AURÉLIE PERTUSOT, GH-OSTALGIES

AURÉLIE PERTUSOT, GH-OSTALGIES

Aurélie Pertusot, The last bulding (détail), 2023. Photographie tissée, triptique, 50 x 70 cm x 3, impression sur dibond percé, fil – photo Daria Szczygieł

EN DIRECT / Gh-ostalgies, exposition personnelle d’Aurélie Pertusot, jusqu’au 30 juillet 2023, Laznia art center, Gdansk (PL)

Fin 2020 et début 2022, Aurélie Pertusot était en résidence à Laznia contemporary Art Centre dans le cadre d’une résidence croisée entre les villes de Strasbourg et Gdansk. (PL) L’exposition Gh-ostalgies présente 9 nouvelles pièces produites pendant cette résidence avec le soutien de la ville de Strasbourg et de la région Grand Est.

« Pendant la résidence, je me suis focalisée sur la forte présence architecturale de certains bâtiments constituant des marqueurs du paysage urbain mais aussi des témoignages physiques de l’histoire et de la mémoire. Touchée par la dévotion des habitants pour leur quartier, j’ai orienté mes recherches autour de la relation émotionnelle que l’on peut avoir avec un territoire et les liens possibles entre un lieu d’habitation, une émotion et une mémoire (…). »
Aurélie Pertusot

par Armand Garçon

Quand Malevitch peint son carré blanc sur fond blanc, il plonge la peinture dans l’immensité conceptuelle en lançant la longue série des monochromes dans l’histoire de l’art. Il nous montre avant tout qu’il n’y a pas qu’un blanc, qu’il peut y avoir plus blanc que blanc (pour citer Coluche). Sur d’assez grand formats, Aurélie Pertusot tisse son fil, du fil blanc sur la toile blanche, mais elle ramène le motif sur la toile. Monochrome sans peinture, ses immeubles, uniquement suggérés par les lignes blanches, dont la perception est constamment changeante, évoquent immédiatement le moment moderne de l’architecture, le style international tellement répandu qu’il en est devenu quasi invisible. Pourtant, à bien y regarder, ces immeubles semblent plutôt antérieurs a ces abstractions, et l’évanescence de leurs contours sur la toile évoque plutôt leur disparition dans la réalité. Ces bâtiments, qu’on imagine plutôt gris, se doivent de laisser la place à de plus rutilants, d’une blancheur toujours d’actualité, aujourd’hui « contemporaine ». La gentrification grignote la ville. Le paysage de celle-ci se métamorphose. 

Si le carré blanc sur fond blanc de Malevitch « peut être considéré comme l’abolition de l’art du passé tout autant que comme la création d’un nouveau monde »1, les gh-ostalgies d’Aurélie Pertusot reflètent aussi bien la disparition d’un paysage citadin que la création d’un nouvel ordre urbain. 

Ailleurs, ephemeral memories, trois grand cadres montrent une collection de papillons épinglés. Encore une fois il faut affûter son regard pour percevoir la subtilité. Les motifs des ailes de ces papillons sont en fait des briques, des enduits, des pans de murs de ces mêmes immeubles évoqués dans les gh-ostalgies. Le contraste est évidemment saisissant entre ces formes éphémères et la matérialité dure et pérenne qu’elles affichent. Elles évoquent bien sûr l’effet papillon que peut engendrer la transformation de ces constructions, avec ses effets sur le vivant humain et non humain, mais aussi la collection de chasse de certains investisseurs. 

Dans une petite salle obscure, des images vertes, toujours de bâtiments que l’on associe sans peine aux précédents, flottent dans un alignement incertain. Reminiscence. Plus notre regard s’habitue, plus bizarrement les images semblent s’évanouir, nous forçant à écarquiller les yeux, à nous approcher pour mieux observer. Mais rien n’y fait, le paysage s’évanouit inexorablement. Alors soudainement, la lumière crue jaillit du plafond, et nous découvrons ce que notre œil commençait à percevoir, un simple fil à linge où pendent des taies d’oreiller. L’artiste veut-elle dire que nous dormons pendant que tout cela se passe ? Avant de nous être vraiment posé la question, le noir revient, et les images réapparaissent, d’un vert très fort qui m’évoquent les images des lunettes infrarouges militaires. Oui, peut-être s’agit-il d’une guerre, comme l’évoque aussi ce triptyque, the last building, trois fois la même photo de cet immeuble perdu au milieu des destructions qui l’entourent, littéralement ficelé par l’artiste qui a percé le dibond pour encercler l’édifice. 

