FRANÇOIS MANGEOL [ENTRETIEN]

FRANÇOIS MANGEOL [ENTRETIEN]

« Je m’intéresse aux mots, tout autant qu’à leur mise en forme, l’écriture. Celle-ci peut faire référence à des pratiques anciennes, voire jugées désuètes aussi bien qu’à des moyens de production très contemporains. » François Mangeol

 

Pour cet amoureux de toutes les formes du langage, celui des poètes, des architectes ou des charpentiers, visibles ou cachées, parfois même surprenantes, la question du jeu est essentielle. Aborder un écrit revient à résoudre plusieurs énigmes, celle de la compréhension des signes, hiéroglyphiques, cunéiformes, sténographiés ou issus d’un alphabet qui nous est inconnu, et celle du sens ou des sens, implicites ou explicites, que contiennent les écrits. 

Écrivain lui-même, François Mangeol a élaboré à partir de ses propres écrits plusieurs langages plastiques. Son travail porte une réflexion sur notre manière de communiquer et de faire partager aux autres une expérience, une émotion ou un moment. Pour lui, le langage est avant tout un don au sens premier du terme. Un don qui, contenant des énigmes et avec elles plusieurs niveaux de lecture, nécessite que l’on se prenne au jeu pour en venir à bout et pour que l’on en savoure toute la portée.

 

Peux-tu nous parler de ton intérêt pour l’écriture ?

Pourquoi et comment les signes ? Ma pratique est axée sur le sens des signes et leur tracé, parce que j’ai toujours beaucoup écrit à la recherche d’une densité minimale de matière poétique. Et très souvent, mes pièces émergent de ces mots poétiques. Elles naissent parfois d’un ou de quelques mots, d’une ou plusieurs phrases, de notes accumulées qui mûrissent avec le temps. La réflexion s’engage et s’articule autour de la transmission de cette recherche permanente. 

 

Quels sont les langages que tu utilises pour le transmettre ?

Je me passionne pour les systèmes de langage, tous les moyens utilisés pour écrire. Lors de mes expositions, je mets en avant certains alphabets plastiques qui ont ce point commun d’empêcher la lecture immédiate, et qui appellent un décryptage. Je donne toujours aux visiteurs les moyens pour qu’ils y parviennent, si et seulement s’ils le souhaitent. Je ne veux pas que ces langages et leur utilisation restent un secret. Ils doivent assumer également un rôle de transmission, porteur d’un message tant dans le fond que dans la forme. Depuis plusieurs années, je développe en particulier une production autour d’un alphabet plastique inspiré d’une légende qui raconte que les charpentiers utilisaient les façades des maisons à colombages pour communiquer entre eux. Mais j’ai aussi travaillé sur la sténographie et ses sténogrammes, très intéressé par cette capacité qu’ils possèdent de transcrire et d’écrire la parole. Je trouve cela magique.

 

Toute personne est donc susceptible de lire les langages que tu crées ?

Absolument. Les alphabets me permettent de composer des pièces, peintures, sculptures, installations, etc. que les visiteurs sont appelés à reconnaître, à déchiffrer et à comprendre. C’est une proposition, non pas d’arrêter le temps mais de créer des points d’arrêt. Alors quand plusieurs personnes s’attachent à transcrire les œuvres auxquelles elles se heurtent, cela crée une dynamique. Elles sont dans une situation similaire à celle de l’archéologue devant une pierre antique, devant une énigme à résoudre. J’ai cette passion pour les hiéroglyphes et pour les yeux experts et attentifs qui y ont découvert des fautes d’orthographe. Je trouve fascinant cette expérience entre un tracé, un message de plusieurs siècles et l’étude de celui qui les reçoit. Je les ai trouvés encore plus sublimes, vivants par-delà les âges !

 

Est-ce que les visiteurs de tes expositions ressentent ce sentiment qui a pu animer les archéologues de se trouver devant un langage inconnu ?

Oui je l’espère, même si ce n’est pas le cas de tous. Mais il est vrai que ceux qui s’intéressent aux mots sont touchés par cette même émotion. Mes travaux font référence à des expériences fondatrices, communes à tous. Et tout comme certains textes fondateurs, je me passionne pour leurs effets, commentaires et successions de gloses qui les accompagnent. Cette mise en abîme est une source d’inspiration mais aussi d’émotion. Tout un chacun y projette ses propres pensées. Parfois, cela paraîtra abstrait, de simples réflexions mais c’est concret, au sens historique d’un art concret. Ma volonté est de donner forme à ces réflexions qui me portent.

 

 

François Mangeol, Infinito, 2016. Tous droits réservés François Mangeol
François Mangeol, Infinito, 2016. Tous droits réservés François Mangeol

 

 

Des formes que tu traduis en sculpture et en peinture ? 

Tout a commencé avec cette idée simple qui me fascinait qu’il serait possible de lire les messages d’amour ou d’insulte que cacheraient les colombages des façades. Et que, par conséquent, la ville se transformait en galerie à ciel ouvert, un street art avant l’heure. C’est comme ça que j’ai commencé à faire mes premières sculptures, comme des façades miniatures accrochées aux murs. 

