[ENTRETIEN] Jean-Baptiste Lenglet et Thomas Fort présentent Virtual Dream Center

[ENTRETIEN] Jean-Baptiste Lenglet et Thomas Fort présentent Virtual Dream Center

Pénétrer à l’intérieur de Virtual Dream Center, n’est pas si différent de la visite d’un Centre d’art contemporain conventionnel. On peut y voir des œuvres sculptées, des peintures, des vidéos ainsi que tout ce qui nous aide à la compréhension des œuvres: mot du curateur, communiqué de presse, cartels. Se ressent pourtant très vite un paramètre supplémentaire que ne possèdent pas les structures classiques, une symbiose nouvelle entre les oeuvres présentées et l’espace qui les accueille. Car dans Virtual Dream Center, c’est l’artiste, en dialogue avec un commissaire d’exposition, qui crée de toute pièce un espace architectural qui résonne avec les oeuvres, loin des cimaises rectilignes d’un espace physique. Plus qu’un espace en trois dimensions, c’est une réalité virtuelle que le visiteur pénètre. Il peut en effet se heurter aux objets, faire le tour des œuvres. Virtual Dream Center est un projet qui matérialise complètement la locution « entrer dans l’univers d’un artiste » et qui ouvre de nouvelles perspectives en terme d’exposition.

Comment est né le projet du centre d’art virtuel Virtual Dream Center ?

Jean-Baptiste Lenglet : L’idée de ce projet est née il y a trois ans, de la coïncidence entre la recherche que nous menions, ma compagne Jessica Boubetra et moi-même, sur la création d’un bâtiment virtuel et de la demande de la maison d’édition Récit, de curater un livre. Nous avions déjà travaillé sur l’élaboration d’architectures virtuelles et sur la conception d’expositions. J’ai eu l’idée de fusionner les deux projets et de faire en sorte que le livre devienne un musée virtuel dans lequel il serait possible de se promener.

Quel est le statut qui pourrait le mieux définir le Virtual Dream Center : un musée ? un centre d’art ? une galerie ?

J.-B. L. : Le projet ne cesse d’évoluer et sa définition s’affine avec le temps. Aujourd’hui, il est un centre d’art qui se rapproche, dans son fonctionnement et dans son économie « Do It Yourself », d’un artist-run space. La différence fondamentale avec un centre d’art classique est la notion de virtuel, qui ouvre sur des possibilités infinies.

Thomas Fort : Pour le public, qui va naviguer sur internet et visiter virtuellement ces espaces, Virtual Dream Center est en tout point un centre d’art.

Quel est votre rôle dans ce projet et quelles sont les personnes qui y collaborent ?

J.-B. L. : L’équipe a beaucoup évolué depuis le lancement du projet, il y a un an. Jessica Boubetra et moi-même somme à l’initiative du projet. Nous l’avons ensuite développé avec des artistes, comme Quentin Mornay, ou des commissaires d’exposition comme Thomas.

T. F. : Nous invitons régulièrement d’autres personnes à collaborer au projet. Tout un groupe constitué majoritairement d’artistes est en train de se mettre en place. S’il est possible que j’assure un commissariat au sein du centre, ma mission à l’heure actuelle est plus de coordonner ce projet à la manière d’un chargé de production et d’en assurer la diffusion.

J. B. L. : Il est intéressant de développer des points extrêmement précis. C’est pourquoi nous nous entourons de personnes aux compétences particulières, comme Thomas Rochon, graphiste et typographe, ou Julien Loubière, qui a réalisé le sound design du premier cycle d’expositions. Nous travaillons aussi avec deux artistes américains, Nicholas Steindorf et Antone Könst, qui gèrent le projet à New York.

Comment fonctionne l’application Virtual Dream Center ?

J. B. L. : La première étape consiste à télécharger l’application. Une fois lancée, on se retrouve dans un vaste hall dans lequel on peut se promener et accéder aux entrées des différentes expositions. Il suffit alors de basculer à l’intérieur. Le hall a été pensé sur le modèle d’une grille de manière à ce que l’on puisse par la suite ajouter d’autres espaces d’expositions. La première application accueille un ensemble de cinq expositions. Nous allons mettre en place une programmation trimestrielle et une fois par an, vers septembre, passer dans un nouveau cycle d’expositions.

T. F. : Ce qui est intéressant c’est que le Virtual Dream Center se nourrit des mêmes réflexions que les centres d’art classiques quant à la scénographie et l’accrochage…

J. B. L. : … avec cette particularité que chaque espace est conçu de manière spécifique pour l’exposition qu’il reçoit. Il peut être pensé par un commissaire ou par l’artiste lui-même, comme par exemple Anne-Charlotte Yver, qui a construit son propre espace d’exposition.

N’atteint-on pas là une forme d’absolu en terme d’exposition ?

