, créent différentes formations, se rassemblent, s’enroulent et se multiplient. Nous permettons à nos collaborations de se former de cette manière. Un processus très organique qui nous offre une structure fluide qui est toujours en train d’être remise en question, de se transformer et d’évoluer.

Comme Adrienne Marie Brown le dit :  » Nous cachons tous des univers et des mondes en nous, mais il est très difficile de les libérer. Le faire à travers des environnements collectifs est l’étape préliminaire pour pouvoir le faire individuellement. »

Keiken, Ryan Vautier and Sakeema Crook - Metaverse: We are at the end of Something, 2020, MIRA Festival, IDEAL Barcelona (Installation view)
Keiken, Ryan Vautier and Sakeema Crook – Metaverse: We are at the end of Something, 2020, MIRA Festival, IDEAL Barcelona (Installation view)

Votre travail est difficile d’accès et probablement un peu abstrait pour les non-initiés. Tout le monde n’est pas prêt pour ce genre de narration et de topics il me semble. Si vous deviez résumer et simplifier les idées qui nourrissent votre travail, ça donnerait quoi ?   

C’est peut-être compliqué en effet  car nous explorons des tonnes de sujets à la fois. Mais en gros nous considérons notre travail comme une sorte de réflexion du moment contemporain et présent, comme si le ‘maintenant’ était l’histoire. Nous adaptons ensuite nos créations au métavers que nous générons. Il s’agit en fait d’être capable de voir les interconnexions, la multiplicité et les contradictions à travers une vue d’ensemble mais aussi à travers une lentille microscopique. 

Dans notre travail de recherche, on explore la conscience de nombreuses sortes d’existences, humaines et non-humaines. Comme tu as dû le remarquer, de nombreuses parties du corps de nos personnages sont transparentes. On veut que le public  s’approprie ces corps et réfléchisse à ce qui se trouve à l’intérieur. Depuis le tout début de notre collaboration, on a toujours cherché à repousser les limites de notre compréhension de la réalité. Percer la membrane pour remettre en question notre savoir. Rien n’est statique dans notre métavers et tout est malléable. On embrasse l’altérité et la transformation est notre espace de sécurité.

Keiken - Dream Time Life Simulation, 2021 (film still)
Keiken – Dream Time Life Simulation, 2021 (film still)

Avant de vous laisser retourner chiller dans votre métavers je serais curieux de savoir sur quoi vous bossez en ce moment.

Ça ne va probablement pas te surprendre mais on essaie de faire fusionner notre univers à la blockchain. On va voir jusqu’où on peut aller… ¯\_(ツ)_/¯

On travaille également sur notre propre technologie wearable en collaboration avec Etic Lab, Studio Above + Below, AGF HYDRA et Lucy Page. Il s’agit d’un utérus haptique en silicone qui fait la connexion animal-homme et qui devrait nous permettre d’explorer des sens qui vont au-delà de l’expérience humaine.

Merci Isabel, Tanny et Hana. À plus !

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