NOVACÈNE, UNE EXPOSITION POUR INTERROGER LE FUTUR DE NOTRE PLANÈTE

NOVACÈNE, UNE EXPOSITION POUR INTERROGER LE FUTUR DE NOTRE PLANÈTE

Vue de l’exposition Novacène © maxime dufour photographies

EN DIRECT / Exposition Novacène – Lille3000 Utopia, jusqu’au 2 octobre 2022, Gare Saint-Sauveur, Lille

Avec Allora&Calzadilla, Art Orienté Objet, Guillaume Aubry, Bigert & Bergstörm, Zheng Bo, Bianca Bondi, Julian Charrière, Omar Victor Diop, John Gerrard, Anna Komarova, Taisia Korotkova, Fabien Léaustic, JeeYoung Lee, JP Mika, Haroon Mirza, Marie-Luce Nadal, Otobong Nkanga, Lucy+Jorge Orta, Damon Sfetsios, Maarten Vanden Eynde

Novacène, une exposition pour interroger le futur de notre planète
par Pauline Lisowski

Dans le cadre d’Utopia, 6e édition thématique de lille3000, l’ancienne gare Saint-Sauveur devient le lieu d’une nouvelle ère, celle d’un monde où une cohabitation plus juste entre les vivants serait possible. Le livre Novacène1 de James Lovelock, célèbre scientifique et environnementaliste anglais a permis à Alice Audouin, pionnière, spécialiste du lien entre l’art contemporain et l’environnement et à Jean-Max Colard, responsable du service de la parole au Centre Pompidou, de se projeter dans une nouvelle ère imminente, qui suivrait l’anthropocène. Dans celle-ci, une relation positive entre l’homme et la nature serait possible grâce à la technologie. S’ils s’appuient sur cet ouvrage, les curateurs abordent ici l’énergie solaire d’où apparaîtrait une nouvelle civilisation fondée elle-même sur la force du soleil. Songeons à l’épuisement de nos ressources et à l’emprise des énergies fossiles. Quel est le devenir de notre planète au moment où le changement climatique modifie nos modes de vie ? De nouvelles formes de relation avec les vivants, humains et non-humains sont en germe. Les artistes internationaux de différentes générations, expérimentent et créent des projets qui donnent à penser ce monde post-anthropocène. Attentifs au bouleversement de la planète, ils imaginent des solutions pour vivre dans un respect de la biodiversité et en phase avec les transformations des environnements. Dans l’ancienne halle ferroviaire, nous devenons explorateurs d’un monde entre un passé lointain et un futur où rechercher l’espoir.

Telle une introduction à cette nouvelle ère, l’installation de troncs suspendus, intitulée Post d’Anna Komarova invite à entrer en relation avec l’arbre, à ressentir sa respiration, ses pulsations, pour ensuite interagir pleinement avec cet être animé par la technologie. « Il s’agit d’une forêt morte et en même temps vivante, une post-forêt. » explique l’artiste. Cette prise de contact pourrait nous inviter à approfondir nos connaissances des arbres ainsi qu’à les préserver. À proximité, les œuvres de Guillaume Aubry s’articulent autour du coucher de soleil, cet astre qui diffuse une énergie et nous fascine par la diversité des couleurs jaune orangé. Celles-ci annoncent l’énergie que les commissaires imaginent comme centrale à l’ère du Novacène. 

Otobong Nkanga, Unearthed - Twilight, 2021 © maxime dufour photographies
Otobong Nkanga, Unearthed – Twilight, 2021 © maxime dufour photographies
Taisia Korotkova, série Dark Forest, 2019 © maxime dufour photographies
Taisia Korotkova, série Dark Forest, 2019 © maxime dufour photographies

Les œuvres attirent notre attention sur les impacts de l’homme sur la planète. Nous entrons progressivement dans le chapitre « Traces d’un monde fossile ». La tapisserie d’Otobong Nkanga montre un état de l’océan, pillé de ses espèces et de ses minerais. Par ce travail entre art et artisanat, l’artiste cherche à restaurer de nouveaux liens avec ces paysages bouleversés. D’un format monumental, les dessins de la série Dark Forest de Taisia Korotkova donnent à voir une cité où la nature reprendrait ses droits, un paysage, une vie nouvelle prendrait la place des architectures militaires abandonnées. Dans ce monde post-carbone, le drapeau Western Flag de John Gerrard, œuvre désormais connue comme témoin du bouleversement climatique, constitue un présage de sombres nouvelles. 

Dans les sous-sols ensablés de cette gare de transport de marchandises qui a perdu de son usage premier, les œuvres de Marteen Vanden Eynde sont semblables à des vestiges d’une époque lointaine. Les déchets produits par les humains ne sont-ils pas les fossiles de demain, témoins de nos activités industrielles ? Petrified Petrop Pomp, sculptures de calcaire du duo Allora & Calzadilla annoncent également la fin d’un « monde hypercarboné ». Plus loin, les sculptures créées à partir de composants technologiques de Julian Charrière rappellent combien ces éléments impactent fortement notre environnement. Sa vidéo Beneath It All Flows Liquid Fire, où le feu et l’eau sont unis nous captive autant qu’elle renvoie une situation angoissante, à l’heure où la planète brûle sous la canicule en cet été 2022. 

