[ENTRETIEN] Anouk Le Bourdiec directrice de la Galerie ALB

[ENTRETIEN] Anouk Le Bourdiec directrice de la Galerie ALB

Rue Chapon, la Galerie ALB, d’apparence sobre, est pourtant celle qui fait chaque année sensation à Art Paris Art Fair par une programmation et une scénographie détonante. Anouk Le Bourdiec déchaine les passions avec une sélection exigeante d’artistes à la moyenne d’âge de 27 ans qui développent des thématiques brûlantes, charnelles jusqu’à parfois être franchement inquiétantes. Rencontre avec une galeriste qui bouscule le monde de l’art contemporain !

Peux-tu nous parler de la programmation de la galerie et de ton goût marqué pour le dessin ?
Je présente de la peinture, du dessin et ce que je nomme de l’installation. Le dessin fédère l’ensemble des artistes et donne une unité à la programmation de la galerie, à la fois comme instrument de recherche (croquis, …) et comme œuvres. J’ai connu Anne de Nanteuil, une de mes premières artistes, qui conçoit des installations et réalise de grandes sculptures, par le dessin. Même mes artistes pluridisciplinaires travaillent pour la plupart à partir du dessin.  Anahita Bathaie, pour son exposition personnelle d’octobre soutenue par le CNAP, présentera de la vidéo et une grande installation de dessin. La programmation de la galerie s’est faite à partir d’une succession de rencontres et évolue encore avec de nouveaux coups de cœur comme l’artiste Andoni Maillard qui a très eu un beau succès à Art Paris avec ses trophées de chasse en bois et pyrogravure et Michal Mráz, peintre ayant quitté la scène urbaine pour construire à travers une peinture à l’huile et à la bombe un univers rempli de sens.

Tu attaches donc une importance particulière à varier les médiums…
J’ai besoin d’espaces de respiration. Je ne veux pas être une galerie référencée uniquement en dessin ou en peinture, ou donner l’idée que je suis une galerie contemporaine qui ne présente que des œuvres qui seraient le produit de la seule recherche plastique, ou exclusivement conceptuelles. Ce qui ne veut pas dire que je suis insensible à cette forme d’art. Je pourrais acheter n’importe quelle pièce qui m’émeut vraiment. La pierre de Matthieu Martin que je présente là est de ma collection privée. Face à elle, je ressens toujours une grande émotion, j’y vois un tableau abstrait. Pour le moment je ne représente plus de photographes. Je ne suis pas particulièrement attirée par les multiples, j’aime la pièce unique.

Tu accordes une importance particulière à la présence de la galerie sur les foires d’art contemporain. Y a t-il une foire en particulier où tu aimerais être présente ?
Participer à certaines foires vous catégorise mais j’essaye toujours de présenter des œuvres qui sortent du lot avec souvent de très grands formats. Je prends toujours des risques inconsidérés ! Je viens de candidater à une foire Off importante où je propose à nouveau un stand avec de très grandes pièces, un bateau et des dessins de Matthieu Martin, une grande œuvre murale de Anne de Nanteuil. Je ne veux pas réduire mon champ de foires à un ou deux mediums mais j’apprécie tellement la qualité des foires spécialisées comme Drawing Now (Le Salon du Dessin, ndlr) ou Art Paris Art Fair, j’ai besoin de montrer toute ma programmation à travers trois ou quatre foires bien précises.

Comment conçois-tu chaque année la scénographie de tes stands qui font tant parler d’eux ?
Elle est instinctive. C’est une sensation assez étrange car je ne réalise pas vraiment ce qui se passe. Tout au long de la durée des foires, les personnes disent que ça leur fait du bien. Tout d’abord je ne brime pas mes artistes s’ils souhaitent montrer de très très grands formats. Je ne dis pas non car sur une foire il faut être immédiat, il faut accrocher les regards. Bien sûr un stand peux être tout blanc avec une seule œuvre. Quand je vais pour signer 6 ou 8 mois en avance le contrat de la foire je sais exactement où seront toutes les œuvres et, là où j’ai de la chance, c’est que mes artistes me font confiance. Et chose extraordinaire, s’ils ont déjà une idée prédéfinie, ils ont exactement la mienne. Avec The Kid nous savions exactement où et comment nous allions disposer les pièces, qui n’étaient pas encore réalisées mais dont nous avions établi le projet. Je ne cherche absolument pas à concevoir le stand où il y aura le plus de monde, le plus de photos, d’encouragements ou de critiques. Il n’est pas nécessaire qu’il n’y ait que des grandes pièces, de l’exubérance. Je n’ai pas la volonté de faire un show démesuré, c’est juste comme ça que je le ressens. A un moment donné j’ai envie de donner à l’autre ce que j’aime.

