DISCUSSION AVEC BIANCA BONDI

DISCUSSION AVEC BIANCA BONDI

Bianca Bondi construit des biotopes à partir d’objets récupérés et de matériaux divers, chaque œuvre devient un micro-univers autonome. Pour se faire, l’artiste invoque tant la réaction chimique que l’aura symbolique de ces éléments ; par l’action du sel, les coupes et vases en cuivre se font surface chromatique en constante évolution. Ses sculptures et installations subissent d’incessants changements en fonction d’éléments imperceptibles comme l’humidité de l’espace d’exposition. Les expérimentations de Bianca Bondi se situent au croisement de l’ésotérique et du scientifique. Ces formes séduisent et nous révèlent une inquiétante temporalité où ce qui semble liquide est immobile (série Stir), où la vitrine plutôt que de conserver expose la lente putréfaction (série Bloom), où l’infusion s’avère cristallisation (Infusion…).
Thaumaturge, l’artiste révèle la densité de l’immatériel. Pour Diet & psychology, présentée dans l’espace des Limbes à Saint-Etienne, Bianca Bondi introduit un nouvel élément : l’alimentation, l’influence de celle-ci dans notre organisme, sa part mystique et émotionnelle.

 

Léa Cotart-Blanco : Tout d’abord, peux-tu nous présenter la façon dont tu as pensé les pièces présentes dans Diet & psychology ? Est-ce un ensemble conçu spécifiquement pour ce lieu ?

Bianca Bondi : Je me suis récemment lancée dans l’écoute de podcasts et suis particulièrement obsédée par de nouveaux podcasts basés à Los Angeles qui ont des invités parlant du bien-être, de la beauté et de la façon dont cette dernière et la santé se développent et sont gouvernées en interne par ce que nous consommons. Cela peut être aussi varié que boire de l’eau potable nettoyée par des cristaux de quartz, les derniers antioxydants découverts dans la prévention de l’Alzheimer, ou que la manière dont l’arrangement spatial et la minimalisation d’un environnement peuvent affecter notre état mental. En préparation de cette exposition, je me suis mis à consommer ces informations avec l’objectif final que, inconsciemment, ces données pourraient à leur tour nourrir et infiltrer mon travail de manière esthétique. Les œuvres exposées n’étaient pas en tant que telles spécifiquement conçues pour l’espace -mais, le fait que ce lieu s’appelle «Les Limbes» est une belle coïncidence, car je m’aperçois que ma pratique se situe toujours entre plusieurs états. Et cela tant littéralement, à mesure que les matériaux se transforment, que conceptuellement où de nombreuses expériences sont menées à un niveau invisible.

 

Je pense notamment à la vitrine où cet amoncellement de quincailleries rappelle les magasins d’antiquité du quartier…

C’était un heureux hasard que je montre une accumulation d’antiquités dans ce qui était autrefois le quartier des antiquaires. Mais là encore, je n’ai jamais cru qu’il existe une telle chose comme une coïncidence …

 

Une vitrine qui interpelle les passant.e.s depuis la rue, une première salle à l’accrochage clinique, un second espace -confiné celui-ci- proche du cabinet de curiosités… Ce cheminement semble très réfléchi. Comment construis-tu notre parcours de publics au sein de tes expositions ?

Il était important pour moi que la première pièce soit presque clinique, je voulais vraiment que la salle principale, ou salle d’entrée, soit minimale; les œuvres ne sont pas simplement une accumulation et une intervention d’objets, mais une accumulation très pensée, poétique et surtout psychologique. La majorité de mes œuvres sont in-situ; l’architecture, la qualité de l’air… sont des éléments clés dans la réalisation d’un travail.
J’avais vu plusieurs images de l’espace avant de le visiter. Mais dès que j’étais physiquement dans les Limbes, tout a changé et j’ai reformulé la curation.

 

Concernant le titre de ton exposition, Diet & psychology, quel est son sens ?

Il résulte de la combinaison des codes et des associations de régime alimentaire et du subconscient ainsi que leurs processus de transformation connexes qui se produisent habituellement en hors champs.

 

Pourquoi une telle contradiction entre ce titre très « healthy » et l’image de ton carton d’exposition : cigarette, vernis écaillé et téléphone portable ?

J’ai trouvé l’image de la main de cette femme incroyablement sexy alors qu’elle fumait, et je ne pouvais pas m’empêcher de la filmer. N’étant pas fumeuse moi-même, j’étais fascinée par mon attirance.
Je pense que c’est important de mettre en avant des contradictions parce que tout est relatif dans la vie. L’alimentation et la psychologie n’évoquent rien de particulièrement  sexy, mais cette femme qui fume oui. Ma propre psychologie derrière cette attirance semblait être une bonne affiche pour présenter cette exposition solo.

 

Tes vitrines -Bloom- semblent autonomes les unes des autres, tout en formant un ensemble homogène avec certains éléments qui se répètent : fleurs séchées, sel, etc. Quel est ton processus de composition de ces vitrines ?

Chaque vitrine «Bloom» est un sujet en soi que je n’ai pas forcément planifié à l’avance, mais que j’arrive à comprendre lorsque je suis sur le point de l’achever. Leur sujet est guidé par la combinaison des objets choisis pour leur esthétique – comme une nature morte – et dont le sens peut ensuite être dérivé. Les cinq «Bloom» de cette exposition s’oxydent et se cristallisent en utilisant uniquement des acides et des produits alimentaires, contrairement à mes travaux habituels dans cette série. Jusqu’à présent ils combinaient du sel ainsi que des produits chimiques tels que le sulfate de cuivre et le permanganate de potassium.

