FRANK SMITH, L’ATLAS DES 2-MERS

FRANK SMITH, L’ATLAS DES 2-MERS

FOCUS / Projet « L’Atlas des 2-mers » de Frank Smith,
par Barbara Polla

Calais, l’écologie créative de Frank Smith

Le projet de Frank Smith, « L’Atlas des 2-mers », est l’un des projets soutenus par « Mondes nouveaux », un programme initié par le Ministère de la Culture. L’Atlas des 2-mersc’est une exposition, un livre (publié par LansKine), deux ans de travail, un engagement total, poétique, politique, artistique. Un « point de vue » vidéographique du Fort Vert de Calais, de feue la jungle, des dunes, de la distance d’avec l’autre (rive) et comment la franchir, de soixante-quatorze minutes de traversée, de quatre kilomètres de sentiers, de la mer, non, de deux mers – celle du Nord et la Manche – de corps, miroirs, ressac, d’un graffiti – LOVE –, d’un drapeau de survie.

Frank Smith est né ici, à Calais : adolescent, il parcourait les dunes à cheval et visitait déjà, alors, son Musée des Beaux-Arts, aujourd’hui dirigé par Anne-Claire Laronde, conservatrice et directrice des musées de la Ville de Calais. Le lien de l’artiste au territoire est profond et sa légitimité indiscutable. Mais autant son propos, son travail et ses images sont ancrés localement, autant ils sont universels.

Le site du Fort Vert est ce que l’on appelle un espace naturel sensible (appellation intermédiaire pour un espace sensé devenir une réserve naturelle), un espace entre deux eaux, géré par le Conservatoire du littoral français sous l’égide du Ministère de l’Écologie. L’invention d’un nouveau regard porté sur la nature, grâce à la multiplication de points de vue – la vidéo permet cela, Deleuze en parlait déjà en 1986 – nous conduit, nous spectateurs, à réinventer notre regard aussi, jusqu’à perte de vue (le dernier film de l’exposition s’intitule d’ailleurs Un Film à Perte de vue).

Le Film à perte de vue
Le Film à perte de vue

Avec une parcimonie de moyens remarquable, Frank Smith réalise et présente non moins de vingt-cinq films réunis en huit vidéo-installations et projections ainsi que des vidéogrammes parfaitement intégrés au sein des autres œuvres du Musée. Il fait avancer nos pas sur le sable, « ICI » ; il nous fait entendre les oiseaux qui nichent désormais dans la dune artificielle qui délimite l’ex-jungle ; il abolit des frontières – celle entre la France et l’Angleterre notamment – et nous en donne à traverser librement d’autres, imaginaires, symboliques, poétiques, entre les deux mers (Le Film des deux mers). Il s’agit d’écouter et de voir le site naturel du Fort Vert et, dans le même geste, de lui donner la parole. Une partie de l’exposition se visite ainsi sur site, à ciel ouvert : n’oubliez pas votre téléphone portable qui vous permettra, grâce à des QR codes, d’entendre la voix de Frank Smith qui, de cette manière, accompagne chaque visiteur individuellement. Frank Smith qui nous rappelle alors, d’une position surplombant à la fois l’ex-jungle et les deux mers, que les enjeux géopolitiques et écologiques qui se jouent ici sont les mêmes que ceux de tant d’autres lieux dans le monde. 

Le Film des points de vue
Le Film des points de vue

L’artiste prépare également une Agora participative, délibérative, parlementaire et citoyenne du Fort Vert, sur les pas d’un Bruno Latour et de son concept de parlements dédiés à des entités naturelles. Celle-ci devrait avoir lieu le 10 février 2024 dans l’auditorium du Musée des Beaux-Arts de Calais. Toutes les entités du Fort Vert auront alors la parole, entités humaines ou non humaines, les riverains, les Calaisiens, les oiseaux, les libellules et le spécialiste des libellules, les chasseurs, les phoques, le phare et le spécialiste du phare, « n’importe quel fragment d’existence ». Car « le monde commun prend fin lorsqu’on ne le voit que sous un aspect, lorsqu’il n’a le droit de se présenter que dans une seule perspective » (Hannah Arendt). Et Frank Smith de rêver pour nous et de déplier sous nos yeux un « cosmos Fort Vert », par la création d’une pluralité de points de vue et de « lignes de dire » et par la propagation de sens les plus diversifiés que l’on puisse imaginer. Bernard Blistène y insiste, lui qui aura dirigé, avec Maude Desseignes, l’ensemble des 260 « Mondes nouveaux » : la poétique de Frank Smith, ses guérillas poétiques, sont une nécessité. Agnès Vince, directrice du Conservatoire du littoral, souligne elle aussi l’apport précieux de l’artiste dans une perception élargie des enjeux, que nous pourrions qualifier d’« écopoétiques », dans le cadre de la protection et de la renaturation des espaces naturels sensibles.

Et pour clore l’exposition, qui dure jusqu’au 10 mars 2024, Frank Smith initiera une marche, une procession, qui portera jusqu’au Musée des Beaux-Arts du sable ramassé sur les dunes qui bordent le Fort Vert – avant de présenter l’Atlas des 2-mers à Genève – Genève sans bord de mer, mais avec un lac franco-suisse, le lac Léman, le plus grand lac naturel des Alpes et de l’Europe occidentale, avec un littoral français et une frontière élusive… Le projet de Frank Smith est bien universel, n’est-ce pas ?

Barbara Polla

Le phare de Walde
Le phare de Walde
Le Film des éléments
Le Film des éléments
Le Film des éléments
Le Film des éléments
Le Film de l'aperçu
Le Film de l’inaperçu
Le Film d'en finir ou pas
Le Film d’en finir ou pas