[ENTRETIEN] Laurent Quénéhen, directeur des Salaisons

[ENTRETIEN] Laurent Quénéhen, directeur des Salaisons

Depuis leur création en 2007 à Romainville, les Salaisons ont accueilli dans leur programmation de nombreux artistes talentueux et ont montré qu’il était possible de créer un espace d’art indépendant, qualitatif et ouvert sur la création contemporaine. Initiée par trois photographes, Adel Tincelin, Aurélie Veyron et Laurent Quénéhen, c’est ce dernier qui poursuivra l’aventure de ce lieu atypique, loin de la standardisation des espaces d’art, donnant la possibilité aux artistes, par un système de cartes blanches, à montrer toutes les formes d’expérimentation. Une liberté que viendra confirmer en 2013 la création de Salo, un Salon du dessin érotique dont l’édition 2017 accueillera cette année près de 100 artistes.

Quand as-tu commencé à assurer l’organisation d’expositions ?

J’ai commencé à organiser des expositions en 1996. J’ai suivi une formation de conception et de mise en œuvre des projets culturels à Paris III. J’ai profité le temps d’un week-end de l’espace de l’usine de charcuterie encore en activité de mon grand-père pour y présenter un premier événement artistique. Le nom des Salaisons est issu du lieu même. L’usine de mon grand-père a été un véritable lieu d’expérimentation. J’ai continué ensuite à assurer des commissariats sur le site même de l’usine à Romainville mais aussi un peu partout. J’ai organisé des expositions dans des cafés, des restaurants, des hôtels et même des salons de coiffure en profitant de toutes les opportunités qui se présentaient à moi.

N’y-a-t-il pas de ta part une forme de revendication dans cette manière décomplexée de montrer des oeuvres d’art ?

Ma seule ambition est de rendre l’art visible et accessible à tout le monde. De tels lieux permettent un contact direct avec le public. L’avantage aux Salaisons est qu’il n’y avait pas de porte, juste un rideau de fer qui était ouvert ou fermé. Même s’il y faisait parfois peu froid, l’avantage était qu’il n’y avait pas de porte à pousser et que les gens entraient pour voir les expositions. Après la fermeture de l’usine, quand mon grand-père est décédé, les gens continuaient à venir. J’ai alors transformé le lieu en espace d’exposition.

Cela n’a-t-il pas été difficile dans cet environnement peu favorable à la création artistique ?

Étant de Romainville, y ayant toujours vécu, et sachant qu’il n’y avait pas grand-chose, sinon rien, en matière d’art, je trouvais pertinent de mettre en place une structure pouvant accueillir des artistes en résidence et des expositions. Moi-même, dans cet environnement assez pauvre culturellement, je n’ai découvert le monde de l’art que très tard et n’ai visité ma première exposition qu’à 25 ans. J’ai vu dans cette usine la possibilité de créer un lieu d’art pérenne.

Quelle connaissance avais-tu à ce moment-là du monde de l’art pour te lancer dans ce projet ?

Je connaissais beaucoup d’artistes par l’association Jeune Création pour laquelle j’ai travaillé pendant cinq ans. J’ai aussi travaillé au Crédac À Ivry et j’ai été l’assistant du commissaire de l’événement Austerlitz autrement, qui s’est tenu pendant deux ans sous la grande verrière de la gare du même nom et qui était le OFF de la Fiac et qui rassemblait des galeries telles que Perrotin, Praz – Delavallade, Valentin, Dupont… J’avais déjà une bonne expérience du milieu.

Est-ce un projet que tu as mené seul ?

Nous étions trois photographes, Adel Tincelin, Aurélie Veyron et moi-même à l’origine du projet. Pendant trois ans nous avons assuré la programmation sur un principe de cartes blanches. À tour de rôle, chacun investissait le lieu en toute liberté. Cela permettait aux deux autres de découvrir de nouveaux artistes. Quand elles n’ont plus pu poursuivre l’aventure par manque de temps, j’ai continué seul à animer le lieu.

As-tu des aides, des subventions de la part de la mairie, des collectivités ou du ministère ?

Pendant deux ans j’ai eu 500€ sur l’année soit 40€ par mois. Le lieu a failli fermer par manque de moyens car je n’ai jamais été vraiment soutenu alors que Les Salaisons était le seul lieu d’art sur le territoire de Romainville. Cela a été plutôt difficile car il n’était pas question que les artistes paient quoi que ce soit. Primait l’idée de soutenir la création et que les artistes puissent profiter du lieu qui leur servait de résidence. Ils pouvaient y penser une exposition, évaluer comment leurs oeuvres occupaient un espace.

