HÉLÈNE BARRIER, MONA MINOTAURE
Mona Minotaure, 2023 Faïence H. 45; l. 40; prof. 20 cm – Hélène Barrier / Iconoklastes – Photographie ©Damien CORDIER
FOCUS / Hélène Barrier, Mona Minotaure, 2023 à l’occasion de l’exposition « Animaux Fantastiques », jusqu’au 22 janvier 2024, le Louvre-Lens
> Notices d’œuvres écrites par Yaël Pignol pour le catalogue de l’exposition « Animaux Fantastiques » publié par le Louvre-Lens et les Éditions Snoeck.
Au cœur des récits légendaires, les auteurs de l’Antiquité font la part belle aux protagonistes humains. Ils décrivent la trajectoire de ceux qui interviennent sur les événements, ceux dont la liberté d’action bouleverse les desseins des dieux et infléchit le destin. L’homme, en particulier, jouit d’une place centrale, « avec ses ambitions démesurées, sa quête infinie, son industrie phénoménale, ses amours souvent désordonnées1 ». Du mythe du Minotaure, c’est avant tout Thésée et son combat contre le monstre qui subsistent dans les mémoires.
Pourtant, il s’agit d’une histoire aux absences remarquables : Pasiphaé comme Ariane sont toutes deux silenciées par l’inconstance masculine. En ce qui concerne la première, la postérité retient et incrimine l’adultère bestial qui engendre le Minotaure. Or, cet acte mythique est principalement inspiré à la reine par Poséidon pour punir Minos de son outrage. Quant à leur fille Ariane, c’est son fil qui porte secours à Thésée et l’amène à la victoire. Mais une fois l’exploit accompli, la jeune femme est trahie par son amant qui l’abandonne sur l’île de Naxos. Dans les Héroïdes, le poète Ovide rapporte les lamentations d’une Ariane trouvant réconfort dans la nature : « J’ai trouvé la race entière des animaux plus douce que toi. […] Les lieux où j’errais t’appelaient autant de fois que moi même, et semblaient vouloir secourir une infortunée.2 »
Depuis le xxe siècle, ce mythe fait l’objet de différentes relectures par des autrices, des théoriciennes et des artistes issues de divers courants du féminisme. Hélène Barrier est l’une d’entre elles. Par ses dessins, masques, broderies, films et sculptures, elle part à la recherche de l’illustre inconnu qu’est le Minotaure. Dans un corpus global fait de détournements et d’appropriations, la créature n’est plus un antagoniste mais bien un double gémellaire, un avatar thérianthropique que l’artiste décline et incarne. L’autofiction fusionne avec le mythe : dans une tentative de tout « minotaurer », Hélène Barrier invente une généalogie de papier, et crée en céramique des vestiges archéologiques de L’Île au Minotaure. Dans une perspective proche de la pensée wicanne, Hélène Barrier façonne avec Mona Minotaure une entité où femme et animal deviennent indivisibles, et dans laquelle se confondent les figures muettes de tous ceux qui n’ont que difficilement voix au chapitre. Cette exploration s’aligne avec ses revendications citoyennes et éco-féministes, ce courant philosophique et politique qui postule la domination phallocratique sur les femmes et la planète. Le personnage de Mona Minotaure apparaît finalement comme un mode d’expression symbolique de la colère, du féminin, du masculin, du lourd, du poilu.
Yaël Pignol
1 Comte 1993, p. 9.
2 Ovide 1850, p. 33.