La Grande Bretagne à Arles : Home/Street/Home

La Grande Bretagne à Arles : Home/Street/Home

EN DIRECT / Expositions « Tom Wood. Mères, filles, sœurs », curatée par Martha Kirszenbaum, et « Home Sweet Home », curatée par Isabelle Bonnet dans le cadre des Rencontres de la photographie Arles du 1er juillet au 22 septembre 2019
par Anysia Troin-Guis

Pour sa cinquantième édition, les Rencontres d’Arles proposent une multitude d’expositions qui sont articulées selon quelques séquences thématiques (Mon corps est une arme, À la lisière, Habiter et Construire l’image) et des séquences plus générales, telles Relecture. Dans deux de ces expositions, c’est la Grande Bretagne qui se décline, du dedans au dehors, revisitant des grands noms de la photographie britannique tout en explorant différents territoires de celle-ci. Deux faces d’une même pièce, les expositions « Tom Wood. Mères, filles, sœurs », curatée par Martha Kirszenbaum, et « Home Sweet Home », curatée par Isabelle Bonnet, croisent la sphère intime et la sphère publique et offrent dès lors un kaléidoscope du pays mais aussi une petite histoire des pratiques et approches de la photographie outre-manche, à travers la perspective monographique ou collective. 

Exposition Tom Wood. Mères, filles, sœurs curatée par Martha Kirszenbaum
Exposition Tom Wood. Mères, filles, sœurs curatée par Martha Kirszenbaum
Rencontres de la photographie Arles 2019
photo Remy Tartanac
Exposition Tom Wood. Mères, filles, sœurs curatée par Martha Kirszenbaum Rencontres de la photographie Arles 2019 photo Remy Tartanac
Exposition Tom Wood. Mères, filles, sœurs curatée par Martha Kirszenbaum
Rencontres de la photographie Arles 2019
photo Remy Tartanac
Exposition Tom Wood. Mères, filles, sœurs curatée par Martha Kirszenbaum Rencontres de la photographie Arles 2019 photo Remy Tartanac
Exposition Tom Wood. Mères, filles, sœurs curatée par Martha Kirszenbaum
Rencontres de la photographie Arles 2019
photo Remy Tartanac

Tom Wood. Mères, Filles, Sœurs 

Considéré avec Martin Parr ou Paul Graham comme un représentant de la photographie sociale britannique, celui qui est surnommé « Photie-man » s’est imposé comme la référence de la photographie de rue et du portrait d’inconnus de Liverpool, de ses rues, ses bars, ses clubs, ses marchés, ses docks, ses parcs et ses stades. 

Déjà mise en avant dans l’ouvrage Women’s market publié l’an dernier chez Stanley/Barker, la série consacrée aux femmes du Great Homer Street Market est ici mise en regard avec quelques éléments de la collection vernaculaire du photographe. Des photographies anciennes de famille, des cartes postales aux sujets traditionnels à la capture de moments familiaux et chaleureux et pleins de spontanéité, il s’agit donc de synthétiser les recherches sur l’image de Tom Wood, à partir d’un corpus du féminin et des airs de famille qui peuvent aléatoirement apparaître telles des fulgurances. 

Sur une vingtaine d’années environ, le photographe a saisi au Leica les femmes dans leur quotidien, leurs achats mais aussi leur relation aux autres, offrant un panorama des modes successives et de ses couleurs flamboyantes, d’une vie de quartier au joyeux désordre et immortalisant les liens intemporels, de la famille ou de l’amitié, qui évoluent sous son objectif. Déployé dans l’espace restreint de la salle Henri-Comte, le parcours associe photos et documents extraits des archives de l’imagerie populaire selon un accrochage dynamique, par petites constellations et une sorte d’atlas plus conséquent qui couronne une des cloisons. 

Les cartes postales et leur vision de la réalité, entre fantasme et ordre, dialoguent avec des instantanés plus ou moins bruts du quotidien complice de ces femmes. Dès lors, une généalogie de la démarche de Tom Wood semble se dessiner ainsi qu’une représentation, via la foule, les visages et le mouvement perpétuel du marché, d’une ville et ses périphéries marquées par une certaine violence sociale. Violence qui se voit minorer, si ce n’est dialectiser, par l’attention portée à l’intime et à la familiarité. 

Exposition Home Sweet Home curatée par Isabelle Bonnet Rencontres de la photographie Arles 2019 photo Remy Tartanac
Exposition Home Sweet Home curatée par Isabelle Bonnet
Rencontres de la photographie Arles 2019
photo Remy Tartanac
Exposition Home Sweet Home curatée par Isabelle Bonnet Rencontres de la photographie Arles 2019 photo Remy Tartanac
Exposition Home Sweet Home curatée par Isabelle Bonnet
Rencontres de la photographie Arles 2019
photo Remy Tartanac
Exposition Home Sweet Home curatée par Isabelle Bonnet Rencontres de la photographie Arles 2019 photo Remy Tartanac
Exposition Home Sweet Home curatée par Isabelle Bonnet
Rencontres de la photographie Arles 2019
photo Remy Tartanac

Home Sweet Home

Tournée vers l’intérieur cette fois, l’exposition collective réunit les travaux d’une trentaine de photographes pour un corpus qui se déploie des années 1970 à aujourd’hui. Emblématique d’un mode de vie bourgeois jusqu’à se fondre dans la notion de famille et la représentation du bonheur, l’idée de la vie privée est travaillée selon le prisme du lieu domestique, avec lequel elle fait corps. 