Elles se devaient d’être autoportantes, constructives, triangulées. De là, est né un langage formel, géométrique, élémentaire, directement inspiré du travail des charpentiers. De la sorte, ces premiers contre-reliefs illustraient littéralement l’idée que beaucoup de choses peuvent se cacher derrière les façades.

 

Trouve-t-on dans tes travaux d’autres références à l’architecture ?

La toile NAOS nous parle d’histoire et d’architecture. Ce terme vient de l’égyptien « secret ». C’est également le nom donné, à juste titre, à des sculptures présentes dans les temples égyptiens auxquelles seul le prêtre avait accès. Or, les fouilles archéologiques nous ont appris que ce secret avait la forme d’une sculpture dont la réplique exacte se trouvait sur la place publique devant le temple, accessible à tous. Le secret caché de tous se trouvait en réalité sous leurs yeux. Ma pièce parle de cette mise en abîme.

 

On a le sentiment que ton travail est porté par cette mise en abîme, que le secret est là aussi sous nos yeux et qu’il mérite d’être percé…

C’est en effet tout l’enjeu de mon travail. Tout le monde peut fouiller pour atteindre toutes les strates de lecture. Je l’utilise comme médium plastique à part entière. L’œuvre Ashes to Ashes est symbolique de cette démarche. Le titre de la pièce fait référence au phoenix qui renaît de ses cendres, au renouvellement permanent de ce maintenant que nous habitons. Lors de mon exposition à la Mannerheim Gallery, elle a pris plusieurs formes. D’abord celle d’une installation éphémère placée sur la vitrine de la galerie. Mais aussi celle d’un multiple qui jouait lui sur la tension entre présence et absence du signe. La configuration de la galerie rendait possible cette mise en abîme, j’ai fait en sorte que de multiples correspondances fassent sens et se répondent. 

 

Tu avais déjà investi toute une série de fenêtres…

Oui lors de mon exposition personnelle à l’Institut français à Milan, j’ai eu la chance de pouvoir m’installer au Palazzo Stelline. Il est composé, entre autres, d’un cloître du XVe siècle ceinturé aujourd’hui d’une envolée absolument sublime de trente-deux fenêtres de six mètres de haut par trois mètres de large. Pouvoir intervenir dans ce cloître où des femmes ont passé leur temps, au sens propre du terme, à répéter mentalement des litanies, a eu beaucoup de sens pour moi. Sur dix de ces fenêtres, j’ai installé dix poèmes, composés en anglais ou en latin qui, à la manière de vitraux, ont joué avec la lumière pendant plus d’un an. Ma pièce s’appelait Sounds of Silences

 

Comment donnes-tu forme à tes caractères ?

Cet alphabet en particulier n’est pas figé, il ne cesse d’évoluer. Depuis quelques années, il se radicalise et se normalise. Depuis sa première présentation à la Mannerheim Gallery en 2014, il a déjà subi cinq ou six évolutions. Je passe beaucoup de temps à chercher des systèmes, des méthodes pour improviser plus librement. Ainsi, les caractères sont de plus en plus normés. Ils s’inscrivent dans une base de carré subdivisée en cinq. Mais à nouveau, c’est la tension du système qui m’intéresse. D’un côté une forme conceptuelle, « pure » où chaque trait a une largeur définie qu’il conservera évacuant toute question de maniérisme et aussi toute forme de subjectivité. Et de l’autre une forme calligraphiée qui elle joue sur le tracé, le geste, le taux d’encrage, les accidents, etc. 

 

Par la norme, ton travail entre dans la tradition de la calligraphie…

Les alphabets sont une méta-norme. Elles m’autorisent une plus grande improvisation. Un jeu, une activité très enfantine et inspirante qui travaille toujours avec les spécificités des médiums, des lieux, des opportunités. Il serait dommage d’être trop étroitement spécialisé. La tradition de la calligraphie m’intéresse oui, dans sa capacité à être plus largement une tradition de la transmission. La pièce Jour après jour, par exemple, est une synthèse. D’abord d’un travail de calligraphie similaire à ceux des moines shintoïstes qui réécrivent encore et encore la même prière, avant de les empiler dans des boîtes pour les conserver. Mais aussi d’un retournement, où à l’inverse des calendriers occidentaux où l’on égraine les jours et les feuilles, ici ils s’accumulent comme une somme de moments vécus plutôt que disparus. 

 

Ne portes-tu pas là une réflexion sur l’évolution de l’écriture, de sa genèse à ses formes les plus actuelles ?

L’atemporalité est motrice de mon travail et pose la question des traces que l’on laisse. L’écriture naît de la volonté d’un partage, d’une manière de laisser une trace pour une personne qui n’est pas là, ou pas encore. D’où ma recherche, à travers les mots, de fondamentaux, de communs, d’expériences atemporelles qui pourront prendre autant de formes que possible, parler à ses contemporains tout comme continuer d’interroger et de laisser planer le mystère de sa signification à travers le temps. Et pourra, ainsi, être perçue d’une nouvelle manière.

 

Entretien réalisé par Valérie Toubas et Daniel Guionnet initialement paru dans la revue Point contemporain #6 © Point contemporain 2017

 


François Mangeol
Vit et travaille à Paris.

www.francoismangeol.com

 

Visuel de présentation : François Mangeol, Sounds of Silences, 2016. Installation, Institut Français, Milan. Tous droits réservés François Mangeol.

 

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