MEHRYL LEVISSE, DE L’IMPORTANCE DU MOTIF, BIBLIOTHÈQUE DU MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS PARIS

MEHRYL LEVISSE, DE L’IMPORTANCE DU MOTIF, BIBLIOTHÈQUE DU MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS PARIS

Cinquième artiste à investir la Bibliothèque du Musée Arts Décoratifs, Mehryl Levisse a longtemps réfléchi à la manière d’investir  cet espace patrimonial, un lieu à l’identité forte, fréquenté de manière quotidienne par un public nombreux et recelant les 5000 volumes de la Collection de Jules Maciet. De l’importance du motif est une installation qui rend hommage à l’oeuvre d’une vie, celle d’un homme qui voyait en l’image le support privilégié pour accéder aux savoirs. Mehryl Levisse répond à l’invitation de la directrice de la Bibliothèque du Musée des Arts Décoratifs avec délicatesse et une certaine forme de mimétisme. Un exercice qui est au centre des préoccupations artistiques de l’artiste notamment avec les séries de captations photographiques qu’il réalise au milieu d’environnements composés d’objets issus de ses collections personnelles. Sur ce même principe, il est venu habiter la Collection Maciet dont il a recouvert une partie des albums de feuilles de papiers peints en faisant dialoguer trois collections : la Collection Maciet, la collection de papiers peints du fonds du Musée des Arts Décoratifs qui en comprend pas moins de 460.000, ainsi que sa propre collection de papiers peints.

Peux-tu nous présenter la bibliothèque du Musées des Arts Décoratifs et la Collection de Jules Maciet ?

La bibliothèque des Arts décoratifs a été créée en même temps que le musée et les deux écoles, selon la volonté de Jules Maciet afin que toute personne, même ne sachant ni lire ni écrire comme il en existait beaucoup à cette époque, puisse se cultiver par l’image. Il s’est mis à collecter toutes les images qu’il trouvait dans la presse, les revues ou les livres et à les archiver. Il a légué 1 million et demi d’images classées en 5000 albums composant 494 catégories. Une collection qui occupent tous les murs de la bibliothèque. Tous les albums ont une forme identique. Ils sont reliés, mesurent 50 cm de hauteur et comportent 92 pages. Un travail extraordinaire de collecte, de classification et d’archivage.

La découverte d’une telle collection a dû être fascinante pour un collectionneur tel que toi…

J’ai été très sensible à la Collection Maciet que je connaissais pas. Je suis moi-même un collectionneur d’objets que je répertorie, classifie et entrepose dans un espace qui couvre désormais 100m2. J’ai commencé par consulter les albums de cette Collection comme je suppose tous les artistes invités ont fait avant moi, avec cette crainte de me perdre dans ces innombrables images. Chaque fois que j’ouvrais un nouvel album je voulais travailler dessus ! Il m’a donc fallu trouver un point d’entrée. Très vite, j’ai été interpellé par la méthode de classification de Jules Maciet, par ses choix quand il place l’image d’une femme près d’un puit dans la catégorie « architecture de puit » plutôt que dans « scène champêtre ». Cette forme de subjectivité dans la classification  m’a intéressée, tout comme m’a intrigué le fait que toutes les couvertures des albums soient dans un camaïeu de beige ou marron avec des tonalités tirant vers le jaune ou l’orangé. Une homogénéité qui nécessite pour trouver une catégorie de passer toutes les étiquettes des albums en revue. J’ai aussi vu en la similitude entre la largueur d’un album (52 cm) et celle d’une lé de papier peint (53 cm), une coïncidence sur laquelle je pouvais travailler.

De celle-ci est né le projet de classification visuelle pour les lecteurs des albums ?

J’ai proposé de transcrire les 494 catégories en produisant des pochettes à rabat en lés de papier peint aux motifs et aux couleurs différents. J’ai ainsi recouvert 1664 albums de la collection Maciet conservant le centimètre de trop dans un reliquaire à l’entrée de la Bibliothèque. Un projet construit avec un mathématicien parce que les catégories de Maciet ne sont pas toutes identiques, certaines comportant près de 160 albums comme « Architectures du Moyen-Âge » alors que la catégorie « Poids et mesures » n’en comporte qu’un seul. L’idée est que chaque catégorie, quel que soient les albums qu’elle compte, ait au moins une couverture à rabat qui la distingue. Le mathématicien a créé un algorithme afin de définir exactement combien d’albums étaient à recouvrir pour chacune des catégories.

Quel était le cahier des charges de ton intervention sachant que la collection Maciet est un patrimoine ?

Le cahier des charges du projet était de ne pas toucher à l’intégrité des albums et de faire en sorte que les albums soient à tout moment consultables par le public. J’ai donc conçu des pochettes à rabat, toutes numérotées et signées, uniques pour chaque catégorie et comportant sur la tranche une reproduction de l’étiquette d’origine. Tout au long de ce projet, j’ai tenu à respecter l’esprit de la Collection Maciet sans la dénaturer. C’est pour cela que je n’ai pas voulu recouvrir l’ensemble des 5000 albums afin de ne pas substituer aux couvertures aux tons neutres de nouvelles aux couleurs criardes mais plutôt apporter dans chaque catégories des touches de couleur. Ainsi, les albums que j’ai recouverts se fondent au milieu des albums aux couvertures originales tout en ponctuant et redynamisant l’ensemble .

