Nikita Kadan [FOCUS]

Nikita Kadan [FOCUS]

Nikita Kadan, un des plus éminents artistes ukrainiens d’aujourd’hui, présente ses œuvres dans le cadre de l’exposition De More Cry Sea de Babi Badalov à la galerie Jérôme Poggi.
Le dessin d’un homme juif d’un certain âge, la silhouette lourde et feminine, le visage flasque, portant pour unique vêtement des chaussettes dans les rues de Lviv, revêt un caractère tragique. Cette oeuvre a pour origine une photographie datant de la Seconde Guerre Mondiale qui documente le pogrom de Lviv de 1941. Aujourd’hui, elle trouve une nouvelle résonance dans l’actualité politique ukrainienne, où les groupes d’extrême droite dans l’Ouest du pays, glorifiés par les médias pour leur posture anti-russe et intégrés au pouvoir sur le niveau national, entreprennent la réhabilitation de leurs prédécesseurs-collaborants.
Sur les assiettes en porcelaine blanche, s’inspirant du dessin académique du 19eme siècle, Kadan représente les violences des services de sécurité, très répandues en Ukraine et dans d’autres pays de l’ex-URSS. Le contraste entre la thématique et le style du dessin rend compte, avec un sarcasme amer, de leur enracinement dans la tradition nationale. En versant du charbon derrière le verre de ses séries de photographies en noir et blanc montrant des architectures soviétiques néomodernistes et les gens de cette époque, il produit un effet dérangeant car on devine, dans la brillance froide de ces granules, des cendres de la guerre.
Dans le cadre d’une installation qui ouvre l’exposition, un morceau de fer provenant du toit d’un immeuble en Ukraine de l’Est percé de shrapnel est placé à côté d’un manuel soviétique d’histoire de l’art moderne occidental. Par des gestes suggestifs et polyvalents, l’artiste nous invite à réfléchir sur la part obscure de la modernité et du progrès social en général. Il nous rappelle, que non seulement, comme disait Karl Popper, la théologie scolastique et l’arme nucléaire sont fruits du même système de pensée, tout autant que l’avant-garde artistique et la violence révolutionnaire. Nikita Kadan, d’une manière discrète, allégorique et ainsi encore plus profonde, s’oppose au mainstream. Dans le pays, l’Ukraine, où la communauté artistique s’est alliée au gouvernement d’extrême droite revendiquant les valeurs européennes dans le rejet commun de l’héritage soviétique et l’influence russe, Kadan a l’audace de parler des violences de ses agents. Dans le contexte artistique international, il met en question l’infaillibilité morale de l’art contemporain. Les travaux de Kadan, réflexifs et laconiques, posent des questions auxquelles il n’y a pas de réponse univoque. Pour la tradition de gauche non-conformiste d’Europe de l’Est, entreprenant une évaluation subversive et titillante des doxas esthético-politiques occidentales et incarnée surtout par le philosophe slovène Slavoj Žižek, Kadan est un excellent continuateur.

Texte Nikita Dmitriev © 2018 Point contemporain

 

Babi Badalov & Nikita Kadan, vue de l'exposition, 2018. Courtoisie : Galerie Jérôme Poggi, Paris
Babi Badalov & Nikita Kadan, vue de l’exposition, 2018. Courtoisie : Galerie Jérôme Poggi, Paris

 

Babi Badalov & Nikita Kadan, vue de l'exposition, 2018. Courtoisie : Galerie Jérôme Poggi, Paris
Babi Badalov & Nikita Kadan, vue de l’exposition, 2018. Courtoisie : Galerie Jérôme Poggi, Paris

 

Babi Badalov & Nikita Kadan, vue de l'exposition, 2018. Courtoisie : Galerie Jérôme Poggi, Paris
Babi Badalov & Nikita Kadan, vue de l’exposition, 2018. Courtoisie : Galerie Jérôme Poggi, Paris

 

Infos pratiques

24/03▷27/05 – BABI BADALOV & NIKITA KADAN – GALERIE JÉRÔME POGGI PARIS

 

Nikita Kadan (Kiev, 1982), figure de la nouvelle génération d’artistes ukrainiens, a été invité par Babi Badalov et le curator Sasha Pevak à créer un dialogue entre son travail et l’exposition De More Cry Sea. Particulièrement visible depuis quelques années sur la scène artistique internationale (Biennale de Venise, 2011 et 2013), Nikita Kadan a récemment  bénéficie d’une exposition personnelle au M KHA à Anvers.

 

Visuel de présentation : Babi Badalov & Nikita Kadan, vue de l’exposition, 2018. Courtoisie : Galerie Jérôme Poggi, Paris