T. F. : Le projet pose la question de l’exposition en tant que geste artistique. Dans ce centre d’art chaque artiste produit une exposition dans un geste total car tout est construit, de l’espace d’exposition aux objets qui sont à l’intérieur. Virtual Dream Center permet à l’artiste de réfléchir à la manière de faire interagir les œuvres avec le lieu et de produire ainsi une nouvelle œuvre qui est un tout : une exposition virtuelle.

J.-B. L. : Elise Vandewalle, une des prochaines artistes à exposer, est en train de préparer une maquette sur SketchUp de son exposition. Sa réflexion est déjà passée d’une exposition d’échelle muséale à une exposition d’échelle architecturale. Ses bâtiments mesurent neuf mètres de haut. Travailler dans un univers virtuel ouvre de nouvelles possibilités de travail. L’espace tout entier est à calibrer.

Le Virtual Dream Center permettrait-il de repenser les éléments constitutifs d’une exposition ?

T. F. : Nous rentrons au cœur d’un questionnement curatorial très actuel parce qu’il n’y a plus de limites. Nous essayons, nous et tous ceux qui portent des projets similaires, de réfléchir, voire de réinventer les codes de l’exposition par le fait de supprimer les contraintes matérielles.

J.-B. L. : Et vu qu’il n’y a plus de limites, la question se pose, face à cette infinité des possibles, des limites que l’on va fixer. Nous donnons aux artistes des moyens infinis et c’est à chacun de décider ce qu’il veut en faire.

Pourrait-on même a contrario arriver sur une forme d’absence d’architecture ?

J.-B. L. :Absolument. Il existe d’ailleurs des initiatives similaires à la nôtre, comme le DiModa, qui sont axées sur des formes plus fantaisistes d’espaces d’expositions, plus proche de la culture du jeu vidéo.

T. F. : Notre projet se distingue des autres initiatives parce que si il y a une esthétique générale bien définie, à l’intérieur des espaces d’exposition les propositions sont très différentes. Certaines, comme dans les centres d’art conventionnels, donnent des repères aux visiteurs, tandis que d’autres pas du tout.

J. B. L. : Nous donnons aux artistes, aux musiciens, aux commissaires d’exposition, un outil extrêmement puissant qui a un langage spécifique, celui des jeux vidéo immersifs. Ce qui est intéressant c’est de voir comment ils s’en saisissent.

T. F. : Tout comme dans une Fondation comme Louis Vuitton, une institution comme le Centre Pompidou, l’architecture est au service de la présentation des œuvres. Sauf qu’ici elle est conçue directement par les artistes, en dialogue avec des architectes ou des commissaires.

Qu’elles seront les œuvres exposées dans le Virtual Dream Center : des œuvres existantes ? des œuvres à produire ? des œuvres virtuelles ?

J.-B. L. : Une première possibilité est de modéliser des œuvres réelles. Nous avons, par exemple, scanné deux cents peintures de Jonathan Meese, avec l’intention de composer un catalogue raisonné. Mais il est aussi tout à fait possible de présenter un corpus d’œuvres créés spécifiquement pour ce médium virtuel et même de considérer le jeu vidéo comme une pièce artistique en elle-même. Nous nous inscrivons dans la lignée d’un artiste conceptuel comme Laurence Weiner, qui disait qu’il n’est pas forcément nécessaire de réaliser les œuvres, le plus important est de les penser.

T. F. : Et même si elles peuvent avoir uniquement une réalité en tant qu’objet virtuel, elles peuvent aussi être par la suite construites. Virtual Dream Center accueille des œuvres au même titre que n’importe quel centre d’art.

J.-B. : Par le fait que l’artiste crée l’exposition dans son ensemble, elle devient également une œuvre en soi. Nous avons là un nouveau type d’ œuvre qui n’est ni une peinture ni une sculpture mais une exposition virtuelle. On est plus proche de l’installation, d’un tout multimédia et immersif, tenant de la sculpture, de la musique, de l’architecture, du cinéma…

T. F. : On est là dans un geste d’exposition poussé à son paroxysme qui, existant virtuellement, n’a plus besoin d’être réalisé dans un espace concret.

Comment une artiste comme Anne-Charlotte Yver s’est-elle questionnée pour la présentation de ses œuvres ?

J.-B. L. : Elle a abordé la question du virtuel comme une vraie problématique. Elle s’est vraiment plongée dedans en pensant tout son environnement dans SketchUp. Elle a modélisé à la fois ses sculptures et l’architecture de l’espace. Ensemble nous avons ensuite finalisé le tout, en rajoutant notamment des textures animées. Elle est d’ailleurs est train de continuer ce travail là dans ses nouvelles sculptures.

T. F. : Même si tous les artistes invités ne sont pas habitués à travailler avec le médium multimédia, ils s’y sont impliqués et font des propositions très singulières. Cette expérience les nourrit et est catalyseur de nouvelles pratiques.

Quelles sont les expositions visibles au Virtual Dream Center ?

