Baozhong Cui

Baozhong Cui

ENTRETIEN / Baozhong Cui est invité par Laurent Quénéhen, fondateur et directeur artistique du salon du dessin érotique à Paris, à présenter un « Focus Chine » pour la 7e édition de SALO.

A travers les œuvres de dix artistes chinois, Yufeng Deng, He Dong, Zhangyang Li, Shifang Mei, Zhi Mo, Feihong Ou, Aijun Yu, An Yu, Chi Zhang, Mingming Zhang, le commissaire Baozhong Cui nous fait découvrir une pensée qui exprime un autre rapport au corps et à l’érotisme. Une invitation en forme de voyage dans un pays qui, pour l’Occident, condense les rapports très subtils qui peuvent se nouer dans le désir de l’autre.

La Chine est portée par une tradition érotique très ancienne. Entre tradition et modernité, qu’est ce que l’érotisme pour un chinois aujourd’hui ?

Baozhong Cui : La majorité des Chinois ne voit pas la différence entre érotisme et pornographie. Depuis deux millénaires, la morale confucéenne de pudeur s’impose sur la société chinoise malgré le changement des dynasties. Cette pudeur consiste surtout à éviter tout contact corporel entre homme et femme en dehors du mariage. Le corps fait partie de l’intimité absolue. Par exemple, le mari ne découvre le visage de la mariée que lors de la nuit de noces. Alors qu’il y a eu des périodes plus ou moins ouvertes sur la prostitution, la Nouvelle Chine l’interdit fortement.

Toutes les traditions anciennes ont encore des influences sur la société contemporaine chinoise. Les artistes qui ont étudié en France au début du 20ème siècle ont fait un grand pas avec le nu. Travailler avec des modèles nus a été un scandale et a provoqué bien des polémiques sur l’éducation moderne. Pourtant, la découverte du corps féminin à travers l’art est décisive dans la culture érotique actuelle. Dans le milieu de l’art, on distingue l’érotisme et la pornographie. Donc, pour les Chinois, l’érotisme est avant tout une pratique des artistes.

Connaissais-tu le salon du dessin érotique SALO ?

Baozhong Cui : Oui, j’ai connu SALO par des amis artistes qui ont participé pratiquement à toutes les éditions depuis sa création : Julie Navarro, Fréderic Léglise, etc. Je suis allé aux vernissages de ce salon qui m’impressionne chaque fois. C’est pourquoi j’ai proposé à Laurent de faire un SALO franco-chinois et je le remercie de m’avoir inviter à présenter quelques artistes chinois.

Y a-t-il un équivalent en Chine de SALO ?

Baozhong Cui : En Chine actuelle, les projets sur l’érotisme sont de plus en plus difficiles, j’en parlerai sur la question de la censure tout à l’heure. Il n’est pas possible d’organiser un événement officiel ouvert sur l’art érotique. Il y eu quelques expositions virtuelles d’art érotique sur internet, sur Moments de Wechat. Aujourd’hui, les logiciels de filtres informatiques en ligne traitent les dessins érotiques comme des images pornographiques et les suppriment automatiquement.

Au début du siècle dernier, dans l’imaginaire d’un écrivain français comme Octave Mirbeau, la Chine est le lieu des plaisirs et d’un certain raffinement de la cruauté. Peux-tu nous parler de la manière dont les artistes que tu invites sur le salon entretiennent ce type rapport au corps?

Baozhong Cui :Dans ce salon, il y a les artistes chinois qui vivent en France et se sont inscrits directement auprès de Laurent, et ceux de Chine que j’ai invités à proprement parler. Un mur sépare les uns des autres.

Les gravures de YU An provoquent directement le regard avec les organes génitaux. Elle montre les relations sexuelles dans un monde de consommation rapide et le corps devient un outil de plaisir sensuel. A travers une série de nus de contemporaines chinoises, LI Zhanyang rend hommage aux grands maîtres français comme Gustave Courbet ou Matisse. MO Zhi qui enseigne à l’école des Beaux-arts de Qinghua à Pékin, a réalisé trois rouleaux de dessin de corps masculins et les insère dans un tissu transparent, rendant compte d’une parfaite maîtrise de l’art traditionnel chinois. Influencé par les estampes érotiques japonaises, OU Feihong place le corps féminin dans les paysages naturels d’une peinture traditionnelle à l’encre. Les postures des femmes nous font penser au travail d’Araki Nobuyoshi. YU Aijun enseigne à l’école des Beaux-arts de Lushun à Liaoning, il supporte beaucoup de pression de la part de l’école pour sa production érotique de dessin à l’encre sur papier craft.