On a toujours une impression de densité très particulière quand on est sur ton stand. A quoi est-elle due ?
Lors de ma première exposition sur une foire, à CUTLOG, la galerie n’avait qu’un mois d’existence et je ne pouvais pas m’offrir un stand de plus de 6m2. J’ai donc dû négocier car un si petit format n’existait pas. Quand on entrait sur le stand, on avait l’impression qu’il en faisait le double car j’ai exploité toute la hauteur. J’ai continué à procéder ainsi sur toutes les foires auxquelles je participe. Sur une hauteur de 3m, une œuvre de 2m80 de Léo Dorfner démarre quasiment du sol. Cela donne un effet cathédrale ! La galerie a aussi une incroyable capacité à accueillir de très grands formats. Si je mets des petites pièces elle semble intimiste. A l’exposition de The Kid, les pièces étaient tellement grandes que j’avais peur qu’elles ne puissent pas être accrochées.

Une densité que l’on retrouve dans les œuvres elles-mêmes par cette capacité à aller plus profondément dans l’intime, à montrer la nature profonde des choses et de l’humain…
C’est vrai et les collectionneurs qui entrent dans la galerie le ressentent immédiatement. Léo Dorfner joue sur l’inquiétante étrangeté, Julien Gorgeart a quelque chose d’angoissant dans son travail, les œuvres de Samuel Martin sont plus qu’impressionnantes. L’œuvre de Florence Obrecht qui fait face à la porte d’entrée et qui pourtant s’appuie sur la thématique de la fête est terrifiante avec ce blanc presque translucide. Les dessins sont très beaux, dégagent une grande puissance car justement ils sont très intimes. Pour moi qui me destinais à l’abstraction par mes études, qui suis une fervente admiratrice du travail de Martin Barré ou de Soulages, la présence de toutes ces figurations pourrait surprendre, mais ce n’est qu’une apparence car pour moi chaque détail des œuvres que je présente a autant de force qu’un tracé au spray de Martin Barré.

Des détails qui nécessitent une grande technicité…
Je ne choisis pas mes artistes en fonction de ce qu’ils représentent mais de l’intensité qu’ils sauront donner à chaque parcelle de l’œuvre par leur savoir-faire. J’aime l’émotion que pourra dégager un noir, la qualité d’illustration d’un détail, d’un pli d’étoffe. Quand je regarde une œuvre de Jérémie Amigo, ce n’est pas le coté chamanique qui m’attire le plus, je suis fascinée par le traitement de la fourrure de l’animal dans lequel on a envie de glisser les doigts. Je ne cherche pas un hyper réalisme, je veux à la fois être touchée et avoir envie de toucher. Techniquement, les artistes de la galerie sont de très bons artistes. Être capable de faire une encre de chine comme celle de Julien Gorgeart est incroyable. Léo Dorfner ne fait pas de mine de plomb, ce sont bien des aquarelles. Une technique qu’il maîtrise parfaitement quand on sait qu’il suffit d’une seule goutte pour que l’œuvre soit fichue ! Les rendus de surfaces d’eau d’Adrien Belgrand donnent envie d’y plonger dedans. Je crois qu’effectivement dans chacune des œuvres, au-delà de la technique, il y a un côté très intime et qu’elle comporte cette part instinctive que j’aime ressentir en toute chose.

Actuellement tu présentes l’exposition des envies d’eux. Peux-tu nous en dire plus sur ce titre très gourmand ?
Pour commencer, il faut que le collectionneur ait envie de… « Des envies d’eux » parce que c’est eux et moi, que sans eux la galerie n’existe pas, que sans eux, mes artistes, la galerie n’existerait pas ainsi. Le titre laisse supposer des envies de dessin, de peinture, de nouvelles œuvres et en même temps, par ce titre, je pointe mes artistes. L’exposition précédente s’appelait Sea, Art & Sun, c’était déjà bien allusif ! La première exposition collective s’appelait « Ils étaient, ils sont, ils seront » avec la volonté d’amener et de montrer ces artistes dans ma galerie dans une exposition collective. Avec le titre Des envies d’eux, j’évoque aussi des envies d’ailleurs car pour la première fois, je présente l’artiste Michal Mráz.

Exposition Des envies d’eux du 30 mai au 10 juillet 2015 réunissant les oeuvres des artistes : Samuel Martin, The Kid, Léo Dorfner, Matthieu Martin, Anne De Nanteuil, Adrien Belgrand, Jérémie Amigo, Florence Obrecht, Andoni Maillard, Jean-Baptiste Perrot, Joël Hubaut, Anahita Bathaie, Anouk Durand-Gasselin, Julien Gorgeart, Timothée Schelstraete et Michal Mraz

Galerie ALB – Anouk Le Bourdiec 47, Rue Chapon 75003 Paris

galeriealb.com

Galerie ALB
Galerie ALB ©photo/Pierre Arnaud
Galerie ALB
Galerie ALB ©photo/Pierre Arnaud
Galerie ALB
Galerie ALB ©photo/Pierre Arnaud
Léo Dorfner, Galerie ALB
Léo Dorfner, Galerie ALB ©photo/Pierre Arnaud

 

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