Etienne Pottier

Etienne Pottier

ENTRETIEN / avec Etienne Pottier initialement paru dans la revue trimestrielle Point contemporain #12 à l’occasion du 10e Prix Icart Artistik Rezo
par Valérie Toubas et Daniel Guionnet

« J’induis dans mes dispositifs ce même rapport frontal que peut avoir un pèlerin avec une image sacrée qui,
par sa grandeur, l’impressionne et par laquelle il se sent envahi. »
Étienne Pottier

Plusieurs flashs nous assaillent face à Prosternez-vous ! l’installation qu’Étienne Pottier, Lauréat du prix du Jury Icart Artistik Rezo 2018, a conçu spécialement pour son exposition à Éléphant Paname. Nous reviennent à l’esprit les scènes du film culte de Ruggero Deodato Cannibal Holocaust, le premier opus de Mad Max ou encore l’imagerie hardcore de la culture death metal… L’artiste nous donne le sentiment d’accéder à des sensations primaires, de violence, de peur, des pulsions sexuelles, à toutes ces montées d’adrénaline que l’on provoque pour conjurer la norme, le consensus et autres formes de règles sécuritaires. En nous réconciliant avec cette part sauvage que le joug de la bienséance a définitivement refoulée au plus profond de nous, les oeuvres d’Étienne Pottier nous rendent vivants. Artiste poète, il puise son inspiration dans la beauté et la désolation du monde sans y voir de contradiction. Né dans une société qui connaît une situation de crise latente, qui vit dans la menace des épidémies de MST, dans la violence des attentats terroristes et dans un monde perpétuellement en guerre, il nous invite à ressentir plus intensément chaque moment de nos vies.

Quelles sensations cherches-tu à provoquer chez le spectateur avec ton installation Prosternez-vous !  ?

La recherche de sensations puissantes m’a accompagné toute ma jeunesse, quand par exemple mon grand frère m’emmenait en zone industrielle de Gennevilliers assister à des runs sauvages avec une centaine de motards qui faisaient des burns, des wheelings, des courses dans une odeur de gomme brûlée et d’essence, le tout dans un vacarme assourdissant. Des sensations que j’ai aussi retrouvées dans les raves, face à un mur d’enceintes de 15.000 watts, dont les basses font vibrer le sol, ou simplement provoquées par des drogues. Mais j’ai vieilli et mon rapport à ces passions adolescentes est plus nuancé désormais, j’ai aussi eu l’occasion de mesurer leurs limites et les dégâts qu’elles occasionnent. Néanmoins, elles ont laissé des traces et influencent largement mon univers. Ce sont sans doute ces formes d’expériences qui m’ont marqué, que je souhaite retranscrire à travers mes installations. C’est aussi pourquoi mes productions ont souvent un rôle cathartique.

Des sensations qui, dans le monde très codé de l’art contemporain, peuvent paraître primaires, au sens noble de « premières » ?

Il y a 30 000 ans les hommes dessinaient sur les murs des grottes des animaux ou des scènes de chasse, ces choses qui devaient les fasciner autant que les effrayer. Cela n’a pas beaucoup changé depuis mais les cerfs et les lances ont été remplacés par des kalachnikovs et des images pornographiques. Je ne suis pas attiré par la nouveauté pour la nouveauté, mais plus intéressé par une forme de continuité dans l’art. Cependant, la rupture provoquée par l’art contemporain nous donne une plus grande liberté en tant qu’artiste. Et si on y ajoute la révolution numérique qui facilite l’accès aux images et simplifie leur production et leur diffusion, je dirais que c’est une belle époque pour être artiste mais c’est probablement aussi plus facile de s’y perdre. 

Tes oeuvres n’ont-elles pas aussi une dimension protectrice ?

J’ai réalisé une série de masques, de casques, de cuirasses et d’armes que j’ai appelée Les Armures de l’Apocalypse. Mes pièces répondent à l’actualité de notre époque, à sa barbarie, ses guerres continues. Si je ne parle pas de manière frontale des événements tragiques que nous vivons depuis 2015, ils n’en restent pas moins présents. Ces armures portent les stigmates de l’histoire mais peuvent tout aussi bien se mêler à des références plus puériles de la culture populaire comme Les Chevaliers du Zodiaque qui ont bercé mon enfance, des références à l’iconographie gore du black metal de mon adolescence, ou bien des références plus pointues comme les gravures de l’Apocalypse de Saint-Jean réalisées par Dürer. 

Des sources d’inspiration qui demeurent néanmoins très sombres…

Mes recherches esthétiques jouent de toutes ces influences qui m’ont construit mais j’essaye maintenant un peu de m’en éloigner, d’être plus subtil même si j’ai souvent des rechutes vers mes passions primaires. Ma première création a été une bande dessinée sur la culture moto puis j’ai poursuivi par le dessin sur papier et la gravure sur tissus avec beaucoup de motifs de crânes. La céramique m’a permis d’amener de la couleur avec l’émail. Même si mon registre comporte des figures sacrificielles, je sens un glissement vers d’autres sources d’inspiration et je me donne de plus en plus de liberté en vieillissant. Si on m’avait dit, il y a 5 ans, que je dessinerai des images érotiques ou pornographiques, cela m’aurait franchement étonné…

Des variations de formes que la céramique te permet de décliner à l’infini…

Le travail du volume m’a donné une immense liberté que je ne trouvais pas dans le dessin. Je travaille de façon très intuitive, en créant des objets qui me fascinent, puis je les modifie selon mon inspiration quitte à dépasser leur sens premier. Que cela soit une arme, un masque, un vase… je produis des séries jusqu’à épuisement du sujet et de la forme et je passe à autre chose. En ce moment, je fais des bas-reliefs à partir d’images pornos trouvées sur le net, mais je ne sais pas encore où cela me mènera. Depuis l’arrivée de la céramique dans mon travail, je suis dans un perpétuel bouillonnement et je multiplie les expérimentations. Avec le temps, je commence à trouver une certaine cohérence dans tout ce bordel, et des dessins que je faisais il y a 15 ans répondent aux sculptures d’aujourd’hui.