Les artistes chinois utilisent le corps comme un moyen d’expression de liberté. C’est donc un corps politique dans un travail artistique. La relation entre leurs travaux artistiques et leur corps personnel n’a pas forcément de lien direct.

Comment s’exerce la censure chinoise sur les productions érotiques des artistes contemporains ?

Baozhong Cui : Depuis deux ans, la censure sur les oeuvres érotiques a monté très vite et très fort. Comme j’ai souligné en haut, les logiciels de filtres ne distinguent pas les images érotiques et pornographiques, toutes sont supprimées. A part la censure sur internet, les oeuvres avec des nus sont interdits dans les expositions publiques. Il y a un contrôle spécial pour les visuels et l’obligation de voiler les parties nues. Donc, nous voyons parfois dans une salle du musée, des voiles suspendus devant certaines parties de tableaux montrant des nus.

En Chine, il y a un cas particulier. Dans le secteur des artistes de Song zhuang à Pékin, le contrôle régulier des ateliers des artistes consistent à s’assurer qu’il n’y ait pas d’oeuvres érotiques ou des images de leaders chinois, les deux éléments sont interdits. L’étau de la censure se resserre de plus en plus et les artistes supportent de plus en plus de pression. 

Oserais-tu une tentative de définition de l’érotisme chinois ?

Baozhong Cui : Non, je ne pense pas avoir suffisamment fait de recherche sur le thème. Pour moi, ce qui est plus important, c’est le dialogue entre les artistes français et chinois.

JOSEPH CUI BAOZHONG
Commissaire, critique d’art spécialisé dans les artistes chinois en France. Fondateur et président de l’association VIA Paris depuis 2013. Collaborateur de François Cheng.

Cui Baozhong est un chercheur et commissaire chinois.
Il est diplômé en philosophie de l’Ecole des Bernardins et en littérature comparée de la Sorbonne Nouvelle Paris III.
Il vit à Paris, en France depuis dix-sept ans et travaille à créer des ponts entre la France et la Chine à travers l’art grâce à son association VIA Paris. Plus personnellement, en tant que chercheur, son domaine d’étude comprend un siècle d’artistes chinois en France, du début du XXe siècle à la génération actuelle. Il essaie de comprendre et d’analyser la manière dont les artistes chinois créent dans le contexte transculturel. La plupart d’entre eux ont d’abord grandi et étudié en Chine avant de s’installer en France. Ils connaissent les deux cultures et trouvent un fil conducteur, un chemin de création.

Exhibitions curated
Poetic Inks of François Cheng, Museum of Fine Arts of Tours, France (October 5, 2018 to January 7, 2019)
From the East to Paris, Exhibition of François Cheng’s Inks, Museum of LIU Haisu, Shanghai (Sept 2017)
Troposphere, Exhibition of 100 Young Chinese Artists in France, 6B, Saint Denis, France (Jan 2017)
Turnaround and Transformation, Liusa Wang Gallery, Paris, (Feb 2016)

Publications
Désirs d’ici, Amours de Chine, Revue area, N°30, hiver/printemps 2015, initiation and publication, special edition for the presence of Chinese artists in France, interview in p.29-30
Quand les âmes se font chant, revue Etudes, 2015, p.106
From the East to Paris, catalog of the exhibition in LIU Haisu museum, 2017

Residencies
Spiritual memories, Jujia museum, Ningbo, China, 2016
Au pays de fleurs, Ouzilly, France, 2016
Prometheus, le Loft d’Anthelme, Lille, 2014

Talks
The history of Chinese artists in France, Beijing University, 2017
The relation of color and line drawing in the European art history, Tsinghua University, fine-arts department, 2017
Les encres poétiques de François Cheng, Salon d’automne, 2018

Interviews
CUI Baozhong – Curator, ACA Project, 2017
Interview VIA Paris, Horyou Foundation in Cannes Festival, 2015
L’art est toujours lié à la vie, chinatoday, 2014

Documentary film
Les Voies de l’art, documentary film on 9 young Chinese artists in France. Invited by Horyou Foundation for Cannes 

Visuel de présentation : Feihong Ou, Petit Paysage 2, 43 x 43 cm, Encre de Chine, 2014.