J.-B. L. : Cinq expositions sont visibles dans la première application. Nous présentons deux solos shows : « Extension of the Dictatorship » de Jonathan Meese et  « Zach_Version. 1.0 » de Nicholas Steindorf. « Storage Facility » est un duo show de Benoit Aubard et d’Anne-Charlotte Yver. Il y a aussi une exposition collective curatée par Antone Könst, « Antone’s Sculpture Garden », et « Le Hall des sculpteurs »,  une pièce multimédia, une sculpture virtuelle que j’ai réalisée avec Jessica Boubetra et François Bianco.

Comment se déroule une visite du Virtual Dream Center ?

T. F. : Ce qui peut paraître étonnant c’est que le temps de visite est très comparable à celui d’un centre d’art classique. Comme dans la réalité, nous marchons et évoluons dans le centre, accompagné par différentes ambiances sonores.

J.-B. L. : À cela s’ajoute des surprises, des éléments cachés comme il en existe dans les jeux vidéos. Il faut trouver les portes, l’architecture n’est pas simple.

Cet aspect ludique qui appartient au jeu vidéo ne met-il pas en danger le fait que l’on visite un centre d’art ?

J.-B. L. : C’est pour cela que nous avons enlevé au maximum l’interactivité. Nous avons gardé uniquement les actions les plus importantes. De même la vitesse de déplacement est limitée pour conserver un certain réalisme.

T. F. : Il n’est pas non plus possible de « zapper » les œuvres. Moi qui ne suis pas initié à l’utilisation des jeux vidéo, je trouve cette vitesse de déplacement rassurante. Le tout est ergonomique et les déplacements sont très fluides. Même un novice peut y trouver son compte et plus on se balade plus on comprend le fonctionnement.

Tous les dispositifs des centres d’art sont présents ?

J. B. L. : Les codes de l’exposition sont présents : le communiqué de presse, qui est réalisé par un commissaire ou par un critique, les cartels, que l’on peut activer ou non, et une possibilité de s’approcher au plus près de l’œuvre avec un mode zoom.

A-t-on la possibilité d’acheter une œuvre au Virtual Dream Center ?

J.-B. L. : Nous présentons dans la partie librairie du site web une sélection de pièces, d’artistes participant au projet. Cela va de pièces uniques, comme des peintures, à des multiples.

Accéder au Virtual Dream Center est-il gratuit ?

J.-B. L. : Nous avons fait le choix de la gratuité de la visite…

T. F. : …avec la volonté que le projet soit accessible au plus grand nombre. Nous sommes en train de travailler sur la question du financement et par la même, de l’avenir du projet. Nous souhaitons rester le plus autonome possible mais nous devons, en raison de l’énorme travail que demande le développement du centre, trouver des solutions. La version 1.0 a été soutenue par une campagne Kickstarter, et pour remercier les donateurs nous avons créé dans le centre un espace qui leur est dédié.

L’acte de téléchargement de l’exposition donne t-il la possibilité de la conserver ?

J.-B. L. : C’est plutôt l’idée d’un livre que l’on peut avoir chez soi, dans la bibliothèque de son disque dur, et que l’on peut parcourir quand bon nous semble. Petit à petit, la collection grandira. Nous allons laisser les expositions gratuites et accessibles en ligne le plus longtemps possible afin que les gens puissent les découvrir.

T. F. : Nous espérons à terme créer une archive d’expositions à la manière de la Fondation Luma à Arles. Certains commissaires d’exposition sont très intéressés par la question de la conservation notamment lié au médium exposition, que ces dernières soient virtuelles ou réelles.

Sera-t-il possible aussi pour une galerie, un centre d’art ou même un musée de sauvegarder ses expositions dans votre centre d’art ?

J.-B. L. : C’est tout à fait possible. Ce serait aussi une façon de financer le projet. Nous sommes prêts à travailler avec des responsables de musée, fondations et directeurs de galerie.

T. F. : Mais Virtual Dream Center reste en premier lieu un espace d’expérimentation avec une ligne curatoriale qui se doit d’être cohérente. L’idéal serait de se rapprocher de la structure d’un laboratoire de recherche.

 

POUR EN SAVOIR PLUS

 
Jessica Boubetra, Jean-Baptiste Lenglet - Le Hall des sculpteurs
Jessica Boubetra, Jean-Baptiste Lenglet – Le Hall des sculpteurs

 

Nicholas Steindorf - Zach_Version_1.0 _2
Nicholas Steindorf – Zach_Version_1.0 _2

 

Jonathan Meese - Extension of the Dictatorship_2
Jonathan Meese – Extension of the Dictatorship_2

 

 

Benoit Le Phat Tan - Don't Look Down
Benoit Le Phat Tan – Don’t Look Down

 

Benoit Aubard - Storage Facility
Benoit Aubard – Storage Facility

 

Anne-Charlotte Yver - Storage Facility_2
Anne-Charlotte Yver – Storage Facility_2

 

 

Antone Könst - Antone's Sculpture Garden
Antone Könst – Antone’s Sculpture Garden

 

 

 

Jonathan Meese - Extension of the Dictatorship_1
Jonathan Meese – Extension of the Dictatorship_1

 

Virtual Dream Center 1.0
Virtual Dream Center 1.0