MAGDA LAMPROPOULOU 

MAGDA LAMPROPOULOU 

Magda Lampropoulou pendant la performance Phonological Awareness (Festival Action Field Kodra, 2015). Sound installation – performance, variable dimensions, a special construction of galvanized aluminum, spring, elastic rope, metal screws with loop.

ENTRETIEN / MAGDA LAMPROPOULOU

DANS LE CADRE DE « PERSPECTIVES SUR L’ART CONTEMPORAIN GREC »
PAR MARIA XYPOLOPOULOU

« Au-delà des expériences que j’ai vécues, j’ai choisi d’utiliser l’art comme une arme pour lever le voile sur un sujet que l’on n’aborde trop peu et qui préoccupe pourtant un ensemble social important ». Magda Lampropoulou

Née en 1977 à Athènes, Magda Lampropoulou est une sculptrice et performeuse grecque, diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts d’Athènes. Son travail se caractérise surtout par la mise en question et la critique des tabous sociaux. Durant les deux dernières années, Magda Lampropoulou se focalise sur la présentation des difficultés du quotidien des individus avec des problèmes d’audition et elle essaye de mettre en lumière les sentiments de ces gens qui se trouvent parfois en marge des pratiques culturelles et sociales à cause de leur difficulté à percevoir les sons. À la suite d’un malentendu durant une conversation avec le commissaire de l’exposition d’un festival où Magda présentait son travail, l’artiste a décidé d’orienter son œuvre vers cette thématique. En plus, l’artiste nous présente à l’occasion de cet entretien son ancien projet intitulé The Nest, une référence aux stéréotypes sociaux concernant la question des femmes et de la maternité.

Le son se trouve de plus en plus au centre de vos derniers projets. C’est le cas de la série des œuvres Phonological Awareness (installation et performance sonore), Change of frequences at 10 decibel (installation vidéo), 01db10 (installation interactive) présentés en 2015 au festival Action Field Kodra mais aussi celui de la performance sonore Between présentée l’année dernière à Twixtlab.   

La recherche sur le son et son intégration dans mes projets d’art a commencé en 2015, un an après la prise d’une décision importante : l’utilisation d’un appareillage auditif suite à une perte auditive moyenne que j’avais depuis mon enfance. Au début, j’étais très réticente à l’idée d’utiliser un appareil auditif malgré le fait que je rencontrais souvent des difficultés dans la communication avec les autres personnes et surtout avec la reconnaissance des différents sons.

 

Between 2, Sound performance, variable dimensions, microphone, amplifier, laptop, speakers, hearing aids, 2016
Between 2, Sound performance, variable dimensions, microphone, amplifier, laptop, speakers, hearing aids, 2016

 

Le problème de la perte auditive moyenne se présente surtout par la difficulté d’apprécier les fréquences sonores élevées et la conversation d’une sonorité d’un niveau moyen. Même si selon les résultats de l’audiomètre, je me trouve plus vers le côté des personnes entendantes, je me sentais souvent différente d’elles. La distance de la source d’un son, la qualité de la sonorité d’un espace ou le niveau sonore de la voix des autres individus constituaient des paramètres qui m’ont conduit à m’interroger sur mes capacités d’entendre comme les autres entendants. Cela fait juste 2 ans que j’ai pris la décision d’utiliser un appareillage auditif.  C’était surtout dû au fait de mon ignorance de la vraie dimension de mes troubles auditifs. Ces idées se trouvent au centre de la performance Between. Les difficultés de communication créent souvent des malentendus. C’est ainsi qu’est née l’idée de la série des œuvres Phonological Awareness, Change of frequences at 10 decibel  et 01db10 présentées au festival Action Field Kodra qui avait comme sujet l’erreur. C’était une bonne occasion de parler de troubles auditifs et de mettre en lumière à travers mon propre expérience les problèmes quotidiens d’une minorité sociale constituée par ces personnes. Les problèmes d’auditions sont variés et affectent la qualité de la vie, la perception mais aussi l’apprentissage.

