GILBERT COQALANE [ENTRETIEN]

GILBERT COQALANE [ENTRETIEN]

Gilbert Coqalane, artiste pluridisciplinaire et autodidacte, éprouve, par ses créations et performances, les limites du bon sens dans une société qui n’obéit plus qu’aux normes et à la règle. Pour son projet Ressources humaines, il se met en scène dans les différentes situations que connaît le travailleur, de la rédaction de la lettre de demande d’emploi jusqu’à l’expérience de l’embauche. Il révèle les logiques de recrutement des entreprises tout en nous laissant seuls juges de leur absurdité. Appliqué au monde de l’art, ce projet met en évidence les conditions d’exercice du métier d’artiste.

Peux-tu nous parler du projet Ressources humaines ?

Il a pour ambition d’explorer la thématique de l’emploi sous toutes ses formes, aussi bien du processus de recrutement, les tâches à réaliser, que le principe de hiérarchie. J’ai commencé en établissant des échanges épistolaires avec le Pôle emploi puis j’ai réalisé une première performance au Musée du Louvre, « Pour réussir dans l’art, il faut (se) coucher ». Étant un artiste, il est logique que j’explore en premier lieu mon domaine d’activité. Mes performances en institution et en galerie sont les premières étapes d’une série qui s’ouvre à d’autres champs d’expérimentation comme le milieu ouvrier ou celui de la grande distribution. Les processus d’organisation, de sécurité, de hiérarchie, de domination et de soumission peuvent très bien être transposés quels que soient les milieux professionnels.

Ce projet est-il lié à une expérience ou un ressenti personnel ?

Je travaille sur ces thématiques de l’emploi sans aucune aigreur. Mon approche est purement analytique car je mets en évidence des mécanismes de fonctionnement. On pourrait croire que je mets en scène une incapacité à percer en tant qu’artiste. Or, à travers la performance, je m’amuse des composantes du milieu de l’art. C’est un travail d’expertise et non de critique ou de révolte.

Comment s’est déroulée la première performance du projet ?

« Pour réussir dans l’art, il faut (se) coucher » (juin 2015) est une performance in situ. Je me suis allongé en silence au milieu de la foule, dans la galerie du Musée du Louvre où se trouve La Joconde. Je n’avais demandé aucune autorisation ni accréditation et j’attendais une suite qui n’était pas déterminée. Plein de scenarii étaient possibles avec les vigiles, les forces de l’ordre, les pompiers, le public… J’ai travaillé sur cette performance avec le photographe et peintre parisien, Philippe Bonan qui a réussi à faire une série de photos avant de se faire évacuer par les services de sécurité. Nous avons tiré une photo principale de cette performance que j’ai décidé d’exploiter pour une deuxième performance, « Pour réussir, il faut sortir du cadre » (juin 2016). Une manière de porter les problématiques qu’elle soulève en galerie.

Si au Musée du Louvre tu t’imposais physiquement au public, tu choisis donc pour la performance « Pour réussir, il faut sortir du cadre », de perturber l’espace d’exposition avec une oeuvre d’art…

J’ai préparé la deuxième performance du projet bien en amont, en utilisant les outils de communication devenus usuels pour les artistes, notamment l’événement Facebook dans lequel j’ai pris soin de noter des partenaires média (non avertis) et des commissaires d’exposition de renom (non avertis). J’ai procédé de la même manière que si j’avais réellement intégré la galerie et avais été invité à y exposer. L’acte d’accrochage n’est qu’une partie de la performance qui n’a pas pour seul objectif la réalisation d’un accrochage sauvage. L’acte en soi a déjà eu des précédents. Ma question porte plus globalement sur l’emploi et bien-sûr, dans l’espace de la galerie, sur la question du métier d’artiste.

Comment un artiste peut-il démarcher une galerie sachant qu’envoyer un book par mail ne suffit plus ? 

