PAULINE ROUSSEAU

PAULINE ROUSSEAU

PORTRAIT D’ARTISTE / Pauline Rousseau, La performance comme outil transgressif

Par Margot Delalande

Féministe, le travail de Pauline Rousseau l’est, pour sûr. Sensuel, ironique, souvent drôle, politique, osé et extravagant aussi.

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LA PERFORMANCE

Pauline Rousseau se met en scène avec un certain second degré. L’artiste explore des situations intimes, qu’elle a réellement vécues, pour soulever des questions collectives. 

Elle crée des rencontres improbables et les partage au travers de ses œuvres. Elle se plait à théâtraliser les cadres qu’elle met en place. La performance est un moyen pour elle de repousser les possibilités qu’offre la vie quotidienne. L’équilibre qu’elle parvient à atteindre entre réalité et fiction sème le doute. 

Pour son œuvre intitulée Homonyma, Pauline Rousseau a contacté près de cent quarante autres Pauline Rousseau par le biais des réseaux sociaux. Ce travail de recherche lui a permis de rencontrer douze de ces femmes, nouer des liens avec elles et partager leur intimité. De cette enquête est née une série comprenant une installation, des photos, une vidéo et une performance. Homonyma est un autoportrait multiplié, une quête identitaire pleine d’autodérision. 

La vidéo s’apparente à un rituel magique. Les douze Pauline Rousseau, toutes vêtues de noir, se regroupent au cimetière du Père Lachaise à Paris autour de la tombe d’une treizième Pauline Rousseau. Cette dernière s’avère être la compagne de l’historien Jules Michelet1. Cette communauté de femmes portant le même nom n’est pas sans évoquer la sororité et la figure des sorcières, sujets féministes par excellence (Mona Chollet, Sorcières : la puissance invaincue des femmes, 2018). Comme le rappelle l’artiste : « Historiquement, les sorcières font passer les énergies par le toucher mais aussi par le nom. Il existe donc un lien entre l’homonymie et l’inframonde, l’impalpable, chez les sorcières mais également dans d’autres cultures. Chez les Inuits par exemple, à la mort d’une personne, son prénom est donné à un.e vivant.e. Il y existe une transmission de la force par le nom. Chez les Inuits, on parle d’une âme-nom. » 

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LA SENSUALITÉ

L’artiste questionne les normes et les tabous, notamment ceux liés à la sexualité. Dans ses œuvres, elle incarne souvent des rôles transgressifs comme ceux de la voleuse, de la collectionneuse d’amants ou de la dominatrice. Son corps est un outil artistique qu’elle met en scène. Elle s’affranchit des normes liées à la sexualité, aux rôles traditionnellement réservés aux femmes. Ses œuvres dérangent avec humour.

Délits d’objets. Dans cette série d’autoportraits, l’artiste se représente avec les petits objets qu’elle a pu dérober dans chacun des emplois qu’elle a eus. On la voit employée dans le Street Marketing avec des capsules de café entre les dents ou vendeuse à domicile avec des boules de Geisha entre les doigts. Cette série renvoie à différents fantasmes ; l’artiste incarne la figure de la voleuse, aux longs cheveux, aux ongles vernis et aux jambes dénudées, qui prend son butin à pleine bouche. Elle évoque l’univers BSDM par les mises en scènes proposées : la voleuse est vêtue d’une courte robe de cuir, on lui plante des crayons dans ses jambes nues, avant de lui serrer un foulard autour de la gorge. La technique utilisée, la photographie en noir et blanc au collodion humide, renforce l’univers érotique de la série. 

La Séance de pose est une œuvre sonore dans laquelle Pauline Rousseau incarne son propre rôle, celui de la photographe. Sur un ton presque humiliant l’artiste ordonne à son modèle, qui est ici un homme, de se mettre nu et tenir la pause. Elle conclut la séance par cette affirmation : « Il y a un moment où il faut se plier aux règles et, là, les règles ce sont les miennes ». Avec beaucoup d’ironie, elle renverse le schéma genré traditionnel : ici elle incarne la femme autoritaire, tandis que l’homme joue le rôle de la muse. La Séance de pose met à mal les normes sociales en renversant les codes établis. 

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LES MASCULINITÉS

« Ma relation de féministe hétérosexuelle à la masculinité est ambivalente, je critique avec mépris certains aspect mais éprouve un désir flagrant et irrépressible pour d’autres » (Pauline Rousseau citant Amalia Jones).

Le cœur du travail de Pauline Rousseau, ce sont aussi les masculinités. Elle s’intéresse à l’altérité avec curiosité. Elle s’introduit dans des univers masculins pour observer ce qu’il s’y passe quand les hommes sont entre eux. Elle parvient ainsi à s’immiscer dans les lieux fréquentés par les supporteurs du PSG, les vestiaires pour hommes d’une salle de boxe et même dans ceux du TOP 14. Elle “chasse les hommes dans la ville” pour représenter ces masculinités hégémoniques (les figures dominantes de la représentation de la masculinité), dont on fait l’éloge dans la presse féminine, les médias et la publicité. Ces sont des mâles alpha musclés, torses nus, en sueur, tatoués, puissants, voire violents qu’elle montre. Mais cette représentation, teintée de tendresse et de désir, est bien éloignée des discours misandres. Elle exprime une relation ambigüe à la masculinité hégémonique, à la fois source d’attirance et de rejet. 