Fabien Léaustic, La Terre est-elle ronde, 2019 © Aurélien Mélan
Fabien Léaustic, La Terre est-elle ronde, 2019 © Aurélien Mélan

Ici, les œuvres sont d’une grande force visuelle tant elles convoquent les dérèglements que subit notre planète. L’installation La terre est-elle ronde ? de Fabien Léaustic est à la fois fascinante et quelque peu menaçante. Une coulée d’argile, encadrée dans une paroi, annonce des mouvements de terrain, des chamboulements. Entre expérience de l’ordre du sublime et celle d’être submergé, cette œuvre manifeste avec puissance les mouvements de la terre. Nous sommes alors confrontés à des phénomènes spectaculaires bien que possiblement dévastateurs et qui nous dépassent.

Des artistes s’interrogent et explorent de nouvelles solutions pour lutter contre le bouleversement climatique. Avec sa Dyson Sphere, Haroon Mirza nous incite à être conscient du rôle du soleil à l’avenir. Scenario / Scenary du duo suédois Bigert & Bergström s’enclenche telle une scène de théâtre, une machine météorologique, qui suscite notre imaginaire. Notons également la présence de l’installation Zille Boat de Lucy et Jorge Orta, artistes pionniers d’un art engagé envers les bouleversements climatiques. Leur bateau propose des solutions concrètes pour lutter contre les pénuries d’eau.

Lucy+Jorge Orta, Zille Boat, 2020 © maxime dufour photographies
Lucy+Jorge Orta, Zille Boat, 2020 © maxime dufour photographies

Plus loin, les peintures de Damon Sfetsios dévoilent un « retour à la terre », des activités qui permettent de faire barrière à l’éco-anxiété. À quelques pas, La joie communicative, toile aux couleurs vibrantes et à la biodiversité dès plus foisonnantes de JP Mika renvoie à une connexion et à une bienveillance entre l’homme et les vivants. Cet amour de la nature se retrouve dans les deux photographies issues de sa série Allegoria d’Omar Victor Diop, telle une « fable du futur » (expression de l’artiste).

Dans l’« Hôtel Utopia », chaque artiste présente une installation, transforme un espace pour nous emmener ailleurs. Les espaces ainsi dédiés permettent d’appréhender des mondes, les intérêts, et recherches qu’élaborent les artistes, pour certains chercheurs. Une des premières installations qui peut susciter notre attention, notre imaginaire est celle de Marie-Luce Nadal. Nous pouvons prendre le temps d’observer dans des cloches fermées, des duos composés de pierres d’amiante et de nuages prélevés dans les Alpes. L’artiste inverse le cours habituel du temps. Slow Dance de JeeYoung Lee invite à l’émerveillement : un ballet de méduses roses inspire à une certaine rêverie. Zheng Bo, au travers de sa vidéo, nous convie à contempler des plantes et à passer littéralement « faire l’amour » avec. Le duo bien connu Art Orienté Objet imagine un chien du futur, se tenant debout, ayant évolué à hauteur de l’être humain. D’un espace à un autre, nos sens sont en éveil et de nombreuses questions surgissent en nous.

La jeune artiste Bianca Bondi a investi la Maison Biquini. Les mobiliers couverts de sel témoignent d’un ancien cabaret, dans un état entre deux, une ambiance autant magique qu’intrigante par la vie qui parait avoir repris le dessus dans ce lieu. Des présences semblent être encore là et nous sommes attirés par l’extraordinaire diversité de matières qui transforment l’architecture.

JeeYoung Lee, Slow Dance, 2022 © maxime dufour photographies
JeeYoung Lee, Slow Dance, 2022 © maxime dufour photographies
Bianca Bondi, Not place but a feeling, 2022 © maxime dufour photographies
Bianca Bondi, Not place but a feeling, 2022 © maxime dufour photographies

Les artistes, chercheurs, soucieux des changements qui se produisent sur notre planète, nous ouvrent la voie vers un temps où l’anthropocène écocide aurait cédé la place à un nouveau rapport à la Terre. Chaque monde qu’ils déploient incite à la fois à prêter attention à ce qui adviendrait et à s’interroger sur les nouvelles espèces qui pourraient naître au fur et à mesure des relations que nous entretenons avec les vivants. Un basculement dans le temps, celui d’un « monde fossile », d’une civilisation révolue, vers une époque lointaine, un espoir à venir, se dessine alors. D’une ère marquée par la présence et les impacts des énergies fossiles, une autre où les interactions entre l’homme et son environnement seraient respectueuses, semble être possible.

Ainsi, en nous faisant vivre des expériences entre l’émerveillement et la sensation d’un certain trouble, les artistes de Novacène nous conduisent à aborder les changements climatiques. Ils utilisent les nouvelles technologies pour envisager d’autres relations avec les éléments naturels. Ils nous alertent, envisagent un avenir dès plus respectueux de notre terre. Un besoin de magie, de rêve pour retrouver d’autres relations avec les vivants se révèle en parcourant cette exposition. Nous prenons part à la découverte de nouvelles espèces, qui pourraient émerger de ce monde que nous cesserons de dominer. 

1 – LOVELOCK James, The Coming Age of Hyperintelligence, Penguin5 Books UK, 2019

Pauline Lisowski

Vue de l'exposition Novacène © maxime dufour photographies
Vue de l’exposition Novacène © maxime dufour photographies