OCTO-VERSO – Paving Space

OCTO-VERSO – Paving Space

Une série de sculptures instrumentales de Raphaël Zarka vues par Maxime Verret

Pour sa première exposition de 2019, Octo‑Verso à souhaité inviter Raphaël Zarka, l’artiste qui a inspiré l’exposition Inside O.U.T., donnant actuellement la parole aux skaters dans le forum du théâtre Le Quai à Angers.

Si le champ du skateboard est lié à certains aspects du travail de Raphaël  Zarka, ce n’est pas tant pour son imagerie, la culture qu’il véhicule, ou la nostalgie d’une adolescence révolue, que pour les liens qu’il entretien avec les domaines de l’architecture, de la sociologie, des sciences et de l’histoire de l’art. Ses premières approches artistiques en lien avec le skateboard se manifestent par l’écriture. Il publie La conjonction interdite, notes sur le skateboard, en 2003. Une journée sans vague, chronologie lacunaire du skateboard en 2006 et Free Ride. Skateboard, mécanique galiléenne et formes en simples en 2011. Il réalisera également en 2008, Topographie anecdotée du skateboard, un assemblage de fragments de vidéos empruntés à l’industrie du skateboard.  Au‑delà  de la prouesse sportive, se dresse ici une typologie formelle des différents terrains de jeux de prédilection des skaters.

En 2001, il découvre deux grands polyèdres de béton abandonnés sur les bords d’une route du sud de la France. La photographie qu’il fera de ces objets — qu’il apprendra plus tard être des récifs artificiels en forme de rhombicuboctaèdres — engagera la série, Les formes du repos. Depuis cette date, il entreprend d’inventorier chacune des occurrences de ce polyèdre archimédien dans Le catalogue raisonné des rhombicuboctaèdres. Ce dernier se donne à voir sous la forme d’un poster et représente diverses apparitions du polyèdre, tantôt illustrés dans un traité de mathématiques, dans le design d’un réverbère ou d’une ampoule, dans l’architecture même de la bibliothèque nationale de Minsk en Biélorussie, etc.

Cette attitude de collectionneur, il l’applique également à Riding Modern Art. Cette série de photographies — empruntées à des photographes, dits, « de skate » — font le choix de sélectionner des skaters exécutant des figures sur des sculptures d’art moderne dans l’espace public. Le seul geste opéré ici par l’artiste, est d’enrichir les légendes : là où d’ordinaire la revue de skate mentionne le nom de la figure, le nom de celui qui l’exécute et celui du photographe qui immortalise l’action, Raphaël Zarka ajoute le nom de l’artiste ayant réalisé la sculpture, son titre et sa date de réalisation. Tous les protagonistes ayant œuvré, intentionnellement ou non à la photographie, sont ainsi réunis au sein du même espace rendu complet par l’artiste.

La pratique de la sculpture, sans être exclusive, est néanmoins très présente dans le travail de  Raphaël Zarka. Ses recherches, liées au skateboard, ne sont pour autant que très rarement concernées par ce medium. Dans la lignée de ses sculptures qu’il qualifie de « documentaires », il réalisera néanmoins la reprise de Free Ride, une sculpture de l’artiste américain Tony Smith. Réalisée en 1962, à l’aube de l’apparition des premières planches à roulettes, cette sculpture fait néanmoins office de « prophétie » aux yeux de l’artiste. Tous les skaters s’accorderont en effet à dire qu’au‑delà de sa simplicité apparente, la sculpture n’en est pas moins un spot idéal.

Malgré toute l’attention portée au skateboard, cette sculpture n’invite toujours pas les initiés à en faire l’expérience physique. Il faudra attendre 2015 pour qu’une collaboration entre un groupe de skaters anglais et Raphaël Zarka aboutisse au projet Paving Space. Présenté tour à tour à Paris, Singapour, Poitiers, Charleroi, Besançon, etc. le projet propose aux skaters de s’approprier des sculptures issues du travail d’Arthur Moritz Schönflies, un mathématicien et cristallographe allemand de la fin du XIXe siècle. Celui‑ci, à l’aide de la répétition d’un unique module, étudiait la possibilité d’un pavage tri‑dimensionnel. Raphaël Zarka en adapte l’échelle à la pratique du skateboard.

C’est, paradoxalement, en donnant vie à ces sculptures par leur simple présence, que les skaters les anéantissent dans un même temps.  Les stigmates portés au chêne brut — tout en alimentant la dimension conceptuelle de l’œuvre — dessinent également sa fin en tant qu’expérience active. C’est ainsi que Paving Space s’est vu bénéficié d’une seconde version, plus pérenne, en acier corten ; matériau largement employé pour la sculpture dans l’espace public. On est ainsi en mesure de se demander quand est‑ce qu’une municipalité fera l’acquisition de l’œuvre en la réinjectant, sans doute malgré elle, dans la multitude de terrains de jeux urbains propices au skateboard.

Les photographies présentées ici ne sont ni le travail de l’artiste ni celui d’un photographe d’exposition. Raphaël Zarka a fait le choix de donner «carte blanche» à Maxime Verret, un jeune photographe dont le travail est largement affilié à l’industrie du skateboard. C’est ainsi, avec des codes qui lui sont propres, que celui‑ci s’est approprié à la fois la dimension sculpturale de l’œuvre Paving Space mais aussi sa dimension chorégraphique établie par la lecture qu’ont pu en faire les skaters.

Texte Arthur Chiron pour Octo-Verso © mars 2019

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