Les chefs d’œuvre du Musée du Louvre. Pauline Rousseau part à la chasse aux sculptures d’hommes nus, au Musée du Louvre. Avec humour, l’artiste se presse au milieu des touristes pour zoomer sur les parties génitales des statues. Les clichés qu’elle réalise montrent des verges brisées ou de petite taille qui contrastent avec les représentations actuelles de la virilité. Pauline Rousseau porte un regard amusé sur les figures masculines symbolisant la puissance physique et sexuelle. 

Les Perdants

Les Perdants. Ces aquarelles montrent des combattants de free fight, sport de combat particulièrement violent, légalisé en France depuis deux ans seulement. Contrairement à ce qui est attendu, l’artiste ne réalise pas des portraits de sportifs aux muscles saillants et aux visages déformés par des hurlements de victoire, mais d’hommes souffrants, au regard perdu, qui ont subi la défaite. La peinture à l’eau sur papier évoque ici le sang, la sueur et les larmes des perdants. Avec une certaine tendresse, l’artiste attribue à ces boxeurs des caractéristiques habituellement réservées aux femmes, celles de l’émotion et de la faiblesse. 

Portraits cœurs

Portraits cœurs. Pauline Rousseau rencontre cinq hommes : un boxeur, un homme amoureux, un survivant du 13 novembre 2015, un opposant à la dictature brésilienne et un militant chez Act up. Elle leur propose de raconter une histoire personnelle qui leur est arrivée, pour dresser un portrait d’eux. Tous acceptent d’ouvrir leur cœur. Cette série sensible témoigne de l’intérêt bienveillant de l’artiste pour les récits intimes. Ces témoignages sont associés à des images qu’elle a réalisées en 2019 à l’hôpital Georges Pompidou de Paris (dans le cadre de la résidence La Recherche pour l’Art de l’INSERM qu’elle venait de remporter). On y découvre un scanner du cœur, la photo d’une pompe à sang, d’une artère, d’une larme prise au microscope, la vidéo d’une opération à cœur ouvert… Ces images impersonnelles qui relèvent de l’univers médical contrastent avec les témoignages intimes qui les accompagnent. La série conduit à se demander comment le cœur peut à la fois être ce viscère sanguinolent et le siège des émotions si intenses décrites par ces cinq hommes.

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Pauline Rousseau rappelle, le sourire aux lèvres, qu’elle n’est pas la petite-fille du réalisateur communiste Paul Seban pour rien. Son engagement politique transparait dans son travail. Elle aime mener un travail d’enquête pour réaliser des portraits sociologiques qui renversent les paradigmes. Mais elle garde toujours une forme de légèreté et d’ironie dans ses pièces. Elle s’amuse des situations qu’elle crée et d’elle-même, tout en abordant des sujets aussi profonds que ceux des identités, des formes de dominations masculines, de l’amour et de la mort. 

1 L’artiste, qui a fait des recherches sur cette femme, est attachée à préciser que tout laisse à penser que Pauline Rousseau a passé sa vie à aider son mari dans l’ombre, pour finalement terminer sa vie dans une sorte de « mouroir » où l’on amenait les gens malades dont on ne savait pas quoi faire.

Par Margot DELALANDE (décembre 2021) 

PAULINE ROUSSEAU – BIOGRAPHIE
Pauline Rousseau est une artiste née en 1989 à Paris, qui vit et travaille à Paris. Diplômée de l’École du Louvre (2012), l’École nationale de la photographie d’Arles (2016) et l’ICP School de New York (2016).
Elle est représentée par la galerie Dilecta, Paris. 
https://editions-dilecta.com/fr/200_rousseau

http://paulinerousseau.com/

En 2022, Pauline Rousseau présentera son travail aux Archives Nationales d’Outre-Mer à Aix et au Centre Tropiques Atrium à Fort-de-France en Martinique. 
Elle a exposé aux Rencontres internationales de la Photographie d’Arles (2016,2019), au Centre culturel Franco-Nigérien de Niamey avec le CNRS (2019), Palais de Tokyo à Paris (Nuit de idées, 2018), Musée des beaux-arts de Draguignan (Le Catalogue, 2018), à l’Alliance française de Singapour (The Voices behind the victories, 2018), la Fondation Yvon Lambert à Avignon (Rêvez, 2017), la Galerie Agnès B. à Paris (Faire surface, 2016). Elle a effectué la résidence Création en Cours avec les Ateliers Médicis (2020) et elle a été lauréate de la Carte blanche photographique du PSG (2017). Elle a été invitée au Musée Rodin dans le cadre du cycle Le corps : création et représentation dans les arts (2019). Elle a participé à des conférences et tables rondes à la Monnaie de Paris, avec l’association Aware (2019) et au CAPC de Bordeaux (2016). Elle a été invitée par France Culture dans LSD (2018) et La Grande table d’été (2016).