Plasmes, Julie Bonnaud et Fabien Leplae

Plasmes, Julie Bonnaud et Fabien Leplae

vue d’exposition, Julie Bonnaud et Fabien Leplae Plasmes, L’aparté, Iffendic, 2018

 

Il est question d’images. Des images conçues en séries, en constellations, selon un réseau de correspondances, d’analogies et d’interconnexions permanentes. Des images nettes, précises ou floues, claires, sombres, contrastées ou toutes de nuances. Des images parfois uniques, parfois multiples. Des images peintes, dessinées, photographiées. Mais surtout des images naissantes, surgissantes, toujours en devenir. L’on serait même tenté de parler de genèse à propos de certaines d’entre elles. Sur quelques peintures notamment, elles sont comme stoppées dans leur apparition, figées dans un état intermédiaire. Tels des indices, elles révèlent une part du processus à l’oeuvre.

 

vue d’exposition, Plasmes, L’aparté, Iffendic, 2018
vue d’exposition, Plasmes, L’aparté, Iffendic, 2018

 

Chez Julie Bonnaud et Fabien Leplae, l’image ne se réduit pas à une simple section ou sélection du réel. Elle résulte d’une suite d’opérations complexes où interviennent tour à tour la main et la machine. Le travail n’est pas pour autant systématique. Chaque projet impulse la mise en place d’un nouveau protocole. Généralement, tout commence par une photographie. Les artistes n’en font pas mystère au vu des grands formats qu’ils réalisent. Il peut s’agir d’une image trouvée sur internet mais c’est le plus souvent une photographie personnelle, prise au détour d’une promenade.

 

Plasme, acrylique et gouache sur bois, 60 x64 cm, 2018
Plasme, acrylique et gouache sur bois, 60 x64 cm, 2018

 

Slow Futur (détail)
Slow Futur (détail)

 

À cet enregistrement du réel par « l’oeil rivé sur l’objectif »1 succède une longue gestation. Contre cette rapidité que remarque déjà Walter Benjamin il y a près d’un siècle, Julie et Fabien imposent un travail lent et patient. Si la captation de la réalité suscite et découle tout à la fois de leurs recherches plastiques, l’image n’est pas immédiatement traitée. La plupart d’entre elles sont d’ailleurs mises en attentes, stockées dans leur immense base de données. Le grand triptyque ici présenté prolonge ainsi une photographie au téléphone portable faite il y a environ un an, au sortir d’une précédente exposition de leur travail à Rennes. Une manière pour les artistes d’inscrire leur résidence à L’aparté dans la continuité de réflexions antérieures. Cette vision fugace d’un chantier répond en quelque sorte à leur travail de dessin. L’aspect proprement organique des poutrelles enduites de béton projeté, ossature d’un centre commercial, devient l’occasion d’une chirurgie de l’image, successivement annihilée, métamorphosée et recomposée.

 

Slow Futur, fusain et pierre noire sur papier marouflé monté sur châssis, 273 x 112 cm, 2018
Slow Futur, fusain et pierre noire sur papier marouflé monté sur châssis, 273 x 112 cm, 2018

 

L’aspect photographique peut demeurer, mais l’image ne se résume pas à une pure surface. Elle est matière. Tout en conservant la profondeur des clichés argentiques, les pièces montrées à Iffendic se chargent d’une épaisseur. Comme dans le bain de produits chimiques de la chambre noire, l’image apparaît graduellement. Selon une technique toute traditionnelle, les artistes font littéralement monter le dessin depuis les zones de clarté jusqu’aux ombres opaques. À ce procédé classique s’en mêlent cependant d’autres. Dès son extraction des fichiers, l’image subit plusieurs modifications par informatique. Un travail de recadrage, de recomposition et de filtrage prépare plusieurs phases de dessin vectoriel, lesquelles amorcent enfin la matérialisation des données sur le papier. Sous la direction des artistes, un bras mécanique en trace alors les premières lignes. L’épure circonscrit le travail à venir du graphite, du fusain et du velouté de la pierre noire. La composition transparaît au fur et à mesure des jours de travail, les instants d’observation rythmant le labeur de la main. Cette trituration de l’image ne se fait pas sans heurts. Il s’agit bien d’un face-à-face, d’une sorte de lutte avec la forme et la matière dont chaque étape constitue une nouvelle strate. Le programme de dessin évolue au gré de la réalisation. L’image, finalement, s’apparente à une longue accumulation de couches qui, avant même son achèvement, se dépose déjà sur un autre format, alimentant encore un catalogue exponentiel de résonances et de résurgences visuelles.

1 Walter Benjamin, L’Oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Allia, Paris, 2003, p.11

 

Texte Quentin Montagne © 2018

 

Who goes there? Soupe originelle Sussex pheasant hunt, fusain, pierre noire et mine graphite sur papier, 138,5 x 167 cm, 2018
Who goes there?
Soupe originelle
Sussex pheasant hunt, fusain, pierre noire et mine graphite sur papier, 138,5 x 167 cm, 2018

 

Plasme sample Still, there was this sound clicking, encre et gouache sur bois, 84 x 116,5 cm, 2018
Plasme sample
Still, there was this sound clicking, encre et gouache sur bois, 84 x 116,5 cm, 2018