 

Phonological Awareness, Sound installation - performance, variable dimensions, a special construction of galvanized aluminum, spring, elastic rope, metal screws with loop, 2015
Phonological Awareness, Sound installation – performance, variable dimensions, a special construction of galvanized aluminum, spring, elastic rope, metal screws with loop, 2015

 

L’œuvre Phonological Awareness met l’accent sur les difficultés quotidiennes dans la communication à cause de l’incompréhension des mots, une situation qui provoque des sentiments négatifs comme l’insécurité et le désespoir. Les deux autres œuvres de la série, Change of frequences at 10 decidel et 01db10 se réfèrent à la lecture labiale, une méthode de communication  utilisée par les sourds et les malentendants et apprise inconsciemment. Il s’agit de la seule voie communicative pour les sourds et les malentendants qui ne recourent pas à l’apprentissage de la langue des signes mais aussi pour les personnes qui perdent leur ouïe après l’âge de 4 ans. Il est important préciser que celles-ci sont capables de développer une communication en utilisant leur voix avec les entendants qui n’est pas toujours bien claire et à cause du stéréotype que les personnes sourdes sont des personnes incapables de parler sans recourir à la langue des signes.

Les œuvres de la série invitent les visiteurs à participer à deux jeux qui leur permettent alors la découverte de la lecture labiale. La lecture labiale, bien répandue entre les personnes malentendantes, reste pourtant jusqu’à aujourd’hui  à la marge des pratiques sociales, éducatives et culturelles en Grèce. La discrimination porte atteinte à l’égalité des chances mais aussi à l’égalité des droits. Le manque d’un plan social destiné à répondre aux besoins spéciaux des personnes malentendantes ou devenues sourdes s’exprime par les non moins importants obstacles qu’ils rencontrent dans le quotidien : les sous-titrages des diffusions télévisées, des vidéos et des extraits audio (films grecs, séries et journaux télévisés etc.). Il semble parfois que l’Etat ne tienne pas en compte du pourcentage des personnes avec des troubles auditifs qui utilisent le langage labial comme principal moyen de communication.

 

01db10, Interactive installation, variable dimensions, wood, chalk, acrylic colours, elastic rope, sponge, 2015
01db10, Interactive installation, variable dimensions, wood, chalk, acrylic colours, elastic rope, sponge, 2015

 

J’ai voulu briser les tabous et exposer aux visiteurs les doutes, les peurs et les angoisses alimentés par mes propres expériences, mon humeur et mes remises en question au quotidien.

Au-delà des expériences que j’ai vécues, j’ai choisi d’utiliser l’art comme une arme pour lever le voile sur un sujet que l’on n’aborde trop peu et qui préoccupe pourtant un ensemble social important. J’ai voulu parler de ces barrières entre le monde des personnes ayant des problèmes de surdité légère et le monde de celles qui entendent de manière claire, celui des entendants, dans le but de dépasser les tabous liés aux problèmes auditifs. La situation s’est améliorée dès que j’ai osé porter des appareils auditifs, que longtemps j’avais refusés de peur de me retrouver marginalisée. L’appareillage auditif est toujours un tabou dans le monde. Dans la série Between, j’essaie de représenter par une performance – en étant dans une autre chambre que la source des sons produits –  le son et le silence – en laissant au sol les traces de ma perception sonore sans l’aide de mon appareillage auditif. Il faut souligner que les tabous affectent ainsi l’identité sociale, l’identité personnelle et le regard que l’individu porte sur lui-même ce qui développe le sentiment de ne pouvoir jouer le même rôle social que les autres du fait de son stigmate. Assises sur les représentations sociales, ces stigmatisations font souvent écho aux valeurs et aux normes de la société se référant au mythe du corps parfait.

 

Between 1, Sound performance, variable dimensions, wooden pedestal, table lamp, hearing aids, paper tape, 2016
Between 1, Sound performance, variable dimensions, wooden pedestal, table lamp, hearing aids, paper tape, 2016

 

La dimension interactive de vos projets invite le visiteur à s’impliquer dans les œuvres à travers la pratique de différents jeux que vous mettez en place. Quelle est l’importance de cette approche ? 

Le premier but de l’implication du visiteur dans les œuvres c’est de réussir à le mettre à la place d’un individu en situation de surdité légère, afin qu’il puisse avoir l’expérience des ses difficultés quotidiennes et des ses sentiments de déception. Pourtant, il faut souligner que le public ne participe pas toujours même si la nature de ses œuvres est interactive. Parfois, ils sont hésitants à cause de la peur de faire une erreur et comment cette erreur va être perçue par les autres visiteurs de la salle. C’est exactement ce sentiment d’insécurité qui caractérise la vie d’un individu souffrant de problèmes d’audition. J’ai choisi de ne faire aucune référence à la surdité et aux troubles d’audition légers dans le texte de mon projet afin de laisser le visiteur vivre cette expérience à travers les œuvres. Je pense que c’est plus facile à travers le jeu et l’humour de rendre familier un sujet et briser les tabous.

