Parmi les choses, Progress Gallery Paris

Parmi les choses, Progress Gallery Paris

Miguel-Angel Molina,Mou, 2013,
acrylique sur éponge, 10 x 13 x 6 cm
exposition Parmi les choses, Progress Gallery Paris

Où quand l’objet de l’art, c’est l’objet. 

Il faut dire que le principe d’indifférence duchampien est désormais tant et si bien assimilé que l’art transige parfois jusqu’à l’indiscernabilité avec le domaine des produits manufacturés. L’œuvre et la chose, isomorphes – on a maintenant cette habitude. Laquelle s’assortie d’ordinaire d’une déréalisation de l’objet, comme si l’opération qui le constitue en ready-made ne visait qu’à le libérer de l’usage. 

D’autres intentions, pour aiguillonner cette économie de la chose usuelle. 

Proposer une ré-élaboration des termes qui édictent la bonne forme de l’objet – une forme précise, stable, inhérente à sa fonction. Jusqu’à l’absurde, comme lorsque Cédric Guillermo adapte la silhouette de la lame de chacune de ses tronçonneuses au gabarit unique qu’elle se propose désormais de débiter. Ou que Lucie Riou modèle ses cale-portes en imprimant à des butées en argile encore molles l’empreinte laissée par l’ouverture du battant. Chaque objet ainsi re-fabriqué de montrer un nouveau possible, une mobilité de la forme à rebours de la linéarité de la fabrication en série. 

Mettre en œuvre la valeur d’usage. Les dessins de Benoît Géhanne ne retiennent ainsi du plateau du flipper que le délinéament produit par le trajet de la bille. L’objet, one-shot – réduit à une situation circonstanciée. Lucie Riou encore, lorsqu’elle met en branle une table, des étagères. Mésusage. Les meubles se départissent de la fixité, de l’orthogonalité prescrites par une utilisation ad hoc, l’action performative érodant l’évidence de leur « bonne forme ».

En droite ligne, profiter de la ruine de la destination de l’objet pour défaire cette opposition traditionnelle qui distingue la production artistique de la chose usuelle. Sylvie Ruaulx collecte auprès des entreprises des éléments mis au rebut du patrimoine industriel. Muets quant à leur fonction initiale, rendus à leurs seules qualités esthétiques, ces Similiblics sont en attente de signification – ils s’étagent dans l’espace d’exposition comme autant de questions à l’adresse de cette mythologie toujours persistante de la spécificité de l’art.

Jouer de l’analogie avec la fabrication en série pour faire œuvre, unique. Cyril Zarcone emprunte les matériaux et solutions d’agencement des auvents rétractables – des lés de toile tendus sur une structure métallique tubulaire. Sauf que. La forme usuellement haute se déploie maintenant jusqu’au sol, déclassée, et encore détournée en socle. Miguel-Angel Molina insiste sur cette porosité entre production industrielle et artistique. Au mur, alignée sur la position érigée du spectateur, la table de camping est un châssis « tout fait » pour le Tabló rose. Mou aborde le problème a contrario : cette couche épaisse d’acrylique recouvrant la surface de l’éponge venant en effet, par ce couplage, interroger les qualités objectales du médium.

Débarrasser l’objet de sa formalité. Anne-Marie Cornu constitue de longues boucles de bande magnétique simplement déposées sur des demis cercles de bois. La caméra, et/ou le projecteur vidéo résumés à cet épicentre : le ruban de pellicule et l’amorce de forme circulaire, qui produirait métaphoriquement ce flux qui fait le film. Restreint à cette synecdoque, l’objet ouvre à un autre type d’enchaînement – celui, infini, indéterminé, de la libre association. 

