[ENTRETIEN] Rebekka Deubner

[ENTRETIEN] Rebekka Deubner

Entretien avec Rebekka Deubner à l’occasion de la présentation de la série White Trash sur le stand des éditions Point Contemporain lors du salon YIA Art Fair #06 à Bruxelles du 21 au 24 avril 2016.

Artiste : Rebekka Deubner née en 1989 à Munich (Allemagne). Vit et Travaille à paris. Diplômée de l’Ecole des Gobelins Paris (2013).

Du Festival de la photographie d’Arles à celui de Toulouse, ManifestO, pour lequel elle a été sélectionnée en 2015, la photographe Rebekka Deubner explore le médium photographique en utilisant toutes ses caractéristiques plastiques. Installations contraignant le spectateur à circuler autour pour en saisir les détails, dispositifs alliant transparence et opacité, ruptures dans les schémas de la narration, son approche est décomplexée et, en excitant sa curiosité, engage le spectateur dans des parcours, sortes de « fables visuelles », où se mêlent dimensions imaginaires, mémorielles et sensitives. Pour l’exposition Lunes Noires en mai 2015 avec le Collectif Insolance, plutôt que de répondre à une compréhension du réel, elle développait une dynamique formelle comparable à une versification.
Une dimension poétique qui se manifeste également avec la présence d’écrits de Camille Richert qui accompagnent parfois ses travaux. La réflexion de Rebekka Deubner est tournée vers un questionnement des frontières et des profondeurs qui engage tout autant notre corps que notre psyché dans des espaces incertains et mystérieux où résonnent mythes et symboles. Un questionnement qui, lors de sa première exposition personnelle à la Straat Galerie de Marseille en novembre 2015, a pris la forme d’un parcours dans lequel le spectateur pouvait s’engager en revêtant un casque de réalité virtuelle. Une façon pour cette artiste de lui faire perdre pied avec le réel et de se laisser porter, comme souvent dans ses projets, par son instinct.

White Trash - stand des éditions Point Contemporain - YIA Art Fair #06 Bruxelles avril 2016. Photo : Rebekka Deubner
White Trash – stand des éditions Point Contemporain YIA Art Fair #06 Bruxelles avril 2016. Photo : Rebekka Deubner

Peux-tu nous parler de la manière dont tu as conçu l’accrochage de la série White Trash ?

Comme souvent dans mon travail, le dispositif importe autant que les images présentées. Les images de la série White Trash ne sont pas fixes, elles restent amovibles, disposées côte à côte, simplement posées contre le mur, se chevauchant parfois. L’accrochage complète l’image ou la série en lui donnant du relief et en lui ajoutant du sens.

N’y a-t-il pas aussi l’idée d’une présentation qui serait toujours in progress ?

Les accrochages en cours sont une source d’inspiration pour l’installation de White Trash: j’envisage cette étape de la mise en place comme une forme d’exposition en soi mélangeant les matériaux bruts, de protection aux oeuvres à proprement parler.
Ce qui m’intéresse n’est pas la pièce qui va se jouer mais la façon dont elle est préparée et pensée. Ce moment entre deux, « en cours » de montage a une esthétique qui lui est particulière, celle du non-fini, qui appelle toutes les évolutions, toutes les métamorphoses et ouvertures possibles. Un temps est en suspens : rien n’est encore fixé ni déterminé.

White Trash - stand des éditions Point Contemporain - YIA Art Fair #06 Bruxelles avril 2016. Photo : Rebekka Deubner
White Trash – stand des éditions Point Contemporain YIA Art Fair #06 Bruxelles avril 2016. Photo : Rebekka Deubner

Quelle mécanique de perception cherches-tu à activer chez le spectateur ?

Le lieu d’exposition qu’on nous propose est un cube blanc. A première vue il n’y a rien à voir : la salle paraît vide, non utilisée comme si elle n’avait pas trouvé preneur.
Se crée dans ce lieu dédié à l’image qu’est la YIA une pause visuelle. Mais à mieux y regarder, des rectangles se détachent des murs et progressivement des bords et des ombres se dessinent. Une fois que l’oeil est aguerri, le visiteur s’aperçoit que les murs sont peuplés de pâleurs volatiles, de mirages blanchâtres, de petits fantômes quotidiens.