 

Ta pratique porte notamment sur les réactions chimiques -je pense à tes cristallisations salines-, sur la lente décomposition d’éléments naturels… Plutôt que de figer pour l’éternité, tes oeuvres induisent un constant work in progress…

Il y a un aspect de décomposition mais ce qui se passe dans ces vitrines est plutôt un cycle dual : une recomposition et une accumulation de matière sous forme de croûtes et de cristaux. L’élément principal est l’eau de mer qui cristallise mais aussi qui se re-liquéfie en fonction de l’humidité de l’endroit où elle est montrée.

 

Dans ta série Stir le liquide semble en apesanteur au sein de tes sacs, les plans horizontaux et verticaux se confondent dans tes vitrines de la série Bloom. Comment investis-tu cette notion de gravité ?

Le sac plastique est symbolique de notre société de consommation ainsi que d’une époque où l’on n’avait pas à penser à son devenir si jetable et si commun. Fait de plastique, il est une «nouvelle technologie» du passé.  Ces sculptures sacs contiennent des cheveux longs, synonymes de jeunesse, mais ils sont blancs et synthétiques. Ces éléments sont positionnés à l’intérieur des sacs comme s’ils flottaient dans des flaques d’eau. J’ai développé derrière ces pièces une réflexion paradoxale car on voit en apparence de beaux cheveux, jeunes et sains, flottant sur la surface d’eau : il y a une imagerie romantique et surréaliste, avec une évocation de la figure de la sirène ou encore d’Ophelia. Des fois il y a des cristaux, (petit version aux chevaux rousses “Puddle (redhead)”) ou des bonbons aux couleurs acidulées/  pop et des fleurs comestibles (“Stir (New wave bone broth)”). Néanmoins en étant des sacs plastiques, ces pièces nous ramènent à des questions d’écologie, de consommation, et cette fois-ci émergent aussi les thématiques de la place de l’être humain, du temps, de la mort.

 

 

Propos recueillis par Léa Cotart-Blanco © 2018 Point contemporain 
à l’occasion de l’exposition de Bianca Bondi, Diet & Psychology aux Limbes, Saint-Etienne, du 07 au 29 septembre 2018.

 

 

Bianca Bondi
Née en 1986 à Johannesburg (Afrique du Sud)
Vit et travaille à Paris

www.biancabondi.com

Elle est représentée par la galerie 22,48m² et galerie josedelafuente

 

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Actualités de Bianca Bondi :
agenda-pointcontemporain.com/bianca-bondi

 

Visuel de présentation : Bianca Bondi Stir ( Adaptogens) – Stir (New wave bone broth) – Stir (microbiome must haves), 2018. Vue de l’exposition Diet & Psychology aux Limbes, Saint-Etienne. Crédits : Bianca Bondi – courtesy de l’artiste

 

 

Bianca Bondi Stir (New wave bone broth), 2018. Vue de l'exposition Diet & Psychology aux Limbes, Saint-Etienne. Crédits : Bianca Bondi - courtesy de l’artiste
Bianca Bondi, Stir (New wave bone broth), 2018. Vue de l’exposition Diet & Psychology aux Limbes, Saint-Etienne. Crédits : Bianca Bondi – courtesy de l’artiste

 

Bloom (coco, copper and cognitive) - Flagrant heap. 2018 crédits :  Bianca Bondi - courtesy de l’artiste
Bloom (coco, copper and cognitive) – Flagrant heap. 2018 crédits :  Bianca Bondi – courtesy de l’artiste

 

 

Bianca Bondi, Bloom series, 2018. Vue de l'exposition Diet & Psychology aux Limbes, Saint-Etienne. Crédits : Bianca Bondi - courtesy de l’artiste
Bianca Bondi, Bloom series, 2018. Vue de l’exposition Diet & Psychology aux Limbes, Saint-Etienne. Crédits : Bianca Bondi – courtesy de l’artiste

 

Infusion : mineralizing, purifying and as hydrating as the Mediterranean Sea itself. 2018. crédits : Bianca Bondi - courtesy de l’artiste
Infusion : mineralizing, purifying and as hydrating as the Mediterranean Sea itself. 2018. crédits : Bianca Bondi – courtesy de l’artiste

 

 

Bianca Bondi, Infusion..., 2018. Vue de l'exposition Diet & Psychology aux Limbes, Saint-Etienne. Crédits : Bianca Bondi - courtesy de l’artiste
Bianca Bondi, Infusion…, 2018 (détail). Vue de l’exposition Diet & Psychology aux Limbes, Saint-Etienne. Crédits : Bianca Bondi – courtesy de l’artiste

 

Flagrant heap (détail). 2018 crédits : Bianca Bondi - courtesy de l’artiste
Flagrant heap (détail). 2018 crédits : Bianca Bondi – courtesy de l’artiste

 

Bloom (sea, smoke and carrots). 2018 crédits : Bianca Bondi - courtesy de l’artiste
Bloom (sea, smoke and carrots). 2018 crédits : Bianca Bondi – courtesy de l’artiste