N’as-tu pas cherché des formes de correspondance entre les catégories et les papiers peints ?

Tout comme Jules Maciet, j’ai voulu à mon tour illustrer les thématiques, utilisant des papiers peints végétalisés en correspondance par exemple à celle de la nature. Mais je me suis aussi amusé à mettre des pochettes à l’opposé de ce qui était contenu dans les albums comme des illustrations Hello Kitty pour la section Instruments de torture. La rubrique « Mode », très lue, dispose d’une pochette rose à paillettes. Certains papiers sont au contraire discrets ou proches de la couleur des albums originaux au point qu’on ne les discerne à peine dans les rayonnages. Même si certaines catégories peuvent se ressembler, proches dans les formes ou les couleurs, je n’ai jamais utilisé les mêmes papiers peints d’une catégorie à l’autre.

As-tu réfléchi au fait que les lés de tapisserie ne sont pas faits pour être manipulés ?

La question de la manipulation par le public des pochettes en lés de papiers peints s’est immédiatement posée. J’ai cependant trouvé important d’utiliser du papier peint, même s’il aurait été plus adéquat de concevoir des rabats en papier plastifié indéchirable, car le fonds de la bibliothèque des Arts décoratifs possède une collection de papiers peints et que je les collectionne moi-même. Cela établit une relation, tout comme Jules Maciet pour les images, avec la collecte, l’archivage et la classification. Les couvertures vont être découvertes et manipulées par le public et avoir ainsi leur propre vie avec la réserve que si certaines d’entre-elles montraient des signes d’usure trop importants, il serait possible de les retirer et l’album retrouverait sa physionomie antérieure. L’usure des pochettes sera un indicateur sur l’intérêt à un moment donné que peuvent avoir les lecteurs pour telle ou telle catégorie.

Des papiers peints qui nous donnent aussi un air du temps ?

En effet, beaucoup de ces papiers peints sont contemporains et il est possible de les trouver à la vente. D’autres très anciens, ont pour certains plus de 150 ans. Ils proviennent du fonds des Arts décoratifs ou de ma propre collection. Des papiers peints qui nous parlent de l’habitation et de l’espace privé sur plusieurs générations, de la manière dont il est utilisé aujourd’hui parfois sur un seul pan de mur. La conservatrice du fonds des papiers peints m’a appris qu’ils servaient aussi à couvrir les livres au XVIIIe siècle, une utilisation que j’ignorais et qui donne d’autant plus de sens à mon intervention.

Au terme des quatre mois d’exposition de ce projet, quelle en sera la restitution auprès du public ?

Un film a été tourné pendant les six mois de la réalisation du projet. Il est très bien documenté avec des interviews, des séquences tournées dans mon atelier, aux Arts Décoratifs. Il bénéficie du soutien d’Arte action culturelle. Un projet d’édition est aussi prévu avec la parution d’un livre d’artiste en six exemplaires plus un qui sera le numéro 495 de la Collection Maciet. Je présenterai le 18 janvier 2018, pendant la période de présentation annuelle des acquisitions de papiers peints par la Bibliothèque, une performance inédite dans laquelle il est question de motifs et de couleurs en lien avec l’ensemble de l’installation De l’importance du motif. Une installation que le public peut désormais découvrir et manipuler sans limite de temps puisqu’elle vient d’être acquise par le Musée des Arts Décoratifs.

Entretien avec Mehryl Levisse réalisé par Valérie Toubas et Daniel Guionnet © 2018 Point contemporain

 

Mehryl Levisse - De l'importance du Motif. Jules Maciet ou l'utopie du classement - Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Martin Argyroglo
Mehryl Levisse – De l’importance du Motif. Jules Maciet ou l’utopie du classement – Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Martin Argyroglo

 

Mehryl Levisse - De l'importance du Motif. Jules Maciet ou l'utopie du classement - Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Martin Argyroglo
Mehryl Levisse – De l’importance du Motif. Jules Maciet ou l’utopie du classement – Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Martin Argyroglo

 

Mehryl Levisse - De l'importance du Motif. Jules Maciet ou l'utopie du classement - Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Martin Argyroglo
Mehryl Levisse – De l’importance du Motif. Jules Maciet ou l’utopie du classement – Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Martin Argyroglo

 

Mehryl Levisse - De l'importance du Motif. Jules Maciet ou l'utopie du classement - Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Martin Argyroglo
Mehryl Levisse – De l’importance du Motif. Jules Maciet ou l’utopie du classement – Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Martin Argyroglo

 

Mehryl Levisse - De l'importance du Motif. Jules Maciet ou l'utopie du classement - Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Martin Argyroglo
Mehryl Levisse – De l’importance du Motif. Jules Maciet ou l’utopie du classement – Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Martin Argyroglo

 

Mehryl Levisse - De l'importance du Motif. Jules Maciet ou l'utopie du classement - Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Martin Argyroglo
Mehryl Levisse – De l’importance du Motif. Jules Maciet ou l’utopie du classement – Bibliothèque des Arts décoratifs. Photo Martin Argyroglo