L’approche du spectateur est générée par sa propre curiosité car son oeil n’est accroché ni par une forme ni par de la couleur. Mes oeuvres le laissent venir à elles sans l’interpeller. Il doit s’attarder, s’intéresser, y regarder par deux fois pour percevoir les images.

Comment se mettent en place les éléments qui vont composer cette « fable visuelle » ?

Lors de mes promenades le processus est inversé : mon oeil est attiré par ces espaces « vides », si on doit définir le blanc par la vacuité ou l’absence de couleur. La série résulte donc de ces respirations visuelles dans un espace saturé, distrayant. Les images s’assemblent et se confondent dans l’installation, elles composent à leur tour par l’utilisation de matériaux bruts une architecture épurée, mouvante et parfois accidentée d’un espace en creux, fictif et sensible.

White Trash - stand des éditions Point Contemporain - YIA Art Fair #06 Bruxelles avril 2016. Photo : Rebekka Deubner
White Trash – stand des éditions Point Contemporain – YIA Art Fair #06 Bruxelles avril 2016. Photo : Rebekka Deubner

Un aspect immatériel qui donne à ces récits ou expériences une sensation d’effacement, celle du rêve, de la mémoire…

En composant des espaces non finis, des images où flottent des formes vaporeuses, diaphanes, à la limite de l’effacement, du tangible, du palpable, j’interroge cette idée initiale et fondatrice de la photographie comme création de reliques personnelles. Je me situe pour White trash dans la continuité d’une pratique ludique et enfantine de la photographie qui fonctionne par l’accumulation.

Peut-on dire que le travail par série te permet de rassembler les éléments d’un récit ?

La photographie est pour moi une forme de collection, une accumulation sans fin et grandissante d’objets, de corps et de moments qui m’attirent : en les photographiant je me les approprie. L’image ainsi créée du sujet désiré existe à travers moi et m’appartient, contrairement à l’objet en soi. De cette façon, j’essaie de les sauver de la page blanche, de l’esprit oublieux. Une pratique qui remonte à l’enfance, où la tenue d’un journal intime complétée par la compilation de pierres, de fleurs séchées me donnait un moyen de retenir les choses en les extrayant du quotidien et de leur contexte, formant de cette manière un petit univers métaphorique et tangible à la fois. En créant et en accumulant des photographies je construis l’histoire fragmentée, éphémère et évolutive d’une expérience qui s’éclipse. L’image devient le réceptacle de la mémoire et son déclencheur : la création devient ainsi une réponse possible à la disparition.

Les clichés composent une fable visuelle qui symbolise à mes yeux un entre deux, tant la page blanche qui précède la création que le souvenir palissant du moment déjà capturé et passé.

Comment définis-tu le blanc par rapport à la lumière ?

Le blanc est la lumière, du moins en photographie. Il renvoie à la surexposition, cette saturation de lumière où l’ombre n’est plus admise. L’image est alors à la limite entre l’apparition et la disparition, captant son sujet au risque de le brûler. Si le flash révèle toutes les formes, il les aplatit, créant ainsi une surface plus ou moins uniforme, ramenant tout au premier plan.
La « profondeur », l’amplitude de ces objets réduits à la planéité est rétablie par l’installation, leur mise en scène dans l’espace d’exposition.

Une mise en scène où le corps, a lui-même sa place…

Le corps ne reçoit pas que passivement la lumière. Il est également source de lumière par ses qualités réflectives et thermiques : il va jusqu’à aveugler la pellicule. Il devient par le biais de cet échange de lumière une forme blanche, lumineuse et incandescente : un spectre.

White Trash - stand des éditions Point Contemporain - YIA Art Fair #06 Bruxelles avril 2016. Photo : Rebekka Deubner
White Trash – stand des éditions Point Contemporain – YIA Art Fair #06 Bruxelles avril 2016. Photo : Rebekka Deubner

 Pour en savoir plus :

http://rebekkadeubner.com