Avec cette envie de donner vie à des formes elles aussi ultimes ? 

J’aime beaucoup ce côté démiurge que permet, si instinctivement et si rapidement, la céramique. J’expérimente beaucoup, il s’ensuit de multiples ratages qui me dirigent vers d’autres formes. Tout est à ma portée avec pour seule limite la taille des pièces. Je travaille à cette question d’échelle en réfléchissant à des assemblages avec l’utilisation de ciment ou de béton car je ne veux pas me limiter qu’à la céramique. Les installations me donnent plus de liberté que la production de dessins ou de sculptures accrochées au mur ou posées sur un socle mais l’un ne va pas sans l’autre et les deux pratiques se nourrissent mutuellement. À la galerie LJ, lors de mon exposition personnelle, la dernière salle du sous-sol accueillait Arcanæ Manifesta (2018), une installation présentant un totem fait de céramique fixé sur une structure en bois, reposant sur un amas d’os. Je pense la réinstaller dans une forêt et la laisser se faire engloutir par la végétation. 

Ce déchaînement et cette montée d’adrénaline, ne sont-ils pas le ressort chimique qui nous fait basculer dans le psychisme et le spirituel, comme l’orgue et le gigantisme des cathédrales faisaient accéder le croyant à une pensée supérieure ? 

Il est juste que j’ai parfois l’impression que mes oeuvres ont un lien avec le Sacré moi qui suis paradoxalement profondément athée. Et puis des objets peuvent nous être sacrés sans y avoir de rapport avec un dieu ou la religion. C’est un peu la vision que j’ai de l’art ou que je veux lui donner. En religion, tout concourt à révéler cette puissance spirituelle, et c’est aussi ce que j’essaye de mettre en place avec les 200 figures totémiques qui vous font face avec l’installation Prosternez-vous ! (2018) dans l’hôtel particulier d’Éléphant Paname. Mais plus que cette envie d’impressionner, ce que je tente de mettre en place est une poésie visuelle.

Une dimension poétique assez peu courante dans le champ de l’art contemporain actuel…

Je suis personnellement plus attiré par les thèmes simples. Le sublime, la vie et la mort, l’amour, les passions ou la beauté, quand bien même il est difficile de définir ce que peut être la beauté… Mon approche artistique est plus instinctive que sociologique. Je trouve que la fascination est un ressort essentiel de l’art. Aujourd’hui, au XXIe siècle, j’ai accès à plus de matériaux, et peut-être à plus de langages plastiques, mais finalement les passions qui nous animent n’ont pas beaucoup changé depuis le début de l’humanité. Je place cette expérience du monde avant tout discours, parce que je perçois d’abord les choses de manière intuitive, je les ressens avant de les penser. Quand je suis entré aux Arts Décoratifs, je n’avais pas la prétention de devenir artiste. Je suis arrivé là parce que j’étais un cancre et dessiner était la seule chose que je savais à peu près faire. J’ai fait cette bande dessinée sur la moto parce que cette culture me passionnait, puis de la photographie pour me frotter au-dehors pour finalement revenir au dessin, qui reste le fondement de ma création.

Une idée commence pour moi avec un dessin, rarement avec un texte. Cela ne fait que peu de temps que je sens qu’un univers est en train d’émerger avec un langage plastique qui prend forme, et j’alterne entre des pièces parfois assez brutales et d’autres plus subtiles. Je ressens de plus en plus ce besoin de changer mon écriture, de l’adoucir, et je suis heureux de constater que cela ne perd pas en cohérence. 

Ne pourrait-on pas voir aussi dans tes installations le thème du sacrifice tant dans les domaines artistique que politique ?

Pendant toutes les heures de production que nécessitent ces installations, beaucoup de choses me passent par la tête.

La figure totémique renvoie aussi à des données plus contemporaines, comme les images de l’idole, de la star ou du gourou qui me fascinent. Installer une figure qui nous domine à deux mètres de hauteur interroge nécessairement sur notre temps comme elle peut aussi interroger sur la place de l’artiste dans le monde à une époque où l’on évoque beaucoup l’importance de la culture pour faire société. Lorsque j’ai présenté mon travail au jury du Prix Icart Artistik Rezo, j’ai commencé par dire que mon travail n’était pas conceptuel. Mais il y a évidemment une réflexion qui le structure, et je me garde de trop l’analyser, de la décortiquer sachant que je risque de mal l’expliquer ou de la réduire à des explications simplifiées. Je ne construis pas toujours mes oeuvres à partir d’une pensée rationnelle et c’est pourquoi je préfère parler de poésie visuelle, qui offre une multitude d’interprétations et ne s’enferme pas à devoir tout définir. J’ai toujours eu envie d’aller au-delà, de faire des oeuvres qui m’engagent, inspirées de toutes ces cultures tout aussi violentes que flamboyantes qui m’ont façonné.

Étienne Pottier
Né en 1983
Vit et travaille à Paris

Diplômé de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris (2009)

www.etiennepottier.com

Actualités :
www.agenda-pointcontemporain.com/tag/etienne-pottier/

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