PAUL DESTIEU : TAMBOUR BATTANT

PAUL DESTIEU : TAMBOUR BATTANT

EN DIRECT / Exposition monographique Tambour battant de Paul Destieu du 29 août au 28 septembre 2019, art-cade, Galerie des grands bains douches de la Plaine, Marseille
par Jean-Christophe Arcos

A l’occasion de son exposition monographique présentée à art-cade, Galerie des grands bains douches de la Plaine, Marseille, Paul Destieu propose un corpus d’oeuvres confirmant la cohérence de ses investigations liées à la transcription, à l’encodage et aux échos.

Un C-Print extrait de la performance Fade Out accueille le visiteur : une batterie affleure à peine d’un tas de gravier ocre. En tombant sur le cuivre des cymbales, chaque grain a fait résonner l’instrument d’une musique involontaire, avant d’en faire un noyé réduit au silence des fossiles. Saisissant ce dernier état, la photographie atteste de l’ensemble des étapes sonores qui l’ont précédé – l’image fixe contient le film en puissance. 

Poursuivant ce jeu de correspondances et de latences, la première salle est dédiée à l’Archive d’une frappe, recherche qui occupe l’artiste depuis 2014.
Elle s’ouvre sur une vidéo où s’enchaînent sans relâche des extraits de concerts – les baguettes des batteries marquent le rythme qui précède le début du morceau. Un temps d’attente, de préparation ou de virtualité, la machine chauffe et le tempo retentissant poursuit le visiteur.
La blancheur de deux sculptures émerge du noir ambiant : transposant dans la densité du volume les mouvements effectués par le batteur fouettant l’air, elles figent une succession d’instantanés selon un principe inverse de celui des praxinoscopes des débuts du cinéma. L’accélération se décompose et les différentes combinaisons mouvement/masse deviennent visibles toutes en même temps – en un clin d’oeil amusé au Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp, Paul Destieu dévoile un principe moteur de sa recherche de long cours : la mise en réseau, par les techniques et technologies dont l’art s’empare, de possibles affinités entre différentes modalités perceptives.

Si la musique, pour John Cage, est « l’organisation, par n’importe quel moyen, de n’importe quel son », principe à partir duquel le compositeur agença ses premiers Imaginary Landscapes, Paul Destieu élargit encore les moyens d’investigation.

Il présente ainsi sur des feuilles de partition les séries de chiffres encodant numériquement les gestes du batteur, transformant les portées en une suite cabalistique s’effaçant sous la trace blanche de leur traduction informatique. 
D’autres dessins agrandissent le même report, cette fois prenant les allures de photocopies corrompues dont les défauts et faiblesses reprennent en réalité, en négatif, le code XML de la partition jouée. 
Une modélisation 3D sur laquelle n’apparaît sur fond noir que la succession de bâtonnets blancs indiquant le déroulement d’une séquence continue de percussions constitue la genèse, et la clef, de la recherche de contamination d’un langage à l’autre poursuivie par l’artiste. 
Le matériau de départ se dissémine dans l’ensemble des langages disponibles, il fait reculer le silence hermétique en proposant qu’en tout bruit blanc soit reconnue une organisation, fût-elle celle de la machine et de ses cryptages.

A partir d’un found footage en ligne, Paul Destieu définit sa méthode : un homme, seul au milieu du vide asthénique de l’écran, exécute des mouvements de tai-chi-chuan qui élargissent peu à peu notre champ de vision, l’image gagnant peu à peu sur le vide au gré des extensions de bras et des fléchissements de genoux. 
Combat chorégraphié, dans une lenteur captive, entre le contrôle de l’esprit humain et l’inconscient envahissant de sa créature machinique. No shell, just a ghost.

Dans la salle suivante, quatre projecteurs de diapositives s’affairent à dessiner sur le mur des architectures fantomatiques. Les chargeurs de diapo sont vides : les tirs à blanc génèrent un bruit célibataire, masquant à peine la vacuité de ces volumes plats aussitôt dissipés. Quand la lumière disparaît, où va le blanc ?

Un autre face à face, bucolique cette fois, reconduit la même oscillation entre collaboration et opposition, entre Être et Etant.
Dans les gorges du Lot, englouti par les forêts ébouriffées et les champs pelucheux, un lilliputien s’égosille dans son mégaphone : « Silence, ça tourne ! » L’action se poursuit, la même qui agite ici les branches et les herbes depuis des millénaires, au tempo lent des transformations saisonnières des végétaux et de celles, invisibles, des pierres. Le monde ne bouge pas sous l’impulsion de la volonté ou de la représentation, et pourtant le spectacle est là, sitôt qu’on y prête attention. Tout est phénomène, et le tournage dans lequel l’artiste s’engage assume un contrepoint, une asynchronie, dont John Smith faisait déjà usage dans The Girl Chewing Gum – à la différence près que l’autorité que Smith singeait s’appliquait au Londres populeux des années 1970, selon une logique foucaldienne, alors que Paul Destieu, enfant de son temps, s’intéresse davantage au surplomb factice de l’homme sur la nature et à la portée de la volonté de puissance à l’heure de la crise écologique.

Imposant comme un satellite suspendu qu’on pourrait approcher dans le vide intersidéral d’une dernière salle silencieuse, Météore désarticule les éléments d’une batterie, au bout de bras métalliques semblables à ceux utilisés pour supporter les projecteurs dans les salles de spectacle. Dans l’espace, personne ne vous entendra frapper sur la caisse claire. L’instrument détaché de ses fonctions musicales, dans un clin d’oeil à la batterie-fossile qui ouvre l’exposition, semble rappeler l’homo faber à son destin de dinosaure, ou l’appeler à accomplir la prophétie rapportée par Hannah Arendt : « l’humanité ne sera pas toujours rivée à la terre ».

Pour être rétrospective, l’exposition monographique de Paul Destieu n’en ouvre pas moins à des perspectives radicalement actuelles : le dépassement des cloisonnements entre art et technologie au profit de lectures et de pratiques interlangagières, aussi bien que l’abandon de la posture de supériorité de l’homme sur les objets qu’il crée et sur les choses avec lesquelles il cohabite. 

Des révolutions qu’il s’agit de mener tambour battant.

Jean-Christophe Arcos

Exposition monographique Tambour battant de Paul Destieu du 29 août au 28 septembre 2019, art-cade, Galerie des grands bains douches de la Plaine, Marseille
Exposition monographique Tambour battant de Paul Destieu
du 29 août au 28 septembre 2019
art-cade, Galerie des grands bains douches de la Plaine, Marseille
Exposition monographique Tambour battant de Paul Destieu du 29 août au 28 septembre 2019, art-cade, Galerie des grands bains douches de la Plaine, Marseille
Exposition monographique Tambour battant de Paul Destieu
du 29 août au 28 septembre 2019
art-cade, Galerie des grands bains douches de la Plaine, Marseille
Exposition monographique Tambour battant de Paul Destieu  du 29 août au 28 septembre 2019 art-cade, Galerie des grands bains douches de la Plaine, Marseille
Exposition monographique Tambour battant de Paul Destieu
du 29 août au 28 septembre 2019
art-cade, Galerie des grands bains douches de la Plaine, Marseille