C’est pour cette raison que j’ai intitulé ma performance Pour réussir il faut sortir du cadre et que j’ai voulu souligner que ce qui est important est ce qui se passe autour. Très peu d’œuvres vivent par elles-mêmes et, au moins au début, pour réussir, il faut sortir du cadre. C’est ce que j’ai voulu faire à la Galerie Perrotin.

Quelle a été la réaction du dirigeant de la galerie ?

Sans nouvelles de sa part, malgré sa réponse à l’invitation de mon exposition dans sa galerie, je me suis permis, après la performance, de le contacter en le remerciant de m’avoir intégré à son équipe et de m’avoir invité à exposer dans sa galerie. Mon mail était rédigé dans l’esprit de mes Écrits aux SAV (éditions François Bourin Paris) que j’envoie régulièrement à des entreprises de la grande distribution. Personne à la galerie ne s’était rendu compte de la présence de cette oeuvre supplémentaire. J’ai été personnellement en contact avec le galeriste qui, de manière très courtoise, m’a demandé de retirer toute identification de la galerie sur les réseaux sociaux. Sa réaction a été très professionnelle. Il m’a expliqué avoir dû retirer mon oeuvre et qu’il devait protéger l’image de sa galerie.

Nous qui étions dans la confidence avons trouvé particulièrement intéressantes les réactions spontanées sur les réseaux sociaux à l’annonce de ton exposition dans une galerie prestigieuse. Que peux-tu nous en dire ?

J’ai été abondamment félicité et j’ai même été contacté en off par quelques galeristes, dont certains que j’avais démarché et qui n’avaient jamais pris la peine de répondre à mes sollicitations, et d’autres inconnus, qui m’ont proposé d’exposer prochainement dans leur galerie. Certains marchands ont tenté de se documenter sur moi et m’ont envoyé des messages. Ces deux performances m’ont permis de capter l’attention de personnes dont certaines, bien implantées dans le marché de l’art, qui ont réagi avec beaucoup d’humour.

La performance Pour réussir, il faut être docile, où tu t’intégres dans le milieu de la vente en grande surface, clôt-elle ce projet Ressources Humaines ?

Même si je peux très bien clôturer ce travail par cette performance, j’envisage qu’il y ait plusieurs suites et l’utilisation de plusieurs médiums (prochainement : Poésie Mercantile) si tant est qu’il y ait une chronologie bien définie dans le monde du travail. L’une d’elles pourrait être, dans la thématique du « recrutement », de proposer ma candidature au Salon de Montrouge où j’exposerai même si je ne suis pas sélectionné mais toujours avec humour et respect. J’aimerais aussi intégrer une grande collection pour finir le cycle sur l’art et l’analyse de toutes les composantes de la création, du collectionneur jusqu’à la vente.

« Ces performances sont une façon de bien analyser le circuit de l’art, de savoir en jouer et de faire un peu d’ironie sur ce marché. »

 

Entretien initialement paru dans la revue Point contemporain #3 © Point contemporain 2017

 

POUR EN SAVOIR PLUS SUR L’ARTISTE

 

Gilbert Coqalane, La campagne est propice pour observer les nuages et pour l’implantation de terrains de basket. Vue d’exposition, Contenant Contenu, Galerie Elizabeth Couturier Lyon. Courtesy : Galerie Elizabeth Couturier Lyon. Photo : Jean Charles Thomas.
Gilbert Coqalane, La campagne est propice pour observer les nuages et pour l’implantation de terrains de basket. Vue d’exposition, Contenant Contenu, Galerie Elizabeth Couturier Lyon. Courtesy : Galerie Elizabeth Couturier Lyon. Photo : Jean Charles Thomas.

 

Visuel de présentation : Vue de l’installation I love David Hasselhoff / Pamela Biche, présentée lors de la soirée d’inauguration de l’exposition Musicircus, Centre Pompidou Metz. Photo : Centre Pompidou Metz / Gilbert Coqalane 2016.