 

01db10, Interactive installation, variable dimensions, wood, chalk, acrylic colours, elastic rope, sponge, 2015
01db10, Interactive installation, variable dimensions, wood, chalk, acrylic colours, elastic rope, sponge, 2015

 

L’idée de la diversité est intégrée également dans vos premiers travaux et plus précisément elle domine l’unité intitulée The Nest

L’unité The Nest constitue mon premier travail artistique et trouve son origine/ sa source d’inspiration au fameux essai de Colette Dowling intutilé Le complexe de Cendrillon, un texte riche d’idées neuves et d’exemples sur la nature et l’identité sociale – bien construite – des femmes. Les œuvres qui font partie de cette unité s’intègrent dans un processus psychologique et sont dominées par la diversité des matériaux utilisés, des formes et des couleurs choisies.

 

Untitled, plastic lanes, elastic textile, 135 x 170 x 260 cm, 2004 La surface transparente permet de voir ce qui se trouve dedans et en même temps elle sert de couvrir le contenu.
Untitled, plastic lanes, elastic textile, 135 x 170 x 260 cm, 2004
La surface transparente permet de voir ce qui se trouve dedans et en même temps elle sert de couvrir le contenu.

 

Untitled, construction, wood, elastic textile, plaster, 43 x 89 x 49 cm, 2004
Untitled, construction, wood, elastic textile, plaster, 43 x 89 x 49 cm, 2004

 

À travers ce type des contradictions conceptuelles, j’essaye de parler de la relation multidimensionnelle entre la mère et l’enfant. Quand cette relation se termine-t-elle ? Est-ce lorsque l’on coupe le cordon ombilical, lorsque l’on passe à l’âge adulte ou lorsque la mort sépare ces deux êtres ? Quel est le rôle des tabous sociaux dans la formation de cette relation ? Comment s’est construit l’idée de la sensibilité des femmes ? Ce sont les questionnements principaux qui dominent l’unité The Nest. La mère représente l’abri, la sécurité, la protection, la chaleur, l’affection, la fusion, la compréhension. La mère représente l’amour. L’image du nid renvoie au refuge et à la chaleur, mais, en même temps il peut signaler l’emprisonnement. Il s’agit des relations de symbiose entre la mère et son enfant caractérisées par l’amour d’un côté et d’un autre, par la pression. Dans notre culture, on parle habituellement de la grossesse comme étant une période de profond bonheur et d’allégresse. Pourtant, on oublie que l’épuisement maternel et que la grossesse, pour une grande partie des femmes, riment avec dépression. Aujourd’hui, plusieurs femmes enceintes qui se sentent déprimées ont souvent peur d’en parler, elles taisent leur souffrance, et endurent en silence cette déprime qu’elles ont si honte de ressentir. Il arrive de se sentir même coupables de se sentir aussi mal, puisque la grossesse est, obligatoirement, une période où elles devraient être plus heureuses encore. Dès lors, elles se taisent.

 

Untitled, limestone, rubber, wire rope, 68x14x17cm, 2003
Untitled, limestone, rubber, wire rope, 68x14x17cm, 2003

 

L’idée de la maternité et d’une relation très particulière entre la femme et son enfant est si centrale dans notre imaginaire social qu’on laisse parfois à part l’importance du lien père-enfant. Colette Dowling a découvert que toutes les femmes au plus profond d’elles-mêmes, ont besoin d’être prises en charge, d’être relevées de leurs responsabilités. Inconsciemment, parce que notre éducation nous y a toujours préparées, nous sabotons ainsi notre propre existence, de peur d’être indépendantes. Selon l’auteure américaine, toutes les femmes sont des Cendrillons.

Entretien réalisé par Maria Xypolopoulou pour Point contemporain © 2017

 

Magda Lampropoulou
Née en 1977 à Athènes.
Diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts d’Athènes.

http://magdoulas6.wixsite.com/magda-lampropoulou