En définitive, ne conserver que l’idée de l’objet. Si Le bruit de l’échantillonneuse d’Hélène Moreau convoque une mécanique, c’est celle de la pensée. Différents éléments de cet assemblage élémentaire évoquent certains objets du quotidien – proportions et matériaux rendent là une porte, ici la découpe d’une roue dentée démultipliée, et aussi le rouleau, un montant et l’ensouple d’un métier à tisser. Mais ce vocabulaire industriel compose un dispositif improductif dans l’ordre matériel : l’installation est une machine célibataire, un geste qui, en embrayant d’autres, permet ainsi aux mouvements de l’esprit de se représenter – comme l’indique ce tissu du vert des fonds d’incrustation, surface d’inscription, d’enregistrement résolument du côté de l’immatériel. 

Pour nuancer ce triomphe de l’objet, acter d’un certain assujettissement. Margaret Dearing propose une vue serrée, plein cadre, sur un réseau complexe d’éléments de mobilier urbain. En tous sens barrières, glissières, portique, poteaux et panneaux signalétiques organisent le paysage domestique, et bornent les circulations. L’objet, indicateur normatif régulant les flux comme les comportements.  

Alors, mettre en perspective ce rapport au monde par l’intermédiaire des objets. Revenir sur ce postulat – erroné – de Bergson, selon lequel le propre de l’homme serait cette capacité à produire des objets. Lors du vernissage, Nicolas Puyjalon performera Homo Faber. Lui dont on sait que les actions jouent du fait que l’objectif énoncé, malgré les efforts et l’acharnement, demeure toujours asymptotique, propose d’être ce soir-là l’Homme qui fabrique… 

Texte Marion Delage de Luget © 2019

Sylvie Ruaulx Similiblic Stock, 2016-18, 2 étagères + 38 similiblics, matériaux divers
Sylvie Ruaulx Similiblic Stock, 2016-18, 2 étagères + 38 similiblics, matériaux divers
Nicolas Puyjalon Homo Faber, 2019, performance, Progress Gallery, Paris, Limitée à quatre réactivations
Nicolas Puyjalon Homo Faber, 2019, performance, Progress Gallery, Paris, Limitée à quatre réactivations
Lucie Riou Boum boum pam pam (les meubles vibrent aussi), 2019, vidéo format 16/9, 2 min 20s, 3 exemplaires
Lucie Riou Boum boum pam pam (les meubles vibrent aussi), 2019, vidéo format 16/9, 2 min 20s, 3 exemplaires
Margaret Dearing Alpha city 1, 2018, tirages lambda contrecollés sur dibond, édition de 1 à 5, 40 x 50 cm
Margaret Dearing Alpha city 1, 2018, tirages lambda contrecollés sur dibond, édition de 1 à 5, 40 x 50 cm
Cyril Zarcone Structure in-situ pour colonnes torsadées, 2019, tube acier, bâche plastique, résine acrylique, poudre de marbre, dimensions variables
Cyril Zarcone Structure in-situ pour colonnes torsadées, 2019, tube acier, bâche plastique, résine acrylique, poudre de marbre, dimensions variables
Benoît Géhanne Tilt # 02, 2019, graphite et spray sur papier, fabriano 300 g, 29,7 x 42 cm
Benoît Géhanne Tilt # 02, 2019, graphite et spray sur papier, fabriano 300 g, 29,7 x 42 cm
Cédric Guillermo Tronçonneuses, 2016, Acier et bois (if), dimensions variables
Cédric Guillermo Tronçonneuses, 2016, Acier et bois (if), dimensions variables
Hélène Moreau Le Bruit de l’échantillonneuse, épisode 3, La porte, 2018, contreplaqué,béton, acier, cuivre, terre cuite, textile polyester, 190 x 160 x 100 cm
Hélène Moreau Le Bruit de l’échantillonneuse, épisode 3, La porte, 2018, contreplaqué,béton, acier, cuivre, terre cuite, textile polyester, 190 x 160 x 100 cm
Anne-Marie Cornu Fraterie, 2017, bois, bandes magnétiques, 90 x 180 cm
Anne-Marie Cornu Fraterie, 2017, bois, bandes magnétiques, 90 x 180 cm

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