1 dictionnaire de la peinture Larousse, https://www.larousse.fr/encyclopedie/peinture/monochrome/153518

Aurélie Pertusot, Ephemeral memories, 2023. Impression sur papier découpé au lazer, cadre en bois. 3 x 1 m. Photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Ephemeral memories, 2023. Impression sur papier découpé au lazer, cadre en bois. 3 x 1 m. Photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Ephemeral memories, 2023. impression sur papier découpé au lazer, cadre bois, 3 x 1 m - photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Ephemeral memories, 2023. impression sur papier découpé au lazer, cadre bois, 3 x 1 m – photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Ephemeral memories (détail des premières recherches), 2023. Impression sur papier découpé à la main - photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Ephemeral memories (détail des premières recherches), 2023. Impression sur papier découpé à la main – photo Daria Szczygieł

par Aleksandra Ksiezopolska

Tout paysage est en constante évolution, il se transforme plus ou moins rapidement, de manière plus ou moins visible. Ces modifications génèrent des apparitions, mais aussi des disparitions progressives – totales ou partielles – qui sont intrinsèquement liées à la mémoire et aux problèmes de l’époque moderne. Faut-il résister à cette disparition, pourquoi et comment ? Question complexe qui requiert la capacité notable de saisir un présent furtif dans lequel on trouverait un équilibre fragile entre le culte de la mémoire et la volonté d’oublier. Cela induit une réflexion sur le « traitement » de nos émotions quelle que soit leur nature, la nécessité de leur donner plus d’espace, de trouver de nouvelles façons de les partager et de les transformer. (…)

Les œuvres d’Aurélie Pertusot sont basées sur des répétitions, des cycles, et des récits actuels sobres et anti-héroïques. Dans son travail, tout est constamment entremêlé. A travers des gestes monotones et répétitifs, comme la couture sur toile blanche, elle nous nous incite à nous arrêter, le temps de nous perdre dans une blancheur omniprésente. L’attention particulière que l’artiste porte aux espaces crée une respiration, étire et suspend le temps, entraînant une situation dans laquelle on serait comme « aveuglés par la nostalgie1« . Ses œuvres intimes et presque invisibles sont intemporelles et nous hantent comme un fantôme dans le discours hantologique de Jacques Derrida, figure qui représente des présences absentes. 

A Dolne Miasto, quartier de Gdansk en pleine revitalisation, l’évolution du paysage est actuellement très rapide et spectaculaire. La réorganisation du territoire engendre des changements d’habitudes pour les habitants, voir une délocalisation pour certains (…). L’artiste explore les liens subjectifs entre le paysage, les affects et la mémoire enquêtant sur la structure de la réalité. Les œuvres exposées ici présentent les processus actuels de disparition et d’apparition dans le paysage, à travers la perception de l’invisible. Elles explorent une mémoire subjective et émotionnelle entre octobre et novembre 2020 à Gdansk. Couche après couche, fil après fil, Aurélie Pertusot nous tisse une histoire silencieuse du quartier vue à travers ses yeux.

1« …Who wants to sleep in the city that never wakes up? Blinded by nostalgia… » excerpt from the piece « Old Yellow Bricks » Arctic Monkeys band. Year of release: 2007 

Aurélie Pertusot, Sans titre, 2023. Série de diapositives faites à la main, impression sur calque, carton, 5 cm x 5 cm x 2 mètres - photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Sans titre, 2023. Série de diapositives faites à la main, impression sur calque, carton, 5 cm x 5 cm x 2 mètres – photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Gh-ostalgies, série de dessin cousus, 2023. Fil sur toile, 1x 1.30 m x 5 + 1 x 70 cm x 1m - photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Gh-ostalgies, série de dessin cousus, 2023. Fil sur toile, 1x 1.30 m x 5 + 1 x 70 cm x 1m – photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Gh-ostalgies (détail), 2023. Série de dessin cousus, fil sur toile, 1x 1.30 m x 5 + 1 x 70 cm x 1m - photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Gh-ostalgies (détail), 2023. Série de dessin cousus, fil sur toile, 1x 1.30 m x 5 + 1 x 70 cm x 1m – photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Gh-ostalgies,(détail), 2023. Série de dessin cousus, fil sur toile, 1x 1.30 m x 5 + 1 x 70 cm x 1m - photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Gh-ostalgies,(détail), 2023. Série de dessin cousus, fil sur toile, 1x 1.30 m x 5 + 1 x 70 cm x 1m – photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Reminiscence, 2023. Installation lumineuse, impression d'encre phosphorescente sur tissu, durée : 6 min - photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Reminiscence, 2023. Installation lumineuse, impression d’encre phosphorescente sur tissu, durée : 6 min – photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Reminiscence (détail), 2023. Installation lumineuse, impression d'encre phosphorescente sur tissu, durée : 6 min - photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Reminiscence (détail), 2023. Installation lumineuse, impression d’encre phosphorescente sur tissu, durée : 6 min – photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Ombres, 2023. Dessins, craie grasse sur papier, 50 x 70 cm x 4 - photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Ombres, 2023. Dessins, craie grasse sur papier, 50 x 70 cm x 4 – photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Sans titre, 2023. Dessin, crayon bleu sur calque, 50 x 70 cm - photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Sans titre, 2023. Dessin, crayon bleu sur calque, 50 x 70 cm – photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Sans titre, 2023. Dessin cousu, fil rouge sur sur papier, 21 x 29,7 cm - photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Sans titre, 2023. Dessin cousu, fil rouge sur sur papier, 21 x 29,7 cm – photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Sans titre, 2023. Dessin, crayon sur calque, 10x 15 cm - photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, Sans titre, 2023. Dessin, crayon sur calque, 10x 15 cm – photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, The last bulding, 2023. Photographie tissée, triptique, 50 x 70 cm x 3, impression sur dibond percé, fil - photo Daria Szczygieł
Aurélie Pertusot, The last bulding, 2023. Photographie tissée, triptique, 50 x 70 cm x 3, impression sur dibond percé, fil – photo Daria Szczygieł