Le déplacement au sein de la culture visuelle britannique dans lequel s’origine le projet curatorial, les photographes s’intéressant davantage à l’espace intime qu’au paysage urbain à partir des années 1970, est à attribuer à une société en pleine mutation où le foyer familial est central. Chaque objet, chaque élément du décor de la maison ou de l’appartement est alors le reflet de celui qui l’habite, de ses choix, de sa posture envers les autres et envers lui-même : de soi à soi ou de soi au monde, l’intérieur témoigne d’une pluralité d’identités, qu’elles soient personnelles, culturelles ou sociales. 

Chaque pièce de la Maison des peintres, demeure traditionnelle un peu désuète qui exhibe les traces du temps, fonctionne comme un chapitre éclairant un aspect d’une histoire du chez soi, en ville, en banlieue ou à la campagne. C’est tour à tour la bourgeoisie, la classe ouvrière, le néolibéralisme de Margaret Thatcher, les inégalités sociales ou la multiculturalité de la Grande-Bretagne qui informent la complexité de la société britannique. Du taudis au jardin, des immeubles démesurés aux intérieurs cossus, l’exposition retrace, selon une brillante scénographie, une histoire politique, sociale et culturelle.

La part aux femmes ? 

Il n’est pas inintéressant de signaler le contexte problématique du monde de la photographie dans lequel s’insèrent ces deux expositions. En effet, au sortir de l’édition 2018 des Rencontres d’Arles était parue dans Libération une tribune dénonçant l’androcentrisme de la manifestation et réclamant une meilleure représentativité des femmes. Les revendications du collectif #LaPartdesFemmes initié par Marie Docher ont donc été entendues puisque, pour la première fois, Arles présente 47% de photographes femmes et par-là même réalise un geste fort en tant qu’événement majeur de la scène photographique internationale. 

Sans résumer les deux expositions évoquées à des statistiques, il est bon de signaler, puisqu’il en reste certains à convaincre, qu’une exposition collective peut être paritaire tout en préservant une excellente qualité. On note aussi la mise en avant de propositions solides concernant les représentations normées de la femme, de la beauté ou du couple, chez Natasha Caruana et Juno Calypso, ou, à travers l’exploration d’une logique perverse et latente de domination pure, celle de la violence conjugale chez Anna Fox. La mention du collectif anarchiste, artistique et militant Crass, via la série jubilatoire de photomontages anti-Thatcher de Gee Vaucher, révèle d’ailleurs une certaine orientation curatoriale dans la force de contestation politique qu’elle incarne. 

De même, le choix de deux commissaires femmes, Isabelle Bonnet et Martha Kirszenbaum (une des premières signataires de la lettre ouverte #Notsurprised en 2017 dénonçant le sexisme dans le monde de l’art), participe de ce mouvement de visibilité des professionnelles de la photographie. C’est donc un pas en avant contre l’occultation quasi systématique des femmes du canon et l’écriture d’une histoire des dominants. En bref, un pas vers la construction d’un récit plus cohérent avec la réalité de l’histoire de la photographie et, plus généralement, de l’art. 

Anysia Troin-Guis

INFOS PRATIQUES

TOM WOOD
MÈRES, FILLES, SŒURS

Commissaire de l’exposition : Martha Kirszenbaum.
Exposition produite en collaboration avec la galerie Sit Down. 

SALLE HENRI-COMTE
Du 1er juillet au 25 août 2019 de 10h00 à 19h30


HOME SWEET HOME
1970 – 2018 : LA MAISON BRITANNIQUE, UNE HISTOIRE POLITIQUE

Commissaire de l’exposition : Isabelle Bonnet.
Exposition coproduite par l’Institut pour la photographie, Hauts-de-France et les Rencontres d’Arles.

Ed Alcock (1974), Dana Ariel (1983), Keith Arnatt (1930-2008), Laura Blight (1985), Juno Calypso (1989), Natasha Caruana (1983), Mark Cawson (1959-2018), Edmund Clark (1963), John Paul Evans (1965), Anna Fox (1961), Ken Grant (1967), Anthony Haughey (1963), Tom Hunter (1965), Sarah Jones (1959), Peter Kennard (1949), Neil Kenlock (1950), Karen Knorr (1954), Sirkka-Liisa Konttinen (1948), Chris Leslie (1974), Stephen McCoy (1956), Iain McKell (1957), Michael McMillan (1962), Daniel Meadows (1952), David Moore (1961), John Myers (1944), Martin Parr (1952), Magda Segal (1959), Andy Sewell (1978), David Spero (1963), Eva Stenram (1976), Clare Strand (1973), Colin Thomas (1950), Gee Vaucher (1945), Gillian Wearing (1963)

MAISON DES PEINTRES
Du 1er juillet au 22 septembre 2019 de 10h00 à 19h30

www.rencontres-arles.com/fr