La programmation était très ouverte sur les pratiques…

Je fais en sorte de mélanger des pratiques qui ne sont pas forcément destinées à se rencontrer : art conceptuel, peinture, art vidéo, art brut. J’ai toujours beaucoup apprécié les propositions curatoriales d’Harald Seezmann et de Jean-Hubert Martin comme Les Magiciens de la terre. Désormais, tout est sectorisé et le milieu des peintres ne connaît pas du tout celui de l’art conceptuel. Nous essayions avec nos expositions de susciter une curiosité afin que s’éveillent des intérêts pour d’autres pratiques, pour éviter les cloisonnements qui comme les appellations sont réducteurs.

Continues-tu à suivre le parcours des artistes que tu as exposés ?

J’aime suivre l’évolution du travail d’un artiste. Je présente entre autres, des artistes qui ont exposé aux Salaisons tels queJulie Dalmon, Pierre Weiss, Hidéo Morié…, sous des commissariats d’exposition dans des lieux comme Aponia, un centre d’art à Villiers-sur-Marne, mais aussi à la galerie de la Voûte à Paris.

Comment est né le Salon du dessin érotique Salo ?

Deux événements ont concouru à sa création en 2013. Le premier est l’exposition des illustrations de Vincent Corpet sur Les 120 Journées de Sodome et le deuxième est calendaire avec la saison du dessin et les salons Drawing Now et DDessins. La création de ce Salon du dessin érotique est venu en forme de plaisanterie ou de contrepied des salons officiels surmédiatisés avec cette référence aux Salaisons avec le motif du cochon. Il y aussi de ma part une volonté, dans ce temps de crispation de retour au puritanisme qui s’impose de plus en plus, de montrer les choses. Ne bénéficiant d’aucune aide extérieure ni d’aucune subvention, je suis libre de faire ce que je veux.

As-tu trouvé facilement des artistes qui versaient dans l’érotique ?

Pour la première édition, les réponses ont été nombreuses. J’ai été surpris d’apprendre qu’autant d’artistes faisaient des dessins érotiques. En fait la plupart s’y adonnent mais ne les montrent pas. Le Salon a bien marché et je me suis aperçu que beaucoup de gens collectionnaient de l’art érotique. Le public a répondu présent bien que le lieu soit situé en dehors de Paris.

Comment a évolué le Salon au fil des années ?

Artistes et public ont toujours répondu présents sur les trois premières éditions. À cette époque, je faisais des appels à candidatures et je sélectionnais 35 artistes. Lorsque le site de Romainville à définitivement fermé, j’ai choisi pour l’édition 2016 d’exposer au 24Beaubourg, qui bénéficie d’une belle surface et m’a permis d’inviter, là aussi après un appel à candidature, 70 artistes. Le succès de cette édition parisienne, je l’avoue m’a un peu dépassé car très exactement 4002 personnes sont venues voir l’exposition avec une longue file d’attente sur le trottoir le soir du vernissage tant il y avait du monde.

Peux-tu nous parler de cette édition 2017 ?

Les réponses à l’appel à candidature sont toujours plus nombreuses d’autant plus que la majorité des artistes présents l’année passée candidatent à nouveau ! L’exposition se déroulera à la galerie épisodique dans le 11e arrondissement et accueillera plus de 90 artistes. L’espace d’exposition, une ancienne usine de livraison de pianos, renoue par son aspect plus brut à l’esprit qui animait les salaisons. Concernant les médiums, je reste sur la base d’un salon du dessin érotique en ouvrant toutefois sur un peu de sculpture, de la photographie et aussi des installations.

Propos de Laurent Quénéhen recueillis par Point contemporain © 2017

Vue d'exposition Pierre Weiss, Aponia.
Vue d’exposition Pierre Weiss, Aponia.

 

Vue d'exposition "Errance" avec Nicolas Delprat "zone 7" acrylique sur toile 180 x 300 cm, 2011 et Rachel Labastie, Serie Dents grès et email, 2011 - Espace d'art Les Salaisons
Vue d’exposition « Errance »
avec Nicolas Delprat
« zone 7 » acrylique sur toile 180 x 300 cm, 2011 et
Rachel Labastie, Serie Dents grès et email, 2011 – Espace d’art Les Salaisons

 

Vue de Salo, 2013. Avec Frédéric Léglise, Alice Sfintesco et Michel Castaignet - Les Salaisons Romainville
Vue de Salo, 2013. Avec Frédéric Léglise, Alice Sfintesco et Michel Castaignet – Les Salaisons Romainville

 

 

Infos pratiques
Salo V Salon du dessin érotique 2017
Salon du 2 au 5 Juin 2017
Commissariat Laurent Quénéhen

Vernissage Jeudi 1er Juin sur invitation

Horaires du vendredi au dimanche 11h-21h – Lundi 11h – 18h

Entrée payante à prix libre – Interdit aux moins de 16 ans

Galerie Episodique
1, rue des Nanettes  75011 Paris – Métro : Rue Saint-Maur

Contact : lessalaisons@gmail.com – 06 65 06 88 87