PASCAL BRATEAU, LOCKDOWN

PASCAL BRATEAU, LOCKDOWN

ENTRETIEN / LOCKDOWN auto-interview de Pascal Brateau

« question : qu’est ce que tu fais ?
réponse : rien. »*

– pourquoi cette auto interview ? D’où te vient cette idée ?
– L’actualité artistique ayant été réduite à néant, il m’a semblé approprié de reprendre la main. c’est pas la première fois que j’en fais une. L’idée m’était venue je crois en lisant Almodovar, qui en avait fait une. L’avantage c’est que tu as droit aux bonnes questions.
Ceci dit je vais essayer de faire appel à la puissance schizophrène de mes différents moi.

Pascal Brateau

– reprendre la main pour parler de ton actualité artistique donc.
Des projets annulés, reportés ?

– En effet, quelques projets reportés (une résidence en particulier), mais pas tant que ça en fait. Finalement, cette pandémie n’est pas tombée au meilleur moment pour moi haha. Si j’avais eu plein d’expo annulées, j’aurais pu continuer à communiquer, donc à exister. Au lieu de ça, je me suis retrouvé dans un vide proche de la disparition… Mes projets actuels sont à moyen terme, et donc encore prévus pour l’instant. Mais ce confinement m’a plongé dans une semi stupeur où je me suis senti submergé par cette déferlante d’expositions virtuelles, d’appels à candidatures virtuels pour soutenir les artistes virtuellement en montrant leur travail de façon dématérialisée… J’ai un peu flippé je crois.

– est ce que tu as continué à créer ?

– étant confiné en France avec mon atelier à Berlin, je n’y ai évidemment plus accès. Mais j’ai eu la chance de pouvoir investir une pièce vide en tant qu’atelier. Un peu rudimentaire, il me manque du matériel, mais c’est sûrement quand même du luxe. Pourtant je n’ai pas réussi à vraiment produire. Un de mes objectifs a été de maintenir et renforcer mon réseau. Mais je me suis vite rendu compte que l’art confiné, la création en confinement, l’art vu de sa fenêtre, etc, n’a pas vraiment de sens, à part quelques exceptions d’artistes inspirés (qui en fait avaient sûrement déjà un travail sur ces thématiques auparavant). Ce qu’on nous demande aujourd’hui c’est de réagir en tant qu’artiste à la situation extraordinaire que nous vivons, ce que je peux comprendre, mais on nous le demande n’importe comment, du genre envoyer une image de n’importe quoi, notre jardin par exemple, parce que « c’est vrai, beaucoup d’artistes se sont mis à cultiver leur jardin » ! ou alors raconter nos états d’âme, parce que quand même, c’est pas facile la situation d’artiste en tant de crise ! C’est vrai qu’avant c’était pas mal rose… Bref mis à part la communication, la mise en ligne d’images d’oeuvres, peu de monde a trouvé le moyen de montrer de l’art, de faire exposition pendant ce temps de confinement. (Je n’ai pas tout vu bien sûr, et de très bons projets m’ont j’espère échappé). Le meilleur exemple que j’ai vu est celui de Carlo Roccafiorita en Italie. Ce curateur, par le biais d’un appel à projet, met littéralement en oeuvre les oeuvres des artistes sélectionnés, selon leur protocole, dans son espace, de manière rigoureuse et attentive. L’oeuvre, par son intermédiaire, existe réellement.

– tu es donc plus dans l’observation, dans une période de non création ?

– comme l’ont très justement rappelé de nombreux artistes, le confinement n’est pas une résidence à la maison. Nous sommes comme tout le monde déstabilisés par l’arrêt brutal de notre activité. Le confinement, choisi, d’un artiste en temps de création (haha il y aurait une thèse à écrire sur la définition de ce temps de création) peut exister et être très enrichissant bien sûr. La subtilité, si tant est qu’il s’agit d’une subtilité, réside dans le terme « choisi ». Toutefois mon mode de pensée, le mode de pensée de tous les artistes peut-être ?, est plutôt obsessionnel, et il m’est difficile d’arrêter de penser à mes projets, même en temps de procrastination lourde. Je ne suis donc pas à proprement parler dans une période de non création, mais plutôt dans une période de réflexion procrastinatoire intense.

– qu’est ce qui est intense ? La réflexion ou la procrastination ?

– haha cette question est une partie importante de la réflexion… La procrastination est quant à elle une partie importante de la question.

– le regard sur ton travail a-t-il changé ?

– le regard sur la production artistique actuelle a forcément changé, pas seulement pour moi. Toutes les oeuvres sont aujourd’hui réévaluées à l’aune de la pandémie ou du confinement. Je suis extrêmement intéressé par l’opposition syntaxique absolue de ces deux mots. Ma recherche est centré sur la maison, sur l’habité. Je parle de contrainte, d’enfermement, de promiscuité autant que d’oppression, je parle d’un dedans et d’un dehors. Je parle de sentiments collectif et de lieux de vie. Il est évident que ce questionnement prend une allure différente, mais je ne peux absolument pas prédire si il devra perdurer ou non, si il gardera sa pertinence. Et bien sûr chaque pièce que j’ai produite peut être regardée différemment, analysée avec une grille de lecture nouvelle.
C’est peut-être une bonne chose, comment savoir ?

– tu veux dire que ton travail va évoluer suivant ce nouveau paradigme ?

– ma recherche, bien que resserrée depuis longtemps sur une thématique précise évolue constamment, et bien entendu je suis attentif au monde qui m’entoure, presque toujours d’ailleurs au microcosme même qui entoure l’oeuvre ou les conditions de sa création. Évidemment mon travail va continuer d’évoluer. Il faudra bien retranscrire cette sidération.

 *auto interview, in revue PIERRE INERTE n°3, 1995

Pascal Brateau
Pascal Brateau, MUE 1 : étude pour une sculpture, encre sur papier, 2020
Pascal Brateau, MUE 1 : étude pour une sculpture, encre sur papier, 2020
Pascal Brateau, MUE 2 : étude pour une sculpture, acrylique sur papier plié découpé, 2020
Pascal Brateau, MUE 2 : étude pour une sculpture, acrylique sur papier plié découpé, 2020
Pascal Brateau, La parenthèse : étude pour un bas relief, pierre noire sur papier
Pascal Brateau, La parenthèse : étude pour un bas relief, pierre noire sur papier

Travaux réalisés pendant le confinement

PASCAL BRATEAU – BIOGRAPHIE

pascal brateau a étudié l’architecture à Nancy (Fr) et Porto (Pt). En 1994, il crée le fanzine d’art « pierre inerte » avec Jean Decap à Toulouse. En 1995, il fonde un studio de design et d’architecture intérieure aux Açores. Architecte français d.p.l.g. depuis 2000, il est l’un des fondateurs du studio dbdarchitects et partage son temps entre Nancy (Fr) et Berlin (De). Artiste / architecte convaincu que l’art doit aujourd’hui occuper l’espace, investissant le moindre coin caché du questionnement et affectant toutes les classes sociales, ses pièces interpellent directement les spectateurs, les interrogeant directement en dérangeant leur réalité. L’œuvre se déroule dans un paysage, quel qu’il soit: rural, urbain, public ou privé, intérieur voire virtuel.

http://troisquatorze.fr.nf