Nelly Monnier, PARPAING/CHAGRIN, Galerie 22,48m2 Paris

Nelly Monnier, PARPAING/CHAGRIN, Galerie 22,48m2 Paris

Ce que Nelly Monnier propose est rare, il faut le lui dire. Elle prélève, elle peint, elle associe, autant de gestes qu’elle contextualise. Posons, wikipédions Parpaing/Chagrin. Il y est question de contreforts, de points d’ancrage en métal qui soutiennent des murs, de façades d’HLM aux couleurs acidulées lorsqu’on traverse des régions assez rieuses et prospères, mais pour trois jours seulement. Zoomer, passer, reprendre, détacher, peindre, dessiner du moins l’interrogation, car c’est du langage. La lumière a été tempérée, puis humide. Ensuite il a fait très beau.

Par analogie, Nelly Monnier peint des détails prélevés du paysage qui fabriquent des signes. Ils proviennent, la plupart, des abords décoratifs des villes moyennes françaises ou de villages. C’est un répertoire, il est tenu, il est juste. Il y a des dates, des passages, des lieux réels. Ce n’est pas un journal, mais des photos, des relevés qui deviennent. On y ressent le punctum français, lié sans doute à l’enfance, celui du toponyme, la touche, l’illusion ou le devoir. Car le présent présente. Et quelquefois, comme un charme, il échoit aux peintres d’ajuster entre eux le camaïeu du format, du sujet – fut-il atteint de scoliose – et l’idée aussi de la boue. Comme au javelot, au disque, certains n’ont qu’à le prendre en main, accélérer l’élan, courir, l’intensifier, puis le lâcher. 

Or de ce mini-univers, on l’appellera (en peinture aussi) : une fracture de fatigue. C’est une blessure sportive, une douleur incomplète qui atteint. À quoi opère-t-elle ?, car il ne s’agit pas d’une déchirure. S’il y a lésion, c’est qu’il y a eu structure, et non des moindres, telle est son ambition : l’appellation, les noms, les mots et les choses, la peinture, le paysage… et leur état afférent de très grandes langueurs factuelles, historiques. Plus mêmes mortelles comme on a pu le croire, à plaisir, mais de stress. Pareilles aux animaux en élevage, pacage et zoo : Émile Aillaud à la Grande-Borne; le fils en peinture, crocodiles et lions. 

Quelle est la fatigue, où est la fracture ? Frottement, la France – pays qui n’a d’ailleurs de pictural que le nom, mais aussi la peinture, débarrassées l’une et l’autre bien sûr de tous prolégomènes réacs, catégorisées plutôt comme une ludothèque légère, un parc à thème possible, à dimension encyclopédique (mais sans index, heureusement). On s’en doute, elle n’atteint que le sportif d’endurance qui a élu comme terrain d’entraînement une surface dure, béton ou synthétique. Le réel stressé est celui de la précision irraisonnée – qui passe par le flou du détail accumulé. Car pleuvait-il, ce jour-là ? La désunion des lieux et des temps est-elle irrésolue ? De quelle bizarrerie cet édicule dans le pré me touche-t-il ? Et par quels dallage et fontaine publique alors sans vasque (mais conçue comme telle) ? Y-a-t-il dans ce bled encore un café ? À quelle heure peut-il bien ouvrir ? (du liant, mais non du lien). N’y rendrait-on pas, d’ailleurs, maintenant de petits services de proximité comme à la Poste ? 

À moins que la fatigue ne soit que dans notre regard et nos pré-construits dès lors que se profilent ces lieux communs qui sur-signifient, et qu’elle découpe, elle, avec habileté, se déjouant du ringard éventuel, qu’elle neutralise comme une pastille. Car l’essentiel est cette articulation qui peut faillir. 

Peinture, non par primat métaphysique, mais parce qu’elle est ce babil premier en art qu’on découvre et contacte. Collecte et enquête, tours et détours, le prospect et l’aspect comme disaient les Anciens, dont l’élégance est de semi-effacer les paramétrages. 

Du paysage au passage – de la France, par métonymie –, elle pratique un pointillé général d’emblée (qui n’est pas un copier/ coller), fait d’excursus, et qui constitue comme une annotation, une irréalité de principe ici ou là, un divers et multiple point d’appui du regard. D’où son aisance à filer directement vers le langage dont elle produit là aussi des frises (car Nelly Monnier écrit). Elle accompagne quasi chacune de ses expositions (donc de ses questions) d’un livret (qui heureusement n’apporte aucune réponse, car c’est de la littérature pure). 

Cet esprit de parcours, je le rapprocherais des pérégrinations de cette autre héroïne dans la vie, Victoire dans le vieux roman, Un an, de Jean Echenoz (1997), de la région parisienne, aux Landes, jusqu’au Pays Basque, la réduisant d’ailleurs en SDF ; mais là où primait l’ironie, Nelly Monnier prolonge sur les Routes de France ce jeu de société décentré. Il lui faut pour débuter un double six. Qui lui permette de se mettre au travail. Sans même avoir besoin de tricher (photo à l’appui). S’arrêter quelque part, regarder et remarquer. Une délicate étrangeté, un éclairage artificieux. De l’art comme un rocher involontaire. Comme la fine fissure mais sue de l’os. 

Texte Jérôme Mauche © Galerie 22,48m2

 

 

Nelly Monnier, La Roche-Rigault, 2018, huile sur toile, 81 x 65 cm
Nelly Monnier, La Roche-Rigault, 2018, huile sur toile, 81 x 65 cm

 

Nelly Monnier, Saint-Hippolyte-du-Fort / Mauléon / Sainte-Croix-Volvestre, 2018, huile sur toile, 285 x 185 cm
Nelly Monnier, Saint-Hippolyte-du-Fort / Mauléon / Sainte-Croix-Volvestre, 2018, huile sur toile, 285 x 185 cm

 

 

Plus d’articles sur Nelly Monnier :

 

Visuel de présentation : Nelly Monnier, Ambiance, 2018, gouache sur